Les créanciers internationaux de la Grèce ont jeté à la poubelle hier les nouvelles propositions d’austérité d’Athènes, exigeant des coupes bien plus profondes. Cette manœuvre a été exécutée avant la réunion d’urgence de l’Eurogroupe la nuit précédente à Bruxelles, rassemblant les ministres des Finances de la zone euro.
La réunion a duré à peine une heure avant de se disperser. L’Eurogroupe va reprendre les négociations cet après-midi, avant un sommet de deux jours des dirigeants de l’Union européenne (UE) à partir d’hier soir.
Plus tôt mercredi, le Premier ministre grec et leader de Syriza Alexis Tsipras était convoqué à des entretiens avec la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, le chef de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi, et Jean-Claude Juncker le président de la Commission européenne (CE).
Lundi Syriza a présenté une nouvelle liste de mesures d’austérité totalisant 7,9 milliards d’euros, y compris des limitations sur la retraite anticipée. Initialement l’UE, la BCE et le FMI ont accueilli positivement mais avec prudence les dernières concessions de Syriza, les qualifiant de base pour de nouvelles négociations. Mais dans les 24 heures, les créanciers ont contré les propositions de Syriza avec un édit de cinq pages de « Mesures Préalables » à être imposées « en consultation avec les équipes des CE / BCE / FMI. »
Ces trois institutions n’ont pas produit de document séparé, mais ont utilisé la fonction de suivi des modifications dans Microsoft Word. La plupart des propositions d’Athènes ont été barrées en rouge et remplacées par des propositions plus sévères des créanciers soulignées en rouge aussi – se moquant ainsi des « lignes rouges » que Syriza prétendait s’imposer.
Les représentants de Syriza à Athènes ont qualifié ce qu’on exige maintenant d’eux d'« Armageddon » et de « napalm financier ».
Au centre des demandes des créanciers il y a des coupes plus profondes et permanentes dans les retraites d’un montant de 1,8 milliard (1 pour cent du PIB), qui doivent être imposées dès l’année prochaine et des hausses de la TVA – la taxe à la vente.
Bien que Syriza ait proposé d’augmenter les revenus de l’État, principalement en sabrant dans les dépenses sociales, ses propositions de nouvelles recettes étaient une hérésie pour les institutions : elles s’appuyaient largement sur des augmentations d’impôts, y compris des impôts sur les bénéfices des sociétés, sans coupes immédiates dans les retraites.
Berlin, qui est à l’avant-garde des appels à faire un exemple de la Grèce pour justifier des politiques d’austérité à travers toute l’Europe, veut que toutes les « mesures préalables » soient approuvées par le parlement grec ce mois-ci, avant même que d’autres parlements de la zone euro vote sur tout accord qui pourrait se matérialiser.
La Grèce a proposé d’augmenter l’âge effectif de la retraite à 67 ans d’ici 2025, après avoir proposé 2036. Les institutions l’exigent d’ici 2022. Elles insistent également pour qu’un travailleur ne puisse prendre sa retraite à 62 que s’il a payé ses cotisations pendant 40 ans. Ces mesures devraient s’appliquer immédiatement.
Les institutions veulent aussi en finir avec la proposition de Syriza d’une « allocation de solidarité » en 2017 – un supplément exceptionnel pour les retraités les plus pauvres. Syriza a prévu de le supprimer progressivement d’ici 2018, avec sa résiliation en 2020.
Ces exigences constituent une réfutation accablante des déclarations de Syriza qui dit être engagé dans des négociations « honnêtes » avec l’UE, visant à conclure un accord « mutuellement bénéfique ». En réalité, les représentants du capital financier européen et mondial ont exigé que Syriza revienne sur chaque engagement pris avant leur victoire électorale de janvier de « mettre fin à l’austérité ».
Aucune barrière démocratique ou morale n’est admise à entraver la mise en œuvre des coupes sauvages dans le niveau de vie de la classe ouvrière. Ce mois-ci, le plus haut tribunal administratif de la Grèce, le Conseil d’État, a jugé que les réductions des retraites du secteur privé effectuées en 2012, sur l’insistance des UE / BCE / FMI, étaient inconstitutionnelles, elles violaient la législation grecque et la Convention européenne des droits de l’homme.
En réaction, le dernier document déclare que, « les autorités feront adopter une législation pour compenser entièrement les effets fiscaux des décisions de justice sur la réforme des retraites de 2012 ».
La crise grecque menace l’existence même de l’euro et de l’UE. Mardi prochain, le 30 juin, le programme existant d’austérité pour la Grèce expire. En février, Syriza s’est engagé à imposer de nouvelles mesures d’austérité en échange de la tranche de prêt restante à verser de 7,2 milliards. Sans ce versement, la Grèce, avec sa dette de 315 milliards, est risque la faillite et sera incapable de rembourser des milliards de prêts, dont un paiement dû le 30 juin de 1,6 milliard au FMI.
Avant de quitter Athènes pour des entretiens à Bruxelles hier, Tsipras a tweeté, « Le rejet répété des mesures équivalentes par certaines institutions ne s’est jamais produit avant – ni en Irlande, ni au Portugal. Cette position étrange semble indiquer que soit il n’y a aucun intérêt à trouver un accord, soit des intérêts particuliers sont favorisés ».
Tsipras revenait sur ses commentaires qu’il avait faits dans Le Monde le mois dernier. Après s’être plaint qu’une fois encore un autre lot de « concessions sincères » d’Athènes avait été rejeté par l’UE, la BCE et le FMI, Tsipras a déclaré que cela témoignait de l’existence d’une zone euro fondée sur des décrets dictatoriaux.
Si cela continue, a déclaré Tsipras, « les élections devraient être supprimés dans ces pays » assujettis aux programmes d’austérité. « Notamment, nous devrions accepter que les institutions doivent nommer les ministres et les premiers ministres, et que les citoyens soient privés du droit de vote jusqu’à l’achèvement du programme [d’austérité] ». Cela signifiait « l’abolition complète de la démocratie en Europe », a-t-il ajouté.
Notant les observations ultérieures de Tsipras qui mettaient en garde contre la menace qui pèse sur la démocratie, ce mois-ci Business Insipide a également cité une note de Mujtaba Rahman et Federico Santi de la société de conseil Eurasia Group, qui a déclaré que les négociations entre Athènes et ses créanciers ont été menées « dans l’espoir de provoquer un changement de régime ».
Alors que la Commission européenne parle d’un « état d’urgence » imminent en Grèce et de la nécessité de se préparer à des troubles sociaux, le Daily Telegraph a indiqué que Tsipras a laissé entendre « que leur véritable objectif est de détruire la crédibilité de son gouvernement Syriza de gauche radicale et forcer à un changement de régime ».
L’histoire grecque démontre que le changement de régime pour défendre les intérêts du capital financier international peut signifier un retour au régime militaire. Aussi récemment qu’en 1974, le « régime des colonels » fasciste était au pouvoir en Grèce, après avoir renversé le gouvernement dans un coup d’État sanglant soutenu par la CIA en 1967.
Cette semaine, le journaliste Paul Mason de la chaîne Channel 4 a commenté, en notant les tensions politiques croissantes, qu’il est maintenant « devenu courant pour les gens de parler à tour de bras de “guerre civile”, et plus pour rire comme avant ».
Depuis le début de l’austérité de masse en Grèce en 2010, il y a eu des rumeurs constantes de discussions autour d’un coup parmi les militaires de haut rang. L’armée grecque, une grande armée de conscription deux fois plus nombreuse que l’armée britannique, est en état d’alerte haute.
Depuis l’élection de Syriza, les forces armées ont été engagées dans une série de manœuvres militaires très médiatisées, y compris des « jeux de guerre », sous couvert de la lutte contre le terrorisme et « l’extrémisme ». Ceux-ci comprenaient des exercices avec les forces armées du dictateur égyptien aux mains couvertes de sang Abdel Fattah al-Sissi.
(Article paru en anglais le 25 juin 2015)