Les États-Unis et leurs alliés se déchaînent contre la Chine pour ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale depuis le défi lancé la semaine dernière par le ministre américain à la Défense, Ashton Carter, lors du Dialogue Shangri-La à Singapour. Ces tensions croissantes risquent de provoquer un incident qui déclencherait un conflit sino-américain.
Mardi dernier, lors d’un rassemblement de « l’Initiative des jeunes dirigeants d’Asie du Sud » (YSALI) proaméricaine, Obama a de nouveau accusé la Chine d’intimider ses voisins et de ne pas obéir pas aux règles internationales. Certaines revendications chinoises pourraient être légitimes, a-t-il dit, mais la Chine « ne devrait pas essayer de les établir en jouant des coudes pour se frayer un chemin ».
En réalité, Washington mène une campagne pour transformer des différends maritimes de longue date en conflits pouvant provoquer une guerre. Sous prétexte de garantir la « liberté de navigation », la Maison Blanche pousse les voisins de la Chine — notamment les Philippines et le Vietnam — à avancer plus agressivement leurs revendications, tout en renforçant les forces américaines dans la région, ainsi que ses alliances en Asie, notamment avec le Japon, l’Australie et l’Inde.
En exigeant un arrêt immédiat des revendications territoriales en mer de Chine du Sud, Ashton Carter a déclenché à Singapour tout un chœur de condamnations de la Chine. Le Premier ministre australien, Tony Abbott, a déclaré jeudi que son gouvernement « déplore toute modification unilatérale du statu quo ».
Abbott a critiqué « les actions coercitives ou unilatérales », dont « l’activité de revendication territoriale à grande échelle », en s'inquiétant de « la perspective de la militarisation des structures artificielles. » Faisant écho à Washington, il a dénoncé les revendications territoriales prétendument « agressives » de la Chine, tout en passant sous silence le fait que d’autres prétendants — dont les Philippines, le Vietnam et Taïwan — disposent déjà de telles infrastructures, y compris d'aérodromes dotés d’une capacité militaire, sur leurs îlots.
Un article de l’Australian a indiqué que le gouvernement Abbott « envisage activement » ses propres actions coercitives en mer de Chine méridionale. Il projette de faire voler un avion de reconnaissance à l'intérieur de la limite territoriale de 19 kilomètres autour d’un ou plusieurs atolls contrôlés par la Chine.
Lors d'une conférence de presse conjointe avec le président philippin Benigno Aquino III vendredi à Tokyo, le Premier ministre japonais Shinzo Abe a envoyé un message identique. « En ce qui concerne la mer de Chine méridionale, nous avons réaffirmé que nous sommes préoccupés par les revendications territoriales à grande échelle et que nous nous opposons aux tentatives unilatérales de modifier le statu quo. » Aquino avait déjà émis une condamnation même plus belliqueuse, en comparant la Chine à l'Allemagne nazie.
Les préparatifs militaires sont également en cours. Aquino a indiqué sa volonté d’engager des discussions avec le Japon sur un Visiting Forces Agreement (Accord des Séjours de Forces militaires), sur les mêmes lignes des accords entre les États-Unis et l’Australie. Ceci offrirait aux militaires japonais leur premières bases en Asie du Sud-Est depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle le Japon s'était emparé d'une grande partie de la région, y compris les Philippines.
Abe et Aquino ont signé un accord de partenariat stratégique jeudi et ont convenu de pourparlers futurs sur la vente de matériel militaire japonais aux Philippines, dont des avions de reconnaissance P-C3 anti-sous-marins. Le Japon a déjà accepté de fournir 10 navires de patrouille aux Philippines. Les deux pays intensifient leurs exercices et opérations militaires conjointes en mer de Chine méridionale.
L’année dernière, le gouvernement Aquino a signé un Accord de coopération sur la défense renforcée avec les États-Unis qui accorde à Washington un accès pratiquement illimité aux bases militaires des Philippines.
Les Philippines établissent une importante base navale à Oyster Bay sur l’île de Palawan, près de la mer de Chine méridionale et de l'archipel litigieux des îles Spratley. A terme, l’installation aurait un héliport, un centre de formation, une station radar et un centre de communications pour la surveillance côtière, ainsi qu’un centre d’opérations conjointes pour les alliés en visite.
Suite à une visite d'Ashton Carter, le Vietnam a annoncé l’offre provocatrice à ses citoyens de croisières dans les îles Spratley, appelées Truong Sa en vietnamien. « Voyager à Truong Sa [...] c'est le grand voyage de votre vie, la relance de la fierté nationale et de la conscience des citoyens de la souveraineté maritime sacrée du pays, » déclarait la publicité. La Chine a réagi en déclarant que ces croisières étaient une « ingérence » contre la souveraineté chinoise.
Selon Reuters, le Vietnam négocie actuellement l'achat de drones et d'avions de combat avec des entreprises militaires européennes et américaines. Carl Thayer, un analyste australien, a dit au Guardian : « le Vietnam manque cruellement des avions de reconnaissance maritime modernes pour patrouiller son vaste domaine maritime ».
Ces achats d’armes alimentent une course aux armements en Asie qu'attise la montée des tensions géopolitiques, notamment le « pivot vers l’Asie » d'Obama contre la Chine. Selon IHS Jane's, les dépenses annuelles de la défense en Asie du Sud-Est atteindront $52 milliards en 2020, contre $42 milliards cette année. Les 10 pays de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) devraient acheter $58 milliards en nouveau matériel militaire au cours des cinq prochaines années.
Un blog écrit par Sean O’Connor sur le site du Conseil de relations étrangères aux États-Unis, intitulé « Comment désamorcer la course aux armements qui menace l'Asie-Pacifique, » souligne la forte implication des États-Unis dans ces ventes d’armes. Ils préparent la mise à niveau du programme des avions F-16 de Singapour, la vente de missiles à l’Indonésie et la Malaisie, et la fourniture d’un financement militaire aux Philippines pour acheter des frégates furtives, des hélicoptères anti-sous-marins et des navires d’attaque rapide. Taïwan va déployer ses avions de patrouille maritime P-3C Orion, récemment achetés aux États-Unis, en mer de Chine méridionale.
« De toute évidence, les décideurs américains croient que la meilleure stratégie pour décourager l’agression chinoise en mer de Chine méridionale est d’armer leurs alliés dans la région, » affirme O’Connor. « Washington doit reconnaître, cependant, que les ventes militaires à l’étranger ont des conséquences inattendues. Avec plus de capacités et de navires déployés dans la zone contestée, une petite escarmouche pourrait déclencher une crise généralisée ».
L’avertissement sera sans doute tombé dans l’oreille d’un sourd. L’impérialisme américain lance une escalade militaire qui embrasse toute la région Indo-Pacifique, ainsi qu'une série de provocations irresponsables. Son objectif n'est ni de protéger les petites nations, ni d'assurer la « liberté de navigation », mais de confronter la Chine, même au risque d’une guerre, pour la subordonner aux intérêts américains à travers le monde.