Des discussions ont pris place au plus haut niveau des armées du Canada et des États-Unis concernant la possibilité d'intégrer pleinement les deux forces.
Selon un document obtenu par Radio-canada, les discussions faisaient partie de consultations plus vastes pour envisager différentes façons d'augmenter la coopération entre les deux armées, qui sont de proches partenaires depuis des décennies. Dans le cadre du Programme des forces intégrées canado-américaines, plusieurs rencontres ont eu lieu en 2013 entre celui qui dirigeait alors l'armée canadienne, le chef d'état-major des Forces canadiennes, le général Tom Lawson, et le chef d'état-major des armées des États-Unis, le général Martin Dempsey.
La tenue de ces discussions a été rapportée dans un document d'octobre 2013 écrit par l'état-major stratégique canadien. Le mois suivant, les militaires américains et canadiens se sont mis d'accord pour une intégration plus poussée de leurs opérations et de leurs déploiements dans la région de l'Asie-pacifique. Cette entente, conclue dans le cadre du «pivot vers l'Asie» anti-chinois de Washington, n'a jamais été divulguée au public. Par contre, elle fait partie des plans canadiens pour une vaste expansion de l'engagement militaire dans la région par le biais d'exercices conjoints avec les forces américaines et l'établissement de bases avancées des Forces armées canadiennes à Singapour et en Corée du sud.
D'après le mémorandum, qui a été obtenu par Radio-canada après une demande d'accès à l'information, Lawson et Dempsey ont envisagé trois options lors de leurs rencontres. La première était d'améliorer l'interopérabilité entre les forces armées canadiennes et américaines. Les deux généraux ont également discuté de plans pour une force d'intervention étrangère canado-américaine qui serait utilisée pour des déploiements offensifs dans des «zones dangereuses» à travers le globe. La «force permanente intégrée», rapporte Radio-canada, aurait établi formellement des structures de commande, de contrôle et de logistique.
La proposition était modelée sur l'accord existant de défense aérienne entre le Canada et les États-Unis, le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD). Mais contrairement à NORAD, le but de la force conjointe serait de nature explicitement offensive.
L'article de Radio-canada résume ainsi la pensée qui sous-tend le mémorandum: «Il envisage comment l'armée (canadienne) pouvait demeurer engagée globalement au moment où la mission d'entraînement en Afghanistan tirait à sa fin».
Cette admission remarquable démontre les intentions agressives qui guidaient les discussions. L'armée canadienne a joué un rôle majeur dans l'occupation néocoloniale de l'Afghanistan, y compris en prenant contrôle des opérations anti-insurrectionnelles à Kandahar pendant six années à partir de 2005.
Une source anonyme de l'armée canadienne a fait savoir que les plans pour une force d'intervention canado-américaine prévoient des capacités terriennes, aériennes et navales et comprennent des équipes d'opérations spéciales ainsi que des forces aériennes, navales et terrestres provenant des deux pays.
Le commandement, comme on peut s'y attendre étant donné la dichotomie dans l'importance respective des armées américaines et canadiennes, doit être établi à l'extérieur du Canada.
La troisième option, et la plus complète, était l'intégration complète des armées canadiennes et américaines sous un commandement unifié. D'après le document obtenu par Radio-canada, Lawson a indiqué en fin de compte que le Canada n'était pas prêt à l'intégration totale des armées des deux pays «à ce point-ci».
Le gouvernement conservateur canadien a répondu aux révélations de Radio-Canada en prétendant ne rien savoir des discussions entre Dawson et Dempsey. Si c'est vrai, ce serait un développement stupéfiant. Ça voudrait dire que l'armée canadienne a bafoué, au plus haut niveau, le contrôle du gouvernement civil afin de poursuivre ses propres discussions sur les fonctions et les structures centrales de l'armée – y compris la décision de faire entrer le Canada en guerre.
Cependant, il y a plusieurs raisons de croire que le gouvernement a menti. Premièrement, pour tromper le public quant à l'étendue de l'intégration déjà en place entre le Canada et les offensives impérialistes stratégiques américaines partout dans le monde. Deuxièmement, pour tromper le public quant aux objectifs d'Ottawa de pousser encore plus loin cette intégration.
Compte tenu de la vaste opposition populaire à la participation du Canada dans des guerres menées par les États-Unis à travers le monde, les Conservateurs ont toutes les raisons de ne pas vouloir être associés, juste avant les élections fédérales du 19 octobre, aux plans d'intégration des armées des deux pays.
Les deux propositions les plus ambitieuses – l'intégration entière des deux armées ou la création d'une force de combat binationale permanente – ont apparemment été mises de côté, du moins pour l'instant. Mais, la coopération renforcée se poursuit. Cela est prouvé par la signature d'un accord secret entre les forces armées canadiennes et américaines sur les opérations de l'armée dans la région de l'Asie-pacifique, qui sont dirigées contre la Chine. Du personnel militaire canadien a aussi été envoyé récemment dans une mission d'entraînement en Ukraine, où des soldats provenant des deux pays collaborent pour entraîner l'armée de Kiev et la garde nationale dans sa guerre contre des séparatistes pro-russes à l'Est.
La classe dirigeante canadienne appuie entièrement la coopération militaire renforcée avec les États-Unis, la force la plus agressive et la plus déstabilisatrice de la politique mondiale. Pendant le dernier quart de siècle, Washington a été en guerre de manière pratiquement ininterrompue. Il a ravagé des sociétés entières, y compris l'Irak, la Somalie, l'Afghanistan et la Libye. Il a fomenté une guerre civile en Syrie et a menacé ses rivaux géopolitiques, d'abord et avant tout la Russie et la Chine, qui sont des puissances nucléaires. Cela a soulevé le spectre d'un conflit qui pourrait rapidement dégénérer en conflit mondial.
Des gouvernements successifs à Ottawa ont chargé l'armée canadienne de jouer un rôle de premier plan dans une série de guerres et opérations de changement de régime menées par les États-Unis: du bombardement de la Yougoslavie en 1999 à la guerre de changement de régime mené par l'OTAN en Libye en 2011 et la guerre actuelle en Syrie et en Irak, en passant par le coup organisé par les États-Unis en Haïti en 2004.
Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a été parmi les plus ardents supporters du régime d'extrême-droite à Kiev, qui a été porté au pouvoir en février 2014 par un coup appuyé par les États-Unis et dont le fer de lance a été des forces fascistes. Ottawa a contribué aux actions agressives aériennes, navales et terrestres que l'OTAN, mené par les États-Unis, a prises pour encercler la Russie dans la région baltique et en Europe de l'Est.
Le mémorandum d'octobre 2013 de l'état-major stratégique canadien incite le Canada à renforcer son implication dans la Force de réaction de l'OTAN, qui a depuis été transformée en force de réaction rapide capable de se déployer en Europe de l'Est en quelques jours pour s'opposer à la Russie. Les stratèges militaires ont aussi suggéré l'intégration de soldats canadiens dans la Force conjointe d'expédition menée par la Grande-Bretagne, une force qui peut compter jusqu'à 10.000 soldats et qui est conçue pour répondre à des situations de crise.
Dans l'Arctique, des efforts sont déployées pour développer la collaboration avec les États-Unis sur le bouclier anti-missile. Un autre mémorandum du Département de défense nationale des États-Unis, obtenu par l'Ottawa Citizen et daté de septembre 2013, fait état de l'appui du Département pour établir un nouveau système de radar sur le territoire canadien dans le cadre du bouclier anti-missile du Pentagone.
Au Moyen-Orient, une escadrille de 9 avions de chasse canadiens, y compris les avions de combat CF-18, est impliquée dans le bombardement de cibles en Syrie et en Irak et collabore sur une base quotidienne avec l'armée américaine. Ottawa est aussi un ardent supporter des alliés de Washington dans le Golfe, particulièrement l'Arabie saoudite. L'année dernière, le régime saoudien a signé avec le gouvernement conservateur un accord de plus de $14 milliards pour des cargos blindés servant à transporter du personnel militaire. C'était le plus lucratif contrat d'armements avec un pays étranger dans l'histoire canadienne.
Dans un contexte où l'impérialisme canadien fait face à un sérieux déclin de sa position mondiale en raison de l'apparition de nouvelles puissances,et où il est dépend encore plus d'investissements à l'étranger, la grande entreprise canadienne voit son partenariat stratégique et militaire avec Washington comme étant vital pour défendre ses intérêts sur la scène mondiale.
Tout l'establishment politique est entièrement voué à continuer dans cette voie. Après les révélations de Radio-Canada sur les discussions entre les hauts gradés des armées américaine et canadienne pour rapprocher encore plus le Canada de la machine de guerre du Pentagone, tous les partis se présentant aux élections du 19 octobre sont restés silencieux.