Le président François Hollande a rencontré jeudi le président russe Vladimir Poutine à Moscou pour y discuter de la lutte contre l’État islamique en Irak et en Syrie (EI), deux jours après que des avions de chasse turcs ont abattu un bombardier russe le long de la frontière turco-syrienne.
Cela faisait partie d’une offensive diplomatique montée par Paris en réponse aux attaques terroristes de l’EI le 13 novembre à Paris; le gouvernment français tente de rallier la Russie et d’autres pouvoirs européens autour de ses objectifs de politique étrangère en Syrie. Hollande était accompagné du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian et du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius.
La campagne diplomatique de Hollande avait été sapée par la descente d’un bombardier russe Su-24 par des chasseurs turcs mardi, au moment où Hollande se rendait à Washington et préparait des négociations avec de hauts responsables allemands et italiens cette semaine.
Obama a rapidement déclaré son soutien au gouvernement turc et été net sur le fait que les États-Unis étaient opposés aux bombardements russes qui appuient les forces du président syrien Bachar al-Assad dans l’ouest de la Syrie.
Après sa rencontre avec Obama, Hollande a dit, « Toute escalade serait extrêmement dommageable par rapport à la seule cause qui convienne, qui est de lutter contre le terrorisme et contre Daech (EI) ».
Poutine, qui était allé à Téhéran pour des entretiens avec le gouvernement iranien, a souligné son opposition au renversement d’Assad comme condition préalable à des négociations, soulignant « une identité de vue totale » entre la Russie et l’Iran sur la crise syrienne.
Lorsque Hollande a rencontré Poutine au Kremlin, cependant, Poutine l’a accueilli à bras ouverts, déclarant : « Vous fournissez beaucoup d’efforts à la création d’une vaste coalition antiterroriste. La Russie est prête à une telle coopération… Nous pensons que cette coalition est absolument nécessaire ».
Hollande, pour sa part, a également déclaré qu’il voulait collaborer avec la Russie dans une « large coalition… pour que l’ensemble des pays agissent contre le terrorisme et contre Daech ».
Plus tard, Poutine a ordonné aux forces militaires russes engagées dans la campagne de Moscou de frappes aériennes en Syrie d’établir un « contact direct » avec leurs homologues français et « de les traiter comme des alliés. »
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a également salué la proposition du gouvernement français que la frontière turco-syrienne soit fermée. Cette mesure – qui signifierait que la plupart des réfugiés syriens ne pourraient plus échapper à la guerre – a ostensiblement pour but de bloquer la circulation de l’argent et des armes depuis la Turquie vers les milices islamistes d’opposition en Syrie. Cependant, le gouvernement turc s’y oppose.
Les principaux points abordés lors de la réunion Hollande-Poutine comporteraient: un renforcement de la coopération du renseignement entre la France et la Russie; qu’aucune force combattant l’EI en Syrie ne soit ciblée; et que les frappes contre l’EI soient intensifiées, en particulier celles contre ses livraisons de pétrole via la Turquie en vue de leur vente sur les marchés internationaux.
La tentative de Hollande de bricoler une relation plus étroite avec la Russie est tout à fait réactionnaire et truffée de contradictions politiques. Le gouvernement français, comme tous les principaux pouvoirs de l’OTAN, dont Washington, est clairement pour la poursuite d’un changement de régime en Syrie. En dernière analyse, l’appel de Hollande à une grande « coalition » tente de rallier l’oligarchie capitaliste russe à la politique de l’impérialisme français et à une sorte de compromis, acceptable aux factions les plus belliqueuses au sein de l’OTAN.
La réponse enthousiaste du régime de Poutine à ces propositions, même après que les forces turques soutenues par Washington ont abattu un de ses bombardiers, témoigne de la faillite de l’oligarchie capitaliste postsoviétique et de sa recherche constante d’un accommodement avec l’impérialisme.
Le soutien de Washington pour l’acte de guerre de la Turquie contre la Russie mardi dernier est un signal clair qu’il considère comme inacceptable la stratégie de coopération limitée avec la Russie proposée par Hollande. La politique actuellement menée par l’OTAN consiste à menacer constamment la Russie, une puissance nucléaire majeure, de guerre – un cours d’action irresponsable menaçant de déclencher une guerre nucléaire mondiale.
Il est loin d’être clair que des secteurs de la bourgeoisie européenne commenceront à appliquer sérieusement la politique discutée entre Poutine et Hollande – qui impliquerait des liens plus étroits avec les services de sécurité russe et le régime syrien. Cependant, le soutien américain à l’attaque turque du jet russe montre clairement que si les pouvoirs européens le faisaient, cela produirait très rapidement un sérieux affrontement avec Washington.
Cela souligne les énormes tensions internationales, diplomatiques et militaires qui sous-tendent les discussions entre les pouvoirs européens eux-mêmes. Dans le cadre de son blitz diplomatique qui a culminé avec sa rencontre avec M. Poutine jeudi, Hollande a également rencontré plusieurs chefs d’États européens : le Premier ministre britannique David Cameron lundi, la chancelière allemande Angela Merkel mercredi et le Premier ministre italien Matteo Renzi vendredi.
Hollande et Cameron se sont vite mis d’accord sur l’escalade des opérations militaires en Syrie et la répression domestique comme l’état d’urgence en France. Après avoir rencontré Hollande et donné aux avions de combat français le feu vert pour opérer à partir de la base aérienne britannique de Chypre, Cameron est retourné à Londres pour proposer des milliards de livres d’augmentation des dépenses militaires.
Avec Merkel, Hollande a poussé à une nouvelle escalade de l’intervention allemande, déclarant, « si l’Allemagne pouvait aller plus loin, ce serait un très bon signal dans la lutte contre le terrorisme... » Depuis, le gouvernement allemand a décidé d’envoyer des chasseurs Tornado et un navire de guerre en Syrie.
Renzi, tout en soutenant les mesures diplomatiques et militaires de la France contre l’EI, était nettement plus réservé, il souligna la nécessité de résoudre la guerre civile acharnée qui a suivi la guerre de changement de régime de l’OTAN en 2011 en Libye. Ancienne colonie italienne aux réserves pétrolières massives, la Libye s’est effondrée au cours de combats sanglants et des dizaines de milliers de réfugiés fuient le pays.
« Nous suivons avec beaucoup d’intérêt le processus de Vienne en ce qui concerne la Syrie et nous nous sommes particulièrement engagés pour ce que cette fenêtre d’opportunité qui s’est ouverte au niveau diplomatique puisse s’élargir à la Libye », a dit Renzi.
(Article paru d’abord en anglais le 28 novembre 2015)