Espagne: Podemos recrute l’ancien chef des armées comme candidat à l’élection législative

Le parti Podemos (« Nous pouvons ») a recruté l’ancien général de l’armée de l’air et chef d’état-major des armées, Julio Rodríguez Fernández, comme candidat à l’élection législative espagnole du 20 décembre. Il sera le deuxième sur la liste électorale de Podemos dans la province de Saragosse.

Hier, le gouvernement du Parti populaire (PP) conservateur a limogé Rodríguez, qui était cadre de la réserve au moment de l’annonce, pour avoir violé « le devoir de neutralité » et parla de « manque de confiance ». Rodríguez avait déjà demandé à être mis à la retraite il y a deux semaines.

Dans une conférence de presse le 4 novembre, le dirigeant de Podemos, Pablo Iglesias, a pris la décision inhabituelle dans la politique espagnole de présenter publiquement Rodríguez comme ‘ministre de la Défense de l’opposition’, c'est-à-dire ministre ‘en attente’. Si Rodríguez devient ministre de la Défense dans un gouvernement Podemos, il serait le premier militaire à diriger ce ministère depuis le général Manuel Gutiérrez Mellado qui l’avait fait durant la transition entre le régime fasciste de Franco et la démocratie parlementaire, dans les années 1970.

Lors de la conférence de presse, Rodriguez a dit que Podemos respecterait ses obligations, ajoutant qu’il défendait « le renforcement de la position stratégique de l’Espagne et de l’Europe dans l’Alliance atlantique. »

La décision de Podemos de se proposer comme plate-forme politique de l’OTAN et de l’armée espagnole pour qu’elles jouent un rôle public dans la vie politique doit mettre en garde contre son rôle tout à fait réactionnaire. La nomination de Rodríguez est une approbation sans équivoque des guerres impérialistes qui ont coûté des centaines de milliers de vies. Sous la direction de Rodriguez, l’armée espagnole a participé aux guerres néocoloniales sous commandement américain en Afghanistan (2001) et en Irak (2003).

Rodríguez a aussi joué un rôle majeur dans la guerre de l’OTAN contre la Libye en 2011. Les États-Unis et leurs alliés européens, dont l’Espagne, ont acheminé armes et équipement aux milices islamistes combattant le régime du colonel Mouammar Kadhafi, qu’ils ont eux-mêmes attaqué par une campagne de bombardements de masse. Cela s’est soldé par plus de 30.000 morts, un pays en ruines et une guerre civile entre les factions islamistes concurrentes que l’OTAN avait soutenues.

La nomination de Rodríguez est aussi un signal que Podemos répudie consciemment ses appels précédents, hypocrites et fallacieux, aux sentiments anti-guerre et anti-austérité.

Pendant que le général Rodriguez supervisait quatre chasseurs F-18, un Boeing 707 de ravitaillement, une frégate, un sous-marin et un avion de surveillance en Libye, Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, des universitaires alors inconnus, ont critiqué l’intervention « humanitaire » et « ceux soi-disant à gauche » qui avaient voté pour elle.

Mais les jours où Iglesias et Errejón essayaient d’exploiter le sentiment anti-guerre et pestaient contre l’histoire sanglante de l’armée espagnole dans leur programme de télévision locale, La Tuerka, sont bien loin.

Trois ans après la guerre en Libye, ils fondaient Podemos avec un groupe d’anciens staliniens, des universitaires et l’Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapitaliste) pabliste. Cette dernière avait soutenu l’intervention de l’OTAN, appelant à une « fourniture inconditionnelle d’armes aux rebelles [Libyens]. »

En Catalogne, Podemos forme maintenant une coalition avec les Verts (ICV) qui avaient dénoncé l’opposition à la guerre en Libye comme de « l’anti-américanisme puéril. »

L’alignement d’Iglesias sur l’état-major est un réquisitoire politique contre toutes les organisations en faillite de la classe moyenne qui ont contribué à créer ce parti populiste, réactionnaire et anti-marxiste.

Podemos était, en particulier, étroitement aligné sur Syriza (« la Coalition de la gauche radicale ») en Grèce. Comme le gouvernement Syriza d’Alexis Tsipras, parvenu au pouvoir sur la promesse de mettre fin à l’austérité, a ensuite mis en œuvre une nouvelle politique d’austérité brutale contre les travailleurs grecs, il ne peut plus y avoir de doute qu’Iglesias mènera une politique droitière semblable en Espagne. Sa rhétorique populiste n’était qu’une couverture politique pour une politique tout à fait anti-ouvrière.

De larges secteurs de la bourgeoisie admettent plus ou moins ouvertement que c’est là le rôle auquel on prépare Podemos et ils discutent de la façon de tourner cela à leur avantage.

Dans un commentaire paru dans le quotidien El País, Xavier Vidal-Folch donne la raison suivante de soutenir Podemos dans sa décision de recruter Rodríguez: « Ils n’ont pas besoin d’entrer réellement au gouvernement pour comprendre la dure réalité, contrairement à Alexis Tsipras dont la chute de cheval est arrivée tard et a gravement meurtri la citoyenneté grecque. »

C'est-à-dire qu’en alignant sa politique plus tôt et plus ouvertement sur la classe dirigeante, Podemos démoralise ses électeurs et atténue leurs attentes. Du point de vue de la classe dirigeante, c’est positif, car cela pourrait diminuer quelque peu la colère populaire qui éclaterait après que Podemos a pris le pouvoir et qu’il applique la politique de droite, comme l’a fait Syriza.

Attirant l’attention sur la « politique populiste de l’homme fort » de Podemos, Vidal-Folch critique toutefois la déclaration d’Iglesias disant que Rodríguez était « notre » ministre de la Défense. La « présence de civils aux responsabilités a été un excellent signe de la soumission permanente de l’armée au pouvoir démocratique », écrit-il, mettant en garde contre le fait de permettre aux militaires de contrôler l’armée: « Méfiez-vous des corporatismes dangereux, inefficaces et parasitaires. »

Alors qu’il appuie la ligne de droite de Podemos, Vidal-Folch s’inquiète de la nature trop flagrante de la nomination de Rodríguez et de ce que Podemos risque de se discréditer chez les travailleurs et dans la jeunesse par une politique ouvertement pro-militaire. Cela pourrait créer une situation où l’opposition de la classe ouvrière émerge en dehors du contrôle de Podemos, le principal outil utilisé cette dernière année et demie pour canaliser la colère sociale généralisée dans une direction procapitaliste.

Mais en dépit des préoccupations de Vidal-Folch, Podemos cherche activement à obtenir le soutien des forces armées. L’intégration de Rodríguez est un signe à la classe dirigeante qu’elle peut faire confiance à la politique étrangère de Podemos: au pouvoir, il irait en guerre de façon aussi impitoyable que d’autres gouvernements bourgeois.

La conférence de presse de Podemos s’est tenue le même jour que la visite du Secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg à Saragosse pour superviser l’opération « Trident Juncture », un exercice militaire impliquant 30 gouvernements différents et 35.000 soldats, 140 avions et 60 navires de guerre. Ces manœuvres visent avant tout à menacer et à intimider la Russie et la Chine.

L’Espagne est fortement impliquée dans les opérations de l’OTAN. Elle a déployé des troupes en Irak pour former l’armée irakienne pour la première fois depuis son retrait de force en 2004. Depuis 2013, les forces espagnoles ont participé à des missions militaires de l’Union européenne et ont soutenu des interventions impérialistes françaises et américaines. Elle maintient actuellement un millier de soldats en Afrique dans 10 missions terrestres, aériennes et navales.

L’an prochain, l’Espagne va entraîner la force à haut niveau de préparation de l’OTAN déployable « en quelques jours » contre la Russie. L’armée espagnole fournira 4.000 des 5.000 troupes terrestres de la nouvelle équipe d’avant-garde.

Le fait que Podemos soit en passe de devenir un champion de l’armée est avant tout un avertissement très sérieux de son hostilité implacable vis-à-vis de la classe ouvrière.

Au 20e siècle, l’Espagne a connu quatre coups d’État militaires (1923, 1932, 1936 et 1981) et deux dictatures militaro-fascistes qui, ensemble, ont duré près de cinquante ans. Son armée est directement issue de l’armée de Franco qui, dans la Guerre civile espagnole (1936-1939), a tué des centaines de milliers d’Espagnols dans un soulèvement contre-révolutionnaire.

Mais l’an dernier, Podemos a créé des cellules de son parti au sein de l’armée. L’une d’elle a publié une déclaration disant: « L’armée est nécessaire aujourd’hui, et nous ne voulons pas entrer dans le débat antimilitariste... Ce que nous croyons peut embrasser toutes les idéologies qui existent à l’intérieur de l’armée. »

Iglesias a également rencontré le président de l’Association unifiée des militaires espagnols, Jorge Bravo, et a promis de « construire un programme politique qui inclut les droits inaliénables de l’armée ». Iglesias a ajouté : « Podemos assume comme légitimes les demandes des associations militaires et promet de les défendre. »

Peu de temps après, il a inclus dans son équipe José Antonio Delgado, porte-parole de l’Association unifiée des gardes civils. Les gardes civils militarisés ont soutenu toutes les dictatures en Espagne depuis leur fondation en 1844.

(Article paru d'abord en anglais le 7 novembre 2015)

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