La région de Bruxelles était toujours verrouillée lundi après la déclaration par les autorités belges d’une situation d’urgence sécuritaire dans la nuit du 20 au 21 novembre. Le gouvernement a ordonné la fermeture du métro et des principaux lieux publics et dit aux habitants de rester chez eux, invoquant le danger d’attentats similaires à ceux commis à Paris par l’État islamique (EI) le 13 novembre.
Des forces de police lourdement armées ont mené une chasse à l’homme à grande échelle dans plusieurs quartiers de Bruxelles durant le week-end. Les autorités ont ordonné aux habitants de rester loin des fenêtres et aux clients des hôtels de ne pas en sortir. La police a imposé le black out des informations durant les opérations, demandant aux gens de la région de ne publier sur les médias sociaux ni informations ni mises à jour de la situation.
Les procureurs fédéraux belges avaient fait une brève annonce sur l’opération dans la nuit de samedi à dimanche. Selon la Radio-Télévision belge francophone (RTBF) elle était en préparation depuis plusieurs jours. Son objectif était soi-disant de retrouver Salah Abdeslah, un membre présumé de l’équipe de l’EI ayant sévi à Paris. Les procureurs ont dit alors que la police n’avait trouvé ni armes ni explosifs. Et lundi, malgré l’ampleur des opérations, Abdeslah n’était toujours pas retrouvé.
On ne sait toujours pas ce qui a motivé l’opération de police et le verrouillage de Bruxelles, ou pourquoi une telle opération, prétendument soigneusement préparée, a échoué à trouver quoi que ce soit. Les journalistes de la RTBF ont rapporté que les séances officielles d’information étaient « avares de commentaires»
Après un rapport de l’OCAM (Organe de Coordination pour l'Analyse de la Menace) sur la situation dimanche, le gouvernement belge a annoncé qu’il maintiendrait les écoles, les universités et le métro de Bruxelles fermés lundi. Les autorités ont confirmé que ces fermetures avaient été maintenues même après la fin de l’opération de police du week-end.
Les mesures d’urgence avaient été annoncées samedi par le premier ministre belge Charles Michel qui a fait état d’avertissements non spécifiques de la part de l’OCAM.
« Cela résulte d’informations, relativement précises, d’un risque d’attentat tel que cela s’est déroulé à Paris. On parle donc de menace portant sur une hypothèse où plusieurs individus avec des armes et des explosifs démarrent des actions, peut-être même à plusieurs endroits en même temps », a-t-il expliqué.
L’avertissement de l’OCAM a entraîné l’élévation du niveau d’alerte de l’État belge à quatre, le maximum. « Le niveau 4, tel qu’il est décidé pour Bruxelles, suppose donc une menace ‘sérieuse et imminente’ selon les termes de la loi qui organise les niveaux entre 1 et 4 dans notre pays », a ajouté Charles Michel.
Des responsables belges ont ensuite fait plusieurs déclarations contradictoires sur le caractère de la menace. Samedi, Le Soir citait des rapports de police disant que deux terroristes étaient à Bruxelles, transportant une bombe comme celles déclenchées en dehors du Stade de France à Paris le 13 novembre.
Dimanche, lors d’une conférence de presse avec les ministres de la Justice, de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, Michel faisait de nouveau entendre qu’il s’agissait d’une opération terroriste sensiblement plus importante. « Nous redoutons une attaque similaire à Paris dans l’ensemble du pays avec plusieurs individus qui lancent des offensives à plusieurs endroits en même temps », a-t-il dit. « La menace est considérée comme sérieuse et imminente, comme hier. »
Les attaques terroristes de Paris ont provoqué une grave crise pour l’impopulaire et réactionnaire gouvernement Michel. Il cherche à profiter de l’hystérie policière déclenchée après les attentats de Paris et à redorer le blason de sa coalition MR-ANV en fait de Loi et d’Ordre, mais il est aussi de plus en plus critiqué au plan international depuis qu’il est connu que plusieurs attaquants de l’EI sont venus à Paris de Belgique.
Le gouvernement Michel est une coalition instable du petit Mouvement réformateur (MR) francophone et libre-marché de Michel et de divers partis flamands de droite et d’extrême droite, menés par la Nouvelle alliance flamande (NVA) qui prône le séparatisme flamand. Au cours de la dernière année, il a été touché par des grèves de protestation répétées alors que la colère monte dans la classe ouvrière vis-à-vis de sa politique d’austérité. Il est aussi dans la critique en raison de ses sympathies d’extrême- droite.
Le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, (NVA) a provoqué un scandale l’an dernier lorsqu’on vint à connaitre sa réunion en 2001 avec le Sint-Maartenfonds, l’organisation d’anciens combattants des SS belges ayant combattu pour les nazis contre l’URSS dans la Seconde Guerre mondiale. Jambon a donné une entrevue à La Libre Belgique où il minimisait la collaboration avec le nazisme en Belgique, disant: « Les personnes qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons. » Il a appelé la collaboration une « erreur » parce qu’après, « le mouvement nationaliste flamand [avait] été isolé pour des décennies. »
Dans son discours du 19 novembre devant le parlement belge, Michel a adopté un ton belliqueux à l’égard des combattants islamistes revenant de la guerre syrienne en Europe et dit : « Les djihadistes qui rentrent, leur place est dans les prisons. »
Mais en même temps, il s’est senti obligé de répondre à l’escalade d’attaques venues des responsables français, qui ont accusé Bruxelles de l’échec étourdissant des renseignements français à détecter les attaques du 13 novembre (voir: Attentats de Paris : les terroristes ont agi « au grand jour »). Ceux-ci ont affirmé que les autorités belges ne les avaient pas averti des agresseurs vivants à Molenbeek, quartier de Bruxelles d’environ 100.000 habitants et large communauté immigrée à fort chômage.
Le ton de plus en plus hystérique des médias français est incarné par la remarque d’Éric Zemmour, commentateur de radio et propagandiste d’extrême-droite qui a appelé la France à bombarder la Belgique: « Au lieu de bombarder Raqa [capitale de la région tenue par l’EI en Syrie], la France devrait bombarder Molenbeek d’où sont venus les commandos du vendredi 13. »
Le 19 novembre, Michel a déclaré : « Je n’accepte pas les critiques qui ont visé nos services de sécurité, » ajoutant que la responsabilité des renseignements français était au moins au même niveau que celle de leurs homologues belges.
Le conflit entre les responsables de Bruxelles et Paris souligne que les attentats de Paris et l’actuelle répression policière dans toute l’Europe sont le produit du soutien de l’OTAN aux milices islamistes dans la guerre de changement de régime contre le président syrien Bachar al-Assad. Bénéficiant du soutien officieux d’autorités européennes, elles ont réussi à recruter plusieurs milliers de jeunes de toute l’Europe pour la guerre en Syrie.
Philippe Moureaux, ancien maire de Molenbeek, a donné une interview au Soir exprimant du regret d’avoir aidé les milices anti-Assad d’où est sorti l’EI. « Quand il y a eu les premiers départs pour la Syrie, on était presque en train de les encourager. Parce qu’ils allaient lutter contre un monstre. Nous n’avons pas compris les risques. Nous n’avons pas fait assez pour ces jeunes et, encore une fois, je porte une certaine responsabilité pour cela », a-t-il dit.
Maintenant que ces forces sont de retour en Europe, les gouvernements impopulaires du continent se saisissent des attentats qu’elles montent pour lancer des attaques draconiennes sur les droits démocratiques de la population. Après que les autorités françaises ont imposé l’état d’urgence et suspendu les droits démocratiques de base pour trois mois et qu’elles se préparent à inscrire l’état d’urgence de façon permanente dans la Constitution française, le gouvernement belge a annoncé sa propre série de mesures sécuritaires.
Il a l’intention de s’octroyer de nouveaux pouvoirs pour imposer des mesures extraordinaires pendant l’état d’urgence, de développer un « plan de prévention et de répression » pour la zone de Molenbeek et d’élargir les pouvoirs de recherche, de saisie et de surveillance de la police. D’autres mesures comprennent une augmentation de €400 millions des dépenses de sécurité, des contrôles renforcés aux frontières, plus de 520 postes militaires supplémentaires et l’élimination des cartes anonymes d’appel prépayées.
(Article paru d’abord en anglais le 23 novembre 2015)