Mardi, un tribunal contrôlé par une milice islamiste à Tripoli a condamné le fils de Mouammar Kadhafi, le chef de l’État libyen assassiné, et huit autres à mort par peloton d’exécution.
Abdallah Senoussi, l’ancien chef des renseignements de Kadhafi, et deux anciens premiers ministres, Baghdadi Mahmoudi et Abuzed Dorda sont également parmi les condamnés à mort.
Huit autres anciens responsables ont été condamnés à la prison à vie dans le procès de masse, tandis que sept ont été condamnés à des peines de prison de 12 ans. Quatre ont été acquittés.
Saif Kadhafi, largement considéré comme le deuxième personnage le plus puissant de l’ancien régime, a été fait prisonnier alors qu’il tentait de fuir la Libye en novembre 2011. Après six mois de guerre, des États-Unis-OTAN avaient réussi à renverser son père, qui avait été capturé, torturé et assassiné par des miliciens islamistes le mois précédent.
Hillary Clinton, la secrétaire d’État à l’époque, maintenant la favorie pour l’investiture démocrate à l'élection présidentielle, s'est vantée du meurtre horrible et a déclaré en riant : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort. »
Saif Kadhafi a été jugé par contumace, car il est détenu par une milice à Zintan qui rejette l’autorité du régime de Tripoli. Tripoli est contrôlée par une milice islamiste, l’Aube Libyenne, depuis un an, quand cette dernière a chassé le Conseil des députés, élu lors d'une élection de juin 2014 à laquelle à peine 18 pour cent de l’électorat a participé. Le conseil a fui à Tobrouk, d'où il ne contrôle qu'une petite partie du pays, mais il est toujours reconnu internationalement comme le gouvernement de la Libye.
Des responsables de l'ONU, des groupes de droits de l’homme et même le régime croupion exilé à Tobrouk ont tous condamné le procès et le verdict comme illégitimes.
Bien que présenté comme un règlement de comptes entre la « révolution » proaméricaine et l’ancien régime, le procès n'a été qu'une indication de plus de la désintégration de la Libye depuis la guerre lancée contre le pays il y a quatre ans. La guerre civile qui perdure en Libye, qui a tué des milliers de personnes et a transformé des millions en réfugiés, a largement éclipsé le drame judiciaire truqué, qui s'est déroulé au milieu de l'indifférence populaire en Libye.
Les anciens responsables ont été accusés de meurtres et de répression sur la période juste avant l'intervention des États-Unis et l'OTAN, qui a été promue comme une intervention pour sauvegarder les « droits de l'homme » et éviter un massacre prétendument imminent à Benghazi, une ville qui avait été envahie par les rebelles islamistes soutenus par les US.
En réalité, il n’y avait aucune preuve qu’un tel meurtre de masse ait été en cours de préparation. Finalement, dix fois plus de personnes sont mortes pendant les bombardements de l’OTAN et les attaques des milices islamistes qu'aux mains des forces gouvernementales dans les affrontements précédant l’intervention.
Dire des procédures au courant desquelles Saif Kadhafi et les autres anciens responsables ont été condamnés qu'elles étaient une parodie relève de l'euphémisme. Kadhafi n'était même pas dans la salle d'audience. Il n' pu suivre les débats par vidéo que trois fois au début du procès il y a plus d'un an.
Aucune preuve impliquant les prévenus individuels dans des actes criminels n’a été présentée ; les avocats qui défendaient Kadhafi n'ont pu publiquement interroger aucun témoin. Les seules témoignages étaient des aveux extorqués sous la torture.
Certains des accusés, dont Senussi, ne disposaient même pas d'avocats. Ceux qui avaient un avocat en ont été privés d’accès. Les avocats de la défense se sont vu refuser des documents de base, tout en faisant face à des menaces et même des agressions physiques.
Un moniteur du procès de l'ONU a même été fait prisonnier par des miliciens dans la salle d'audience et accusé de pratiquer la magie noire.
John Jones, l’avocat de Saif Kadhafi, nommé par la Cour pénale internationale, a dénoncé la procédure comme un « procès-spectacle complet, une farce. »
« Ce procès est effectivement géré par les milices de l’Aube Libyenne », a-t-il déclaré. Les procureurs, a-t-il ajouté, « se fondent sur des aveux des accusés arrachés sous la torture. Ceci a été condamné même par le ministère de la Justice de la Libye comme illégal. »
Basé à Londres, l’avocat de Senoussi, Ben Emmerson QC, qui s'était aussi vu refuser l’accès à son client, a publié une déclaration accusant « l’extrême peur, l’insécurité et l’intimidation » qui ont dominé le procès. « La peine de mort qui vient d’être prononcée contre Abdullah al-Senoussi est la décision la plus déplorable d'une affaire dans laquelle chacun de ses droits fondamentaux à un procès équitable et une procédure régulière ont été complètement ignorés, » a-t-il ajouté.
Cette parodie de procès ne sert que de preuve supplémentaire des véritables crimes contre la Libye qui doivent encore être poursuivis – ceux commis par le président américain Barack Obama, le président français Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron, qui ont lancé une guerre agressive pour renverser le gouvernement libyen et piller ses richesses pétrolières, la plus grande réserve prouvée sur le continent africain.
Ce crime fondamental a produit une interminable série d’atrocités : des dizaines de milliers de migrants ont trouvé la mort en fuyant la Libye à travers la Méditerranée pour l’Europe, aux meurtres sectaires et aux décapitations effectués par l’État islamique (EI) en Irak et en Syrie. Ce dernier a établi maintenant une présence en Libye, un pays où les milices islamistes n’avaient aucune influence significative auparavant.
Une des pires attaques terroristes récentes, le massacre de 39 touristes en Tunisie, a été réalisée par un ressortissant tunisien formé en Libye, puis renvoyé en Tunisie pour commettre des massacres.
Une indication de la criminalité de la politique impérialiste envers la Libye est la révélation cette semaine, dans les documents nouvellement publiés, que Londres a dépensé 13 fois plus d’argent à bombarder la Libye qu’il a contribué depuis à la reconstruction du pays dévasté à la suite de la guerre des États-Unis et de l’OTAN de 2011.
Des dossiers du Parlement britannique chiffrent le coût de l’intervention britannique en 2011 à 320 millions de livres sterling, tandis que dans les quatre ans depuis l’offensive militaire, le Royaume-Uni n'a donné que 25 millions de livres pour la reconstruction et la stabilisation du pays.
Auparavant, le gouvernement Cameron avait tenté de maintenir le secret sur le coût de l’intervention ; des ministres du gouvernement évoquaient « dizaines de millions » consacrées à la guerre.
Les ratios correspondants pour les États-Unis, la France et toutes les puissances belligérantes de l'OTAN sont sans doute semblables, voire pires.
Les révélations ont été rejointes par l’annonce que la Chambre des communes lancera une enquête sur le rôle de la Grande-Bretagne dans le renversement de Kadhafi et de sa responsabilité pour le chaos qui a englouti la Libye depuis.
Crispin Blunt, le président conservateur de la Commission des affaires étrangères, a dit au Guardian : « Cela a été finalement une catastrophe pour le peuple de Libye. A présent, il y a un problème croissant pour nous, notre ennemi incontestable l’EI commence à établir son contrôle sur des parties de la Libye. En plus, la crise de la migration — n’importe quelle région où l’autorité étatique s’est effondrée pose évidemment des problèmes pour nous à travers le monde. »
Imperturbable, Cameron a indiqué sa volonté de renouveler les attaques militaires britanniques sur la Libye lors d’une visite d’État en Indonésie.
« S’il y a une menace pour la Grande-Bretagne, pour notre peuple ou pour nos rues et nous pouvons l’arrêter avec des mesures immédiates contre cette menace, alors, en tant que Premier ministre, je vais toujours essayer de prendre de telles mesures. C’est le cas si ce problème émane de Libye, de Syrie, ou d'ailleurs », a-t-il dit.
L’Administration Obama, quant à elle, cherche un accord avec un des pays voisins en Afrique du Nord installer une base de drones américains afin de mener à bien des frappes renouvelées contre la Libye.
(Article paru d'abord en anglais le 29 juillet 2015)