Le gouvernement conservateur et les médias de la Grande-Bretagne ont affiché une xénophobie ouverte en réaction à des tentatives de migrants au port français de Calais d’entrer au Royaume-Uni par le tunnel sous la Manche.
Les efforts désespérés des migrants pour entrer en Grande-Bretagne ont conduit à la mort mardi soir d’un Soudanais qui a été frappé par un camion qui quittait un ferry transmanche. Un porte-parole d’Eurotunnel, qui gère la traversée de la Manche, a déclaré mercredi: «Notre équipe a trouvé un cadavre ce matin et les pompiers ont confirmé la mort de cette personne.»
Deux autres migrants soudanais, tous les deux d’une trentaine d’années, se remettaient de leurs blessures à l’hôpital après avoir été frappés par des trains à grande vitesse lundi.
Cette tragédie a été traitée comme un simple détail dans les reportages sensationnels d’un terminal «pris d’assaut» par 1.500 à 2.000 migrants, comme s’ils assiégeaient le tunnel – une perception renforcée par la décision d’Eurotunnel de fermer la porte «utilisée dans le cas d'un attaque terroriste», selon Sky News.
Il a été révélé par la suite que le chiffre cité dans les grands titres faisait référence au nombre total de tentatives individuelles, effectuées assez souvent par les mêmes personnes.
Le chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, Nigel Farage, a réclamé l’intervention de l’armée pour aider à fouiller les véhicules arrivant en Grande-Bretagne afin de débusquer les immigrants illégaux. Kevin Hurley, le commissaire de police du comté du Surrey, a indiqué une préférence pour le déploiement de Gurkhas (soldats indiens). «Les Gurkhas constituent une force respectée et compétente, et ils ne sont pas loin. Ils pourraient nous aider à empêcher la traversée illégale de notre frontière», a-t-il déclaré.
Les conservateurs ont répondu en annonçant la convocation d’une réunion d’urgence du comité Cobra sur la sécurité nationale, présidé par la ministre de l’Intérieur, Theresa May.
Le Premier ministre David Cameron a été cité à plusieurs reprises depuis Singapour, où il a exprimé sa «sympathie» aux vacanciers britanniques, avant d’ajouter: «Nous travaillons en étroite collaboration avec les Français» et «nous avons investi de l’argent dans la clôture autour de Calais, y compris la clôture autour de l’entrée du tunnel».
Il faisait allusion à une annonce faite plus tôt ce mois-ci par la ministre de l’Intérieur, May, d’un supplément de 7 millions de livres sterling, au-delà d’un montant de 12 millions de livres déjà convenu, pour renforcer la sécurité au terminal ferroviaire du tunnel sous la Manche à Coquelles, après une réunion avec le ministre de l’Intérieur de la France, Bernard Cazeneuve. Cela implique la mise en place de deux kilomètres de clôtures de chaque côté de la plate-forme à Coquelles, le matériel devant provenir de la barrière de sécurité utilisée lors du sommet de l’OTAN au Pays de Galles l’an dernier.
Sautant de nouveau sur une occasion de pontifier, Cameron a mis en cause «le cancer de la corruption» et «la faible croissance économique» dans les pays plus pauvres qui poussent les migrants à quitter leur pays d’origine pour se rendre au Royaume-Uni.
Suite à la réunion du comité Cobra, May a adopté une attitude churchillienne: «Nous cherchons à présent à améliorer la sécurité en tête de ligne, à Coquelles, de façon à nous assurer que les gens n'essaient pas de s'introduire dans le tunnel», a-t-elle dit. Ce sera fait en collaboration avec la France – «en ce qui concerne l’ordre public et la sécurité à la frontière... Eurotunnel a un rôle à jouer dans les mesures qu’il a lui-même mises en place pour protéger ses trains».
Priée de dire si elle comptait faire appel à l'armée, May a déclaré: «L'essentiel est de mettre en place la bonne solution de sécurité à Coquelles et en fin de compte, la réponse à ce problème est de réduire le nombre de migrants qui tentent d’entrer en Europe depuis l'Afrique.» Cela impliquait en particulier «le travail que nous allons faire avec les Français sur le renvoi de personnes vers l’Afrique de l'Ouest», a-t-elle dit.
Le Parti travailliste ne voulait absolument pas être devancé par les conservateurs. Harriet Harman, chef par intérim du parti, a réclamé des expulsions. «Depuis déjà neuf mois, nous exigeons du gouvernement qu’il s’en occupe et qu’il règle ce problème», a-t-elle affirmé. «Ce que le gouvernement doit faire est d’obliger les Français à traiter les 3.500 à 4.000 personnes qui sont massées à Calais en montant des dossiers sur eux. Soit ils sont des authentiques demandeurs d’asile qui devraient recevoir l’asile, ou bien ils devraient être expulsés. Le gouvernement aurait dû le faire il y a des mois.»
Elle a été soutenue par le député travailliste Keith Vaz, président de la commission aux affaires intérieures de la Chambre des communes, qui a dit que les migrants doivent être renvoyés dans leur pays d’origine une fois qu’ils montrent leur désintérêt à obtenir le droit de rester en France.
En réponse aux efforts désespérés de migrants pour atteindre le Royaume-Uni, un porte-parole d’Eurotunnel a publié une déclaration dont l’insensibilité est à couper le souffle, expliquant qu’«il y avait des dommages à nos clôtures, que nous devrons réparer, alors qu’ils tentaient de monter à bord des navettes. Heureusement, il n’y avait pas de dommage aux navettes. Malheureusement, un certain nombre de personnes ont été blessées.»
La société, dont le bénéfice net s’élevait à 101 millions d’euros en 2013, a répondu aux critiques des gouvernements britannique et français qu’elle ne faisait pas assez pour arrêter les migrants par un communiqué expliquant que son personnel de sécurité avait arrêté 37.000 tentatives de se rendre au Royaume-Uni par le tunnel sous la Manche depuis janvier. Le directeur des Affaires publiques d’Eurotunnel, John Keefe, a dit que la compagnie a dû faire appel à la police française 28.000 fois entre janvier et juin pour déloger les migrants qui avaient franchi les clôtures de sécurité.
Eurotunnel a dépensé 13 millions d’euros pour le renforcement de la sécurité au terminal de Calais, montant pour lequel il cherche compensation auprès des gouvernements britannique et français.
L’idée que la Grande-Bretagne est assiégée par des hordes de migrants sert non seulement à cacher, mais aussi à justifier, une tragédie humaine d’une ampleur monumentale, dont les gouvernements britannique et français et leurs homologues en Europe et aux États-Unis sont pleinement responsables.
Les migrants à Calais et à Coquelles ne représentent que 3000 à 5000 des centaines de milliers de gens qui ont été transformés en sans-abri dans des endroits tels que la Syrie, la Somalie, le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Afghanistan, l’Irak et l’Iran par les guerres civiles et l’intense pauvreté – toutes deux causées par les actions prédatrices des grandes puissances, des grandes sociétés internationales et des banques.
Plus de 185.000 personnes ont traversé la Méditerranée pour atteindre l’Europe du Sud depuis janvier. La plupart cherchent l’asile ailleurs en Europe, mais certains aboutissent à Calais en cherchant à accéder au Royaume-Uni.
Le traitement de ceux qui arrivent en France est une honte. Le gouvernement français a fermé le camp de réfugiés de Sangatte en 2002, qui avait officiellement 600 places, mais a fini par loger deux fois plus de personnes dans des conditions qui ont déclenché des émeutes par les personnes détenues.
Le camp remplaçant officiel, Jules Ferry, a assez d’espace pour seulement 600 femmes et enfants, laissant tous les hommes et la plupart des femmes et des enfants croupir dans un ghetto de fortune non officiel appelé «la jungle», sans eau courante ni installations sanitaires.
Selon des reportages parus dans la presse, neuf migrants auraient trouvé la mort à proximité du terminal du tunnel sous la Manche depuis juin – les autorités françaises ne prennent pas la peine de tenir un registre des personnes tuées ou gravement blessées. Mais selon le groupe Solidarité avec les migrants de Calais, plus de 30 migrants ont été signalés comme étant morts en cherchant à atteindre la Grande-Bretagne par le tunnel sous la Manche depuis le début de 2014. Les migrants ont souffert des morts horribles après des chutes, ou après avoir été brûlés, noyés, écrasés ou heurtés par des véhicules.
Ceux qui sont morts à Calais ne représentent qu’un faible pourcentage de tous les décès résultant des efforts visant à transformer l’Europe en une forteresse afin de garder au dehors les pauvres et les désespérés. Plus de 22.000 migrants sont morts entre 2000 et 2014. Seulement dans les cinq premiers mois de 2015, le nombre de morts s’élève à 1.800, soit plus de cinq fois qu’à la même période en 2014.
(Article paru d'abord en anglais le 30 juillet 2015)