Lors du forum ‘Shangri-La Dialogue’ sur la sécurité à Singapour le 30 mai, le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter a lancé un défi provocateur à la Chine et réclamé « l'arrêt immédiat et durable des récupération de terres » en mer de Chine méridionale. « Nous nous opposons également à la poursuite de la militarisation de lieux contestés », a-t-il dit.
S’il s’adressait à « tous les réclamants » en mer de Chine méridionale, c’est indéniablement la Chine que Carter visait. Il l’a accusée d’être « la source de tension dans la région qui fait la une des journaux dans le monde » à cause de ses travaux de poldérisation. Les Etats-Unis avaient « de profondes inquiétudes au sujet de tout ceux qui tentaient de rendre caduc le statu quo et de causer l'instabilité, par la force, la coercition, ou simplement par le fait de créer des faits accomplis sur terre, dans l'air ou sur mer ».
En réalité, les États-Unis ont délibérément attisé les tensions dans la région en intervenant directement dans des différends maritimes de longue date et en encourageant les voisins de la Chine, comme les Philippines et le Vietnam, à affirmer plus agressivement leurs revendications face à Pékin. L'administration Obama s’en est servi dans le cadre de son « pivot vers l'Asie » pour saper l'influence chinoise et justifier une escalade militaire et un renforcement des alliances américaines dans la région.
Dans la période précédant le forum, le Pentagone a fait en sorte que la mer de Chine méridionale soit « à la une des journaux ». Il a permis à une équipe de CNN de se joindre à un vol de surveillance de la marine américaine près d’atolls contrôlés par la Chine. Le 29 mai, les États-Unis ont affirmé avoir d'autres preuves d’une « militarisation » de la mer de Chine méridionale, citant la présence de deux véhicules d'artillerie mobile sur un des îlots chinois. Un responsable américain a reconnu dans le Wall Street Journal qu'il n'y avait « pas de menace militaire », mais « qu'il s’agissait de symbolisme ».
Les actions du Pentagone étaient accompagnées de déclarations incendiaires de responsables américains et de la presse américaine et internationale, qui grossissaient la « menace » venant de la Chine et laissaient présager de nouvelles provocations militaires. Après avoir accusé il y a quelque temps la Chine de construire un « grand mur de sable », l'amiral Harry Harris, le nouveau chef du Commandement du Pacifique, a rejeté le 27 mai les revendications territoriales de Pékin comme « absurdes ».
Harris a déclaré, sur un ton qui ne peut être vu que comme une menace envers la Chine, que « les défis auxquels nous sommes confrontés ne manqueront pas. Si nous y sommes appelés, nous nous battrons ce soir pour défendre les intérêts américains dans la grande région Inde-Asie-Pacifique. Ceci n’est pas une ambition. C’est dans notre ADN. Notre nation ne mérite pas moins ».
Dans son discours du 30 mai, Carter a réaffirmé que les Etats-Unis continueraient de s’opposer aux revendications chinoises par des opérations « liberté de navigation» en mer de Chine méridionale. « Sachez-le bien », a déclaré Carter, « les États-Unis navigueront, voleront et mèneront des opérations là où le droit international le permet, comme les forces américaines le font dans le monde entier ».
Carter aurait ordonné au Pentagone d'élaborer des plans permettant à des navires ou des avions de guerre américains de pénétrer dans la limite territoriale de 12 miles autour des récifs sous contrôle chinois, une action qui risque de provoquer un affrontement menant à une escalade militaire du conflit avec la Chine.
Tout en affirmant le « droit » à la liberté de navigation et de survol de territoires revendiqué par la Chine, les Etats-Unis qualifient régulièrement les mêmes activités de la part de la Chine, en mer de Chine orientale, près des îles contestées de Senkaku/Diaoyu et administrées par le Japon, de « provocatrices » et d’injustifiées. En effet, le président américain Barack Obama s’est publiquement engagé à soutenir le Japon dans toute guerre avec la Chine à propos de ces îlots rocheux inhabités.
L’argumentaire principal de Carter était un appel à la coopération régionale pour assurer « la paix et la stabilité ». Rien ne pourrait être plus faux. Comme le montrait son discours, les États-Unis se sont lancés au cours des cinq dernières années dans un renforcement militaire global et des partenariats stratégiques contre la Chine partout dans la région Inde-Pacifique.
La longue liste des arrangements « coopératifs » énoncés par Carter concernait surtout des liens militaires plus étroits avec le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et l'Inde. Il a fait remarquer que le bâtiment de guerre dernier cri de l’US Navy, l'USS Fort Worth, qui vient d'achever une opération « liberté de navigation » en mer de Chine méridionale, était basé à Singapour. Il a annoncé la signature d'un nouvel accord de coopération opérationnelle avec le Vietnam et d’un nouveau Cadre de défense avec l'Inde au cours de visites dans ces deux pays cette semaine.
Pour souligner l'engagement de Washington envers ses alliés asiatiques, Carter a dit que le Département de la Défense « continuerait à acheminer les meilleures dispositifs d’armements et de personnel vers l'Asie Pacifique, comme les derniers sous-marins [nucléaires] de classe Virginia, les avions P-8 Poseidon de surveillance de la Marine, le nouveau destroyer furtif Zumwalt et le tout nouvel avion d’alerte et d’interception E-2D Hawkeye ».
Carter a annoncé une Initiative de sécurité maritime en Asie du Sud-Est, clairement centrée sur la mer de Chine méridionale. Le Comité des forces armées du Sénat des État-Unis vient d'approuver cette mesure qui fournira $425 millions sur les cinq prochaines années pour aider à former et équiper les forces armées en Indonésie, Malaisie, Thaïlande, au Vietnam et aux Philippines,
Le président du Comité, le sénateur républicain John McCain, assiste au forum Shangri-La Dialogue. Il y a lui aussi dénoncé la Chine. Il a repris l’affirmation du Pentagone que la Chine avait placé de l'artillerie sur une île et décrit cela comme « une évolution et une escalade inquiétantes ». Indiquant son soutien à des provocations militaires américaines, McCain a déclaré qu’il fallait que les Etats-Unis « prennent certaines mesures qui inciteront la Chine à ne pas continuer ce type d'activités ».
La brusque escalade des tensions en Mer de Chine méridionale ces derniers mois fait monter l’inquiétude dans les capitales asiatiques quant au danger de guerre, même chez les partisans de premier plan du « pivot » américain.
Le Premier ministre de Singapour Lee Hsien Loong, qui a prononcé le discours d'ouverture au forum le 29 mai, a déclaré que, sans coopération l'Océan Pacifique pouvait être partagé entre les États-Unis et la Chine, « chacun ayant sa propre sphère d'influence, capable de restreindre les options pour d'autres pays, augmentant le risque de rivalités et de conflits entre deux blocs ».
Lee a appelé la Chine et l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN) à déterminer dès que possible un Code de conduite en mer de Chine méridionale « de manière à briser le cercle vicieux et de ne pas laisser les différends pourrir la relation plus générale ». Il a dit en avertissant « D'autre part, si un affrontement physique se produit, qui dégénère en une tension ou un conflit plus important, que ce soit par dessein ou plus probablement par accident, ce serait très mauvais. Mais même si nous évitons un affrontement physique, si l’issue est déterminée sur la base de la raison du plus fort, ceci établirait un précédent regrettable ».
Au cours des questions qui ont suivi le discours de Carter, le colonel de haut rang de l’Armée populaire de Libération (PLA) Zhao Xiaozhuo a contesté les critiques adressées par Carter à la Chine, les qualifiant de « sans fondement » et de « non constructives ». Il a souligné que « la liberté de navigation et de survol » n'avait jamais été en cause en Mer de Chine méridionale et il a insisté pour dire que la récupération de terres était « légitime » et justifiée. Zhao a questionné les « dures critiques » de Washington et ses opérations de reconnaissance militaire.
Carter a balayé ces commentaires du revers de main et a déclaré, à tort, que les États-Unis ne faisaient rien de nouveau en mer de Chine méridionale. Cet échange laissait présager d’autres affrontements verbaux entre la Chine, les Etats-Unis et leurs alliés comme le Japon, l'Australie et les Philippines, dont les ministres de la Défense étaient tous présents. Plusieurs officiers chinois devaient intervenir dont le chef de la délégation chinoise, l'amiral Sun Jianguo, un chef adjoint de la PLA.
(Article original publié le 30 mai 2015)