De nombreuses informations des médias ont révélé ces derniers jours que la plupart des islamistes impliqués dans les attentats-suicides de Paris où ont été tuées 130 personnes, et leur organisateur présumé, étaient connus des services de sécurité français et belges bien avant le 13 novembre. Mais aucun service de renseignement ou de police n’a pris de mesures pour les empêcher de déclencher leur violence meurtrière.
Il est remarquable que ces faits aient paru dans les médias américains qui ont eux-mêmes des liens étroits avec des services de renseignement – le New York Time, le Washington Post, CNN – ainsi que l’officielle Voice of America et le journal israélien Haaretz.
Le New York Times a noté dans un éditorial connexe, « La plupart des hommes qui ont perpétré les attentats de Paris étaient déjà sur le radar des responsables du renseignement en France et en Belgique, où plusieurs des assaillants n’habitaient qu’à quelques centaines de mètres du commissariat principal, dans un quartier connu pour être un refuge d’extrémistes ».
Le Washington Post a résumé la situation comme suit: «Les autorités belges avaient des proches contacts avec certains des hommes soupçonnés d'être derrière les attaques terroristes sanglantes de Paris la semaine dernière, un schéma de comportement qui soulève des questions quant à la facilité des suspects à passer à travers les mailles du filet des responsables de la police ».
Le second en importance des sénateurs démocrates, Dick Durbin de l'Illinois, a dit que plusieurs des auteurs des attentats figuraient sur des listes d’interdiction de vols, indiquant ainsi qu'ils étaient bien connus aussi du renseignement américain.
La plupart des articles notent que les Etats-Unis, la Turquie et l'Irak ont tous averti la France avant les attaques du 13 novembre que des complots se préparaient; la Turquie a effectivement fourni le nom d'un des hommes impliqués, Ismael Omar Mostefai, connu des autorités françaises depuis 2010. Mostefai s’est rendu en Syrie en 2013, malgré une « fiche S» le signalant comme un risque pour la sécurité et est rentré en France l’année suivante. Il faisait partie des assaillants qui ont massacré, avant de se suicider, près d’une centaine de personnes à la salle du Bataclan.
Un autre attaquant du Bataclan, Samy Amimour, a été arrêté par la police française en octobre 2012, accusé de complot terroriste. Selon le NYT: « Soupçonnant qu'il avait l'intention d'aller au Yémen pour s’y battre, les autorités ont confisqué son passeport et l'ont placé sous contrôle judiciaire, ce qui signifie qu'on l’a empêché de voyager et qu’il a dû se présenter régulièrement aux autorités. Néanmoins, un an plus tard, M. Amimour a réussi à prendre le chemin de la Syrie inaperçu ».
Le Monde a rapporté en décembre dernier qu’Amimour était en contact mensuel par Skype avec sa famille et que son père s’était rendu en Syrie pour essayer de le convaincre de revenir au pays. La police n'a pas interrogé le père à son retour et Amimour est rentré à Paris sans être inquiété au cours de la même année.
Bilal Hadfi, un des kamikazes du Stade de France, était connu des autorités belges depuis qu’un enseignant de sa classe dans une école bruxelloise avait rapporté ses commentaires en faveur du massacre de Charlie Hebdo. Une porte-parole du ministère de la Justice a déclaré au Washington Post qu’il était allé ensuite en Syrie d'où il postait sur Twitter des commentaires dénonçant les forces pro-occidentales comme «infidèles» et avertissant que les pays intervenant en Syrie « ne devraient plus se sentir en sécurité, pas même dans leurs rêves ».
«Nous savions que Hadfi avait voyagé en Syrie et en était revenu », à dit au Post une porte-parole de la police belge. Après son retour en Belgique, « Pendant deux semaines, les services de sécurité ont mis la ligne téléphonique de la maison où il vivait à Molenbeek sur écoute », a rapporté le journal. Hadfi était bien connu comme islamiste radical ayant combattu en Syrie et figurait sur les listes tenues par un groupe conseillant la police et un journaliste belge. En novembre il est allé à Paris en voiture et a pris part à l'attentat.
Ibrahim Abdeslam était l'un des kamikazes à un des cafés parisiens attaqués. Il était Belge lui aussi et connu pour avoir tenté de rejoindre la Syrie en février 2015 mais détenu et refoulé par les autorités turques. Il était connu de la police comme associé de longue date d’ Abdelhamid Abaaoud, le numéro un de l’Etat islamique (EI) en Belgique. Son jeune frère Salah, 26 ans, censé être le seul attaquant encore en vie, a été arrêté trois fois par la police française lors de son retour en Belgique depuis Paris, la nuit du 13 au 14 novembre. On l’a laissé partir à chaque fois.
Puis, il y a le cas du principal organisateur présumé des attentats, Abaaoud, tué dans une fusillade avec la police française tôt le matin du 19 novembre, ainsi qu’un homme non encore identifié et une femme, sa cousine. Abaaoud était une voix publique bien connue de l’EI, interviewé en février dans son magazine en ligne Dabiq sous le nom d'Abou Omar al-Baljiki.
Dans cette interview, décrite par Voice of America, Abaaoud « s’est vanté de la façon dont il pouvait agir au grand jour en Belgique et ne jamais se faire prendre ». Il a ajouté, « Mon nom et ma photo étaient partout dans les médias, mais j’étais en mesure de rester dans leur patrie, planifier des opérations contre eux et de partir en toute sécurité quand cela s’imposait ». Une fois, il a été arrêté par la police, mais elle l'a laissé partir, soi-disant sans l’avoir reconnu. Il était pourtant si notoire qu’un tribunal belge l'avait condamné à 20 ans de prison, par contumace, parce qu’il recrutait de jeunes Belges pour aller se battre avec l’EI.
Abaaoud attribuait bien son invisibilité apparente à une intervention divine en faveur des fondamentalistes islamiques, mais il y a une explication plus simple. Une grande partie du temps où Abaaoud a été actif pour l’Etat islamique, le groupe a fonctionné comme une composante de la campagne anti-Assad soutenue par les Etats-Unis, la France, la Belgique et d’autres pouvoir impérialistes en Syrie.
Jusqu’en juin 2014 où les militants de l’EI ont pénétré en Irak et pris le contrôle de Mossoul, menaçant le régime pro-américain de Bagdad, les activités du groupe étaient tolérées, voire encouragées. Même après Mossoul, la «coalition» soutenue par les USA a mené une campagne de bombardements sporadiques qui suggère que l’EI était, du moins en Syrie, toujours considéré comme un atout impérialiste potentiel.
Cela suit un schéma qui remonte aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York et Washington DC: les groupes terroristes islamiques fondamentalistes, dont Al-Qaïda, l’EI et leurs innombrables ramifications, ont leurs origines dans les opérations secrètes des agences de renseignement impérialistes, en particulier celles des États-Unis.
Al-Qaïda est issu des forces arabes impliquées dans l'intervention américaine dirigée contre le régime pro-soviétique en Afghanistan dans les années 1980; la guerre en Irak a créé le précurseur de l’EI; la campagne de subversion appuyée par les Américains en Syrie a transformé le groupe en force puissante, capable d’occuper des territoires de part et d’autre de la frontière syro-irakienne.
Il existe un autre schéma: les attaques terroristes menées par des groupes créés et armés par les impérialistes deviennent le prétexte d’une nouvelle extension des pouvoirs sécuritaires de l’Etat. Dans le sillage des attentats de Paris, les services de renseignement des puissances impérialistes, en particulier la CIA, la NSA et le FBI américains, ont lancé une furieuse campagne pour tirer profit de l'atrocité.
De hauts responsables américains de la sécurité ont fait une suite de discours faisant porter la responsabilité de la dernière attaque terroriste aux révélations d’Edward Snowden, au cryptage fourni par les fabricants de smartphones et d’autres équipements de communication et aux quelques restrictions légales encadrant l'espionnage gouvernemental.
Le caractère bidon de ces arguments apparaît si l’on regarde ce qui s’est réellement passé à Paris. La police française a récupéré l'un des portables utilisés par les assaillants et y a trouvé non cryptés des SMS et des données GPS qui lui a permis de repérer Abaaoud et d'autres qui auraient fait partie du réseau de soutien aux attaques. Il n'y a aucune preuve que les assaillants aient utilisé des communications cryptées, ou qu’ils en aient eu besoin, étant donné le feu vert de fait qu’ils avaient pour mener leurs opérations.
Il est impossible, avec le peu d'informations rendues publiques à ce jour de donner un compte rendu complet et définitif de ce qui s’est produit à Paris le 13 novembre, sans même parler des origines de l’événement dans le monde ténébreux où se croisent opérations de renseignement et terrorisme islamiste.
Deux conclusions cependant sont inéluctables: 1) La propagande officielle sur cette attaque terroriste, et d'autres, visant à paniquer l'opinion publique pour la ranger derrière l'Etat et les services de renseignement, se fonde sur des demi-vérités et des mensonges. 2) Les gouvernements impérialistes dont les guerres brutales de pétrole et d'avantage géopolitique au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie centrale ont créé les conditions de l’essor de ces organisations terroristes islamistes (avec lesquelles ils ont collaboré) se servent à nouveau d’une atrocité terroriste comme prétexte pour réaliser des plans faits de longue date, pour une escalade militaire à l'extérieur et pour l'abrogation des droits démocratiques à l’intérieur.
(Article original publié le 21 novembre 2015)