La Banque centrale européenne (BCE) est intervenue de nouveau vendredi 19 juin pour soutenir les banques grecques, face aux retraits records des épargnants qui craignent leur effondrement imminent.
Après l’échec des négociations entre la Grèce et ses créanciers — l’Union européenne (UE), la BCE et le Fonds monétaire international (FMI) — sur les termes d’un nouveau programme de réductions de dépenses, des milliards d’euros de dépôts ont été retirés des banques grecques. Rien que cette semaine, 4,2 milliards d’euros ont été retirés, dont 1,2 milliard le vendredi.
Pour éviter l’effondrement financier et un défaut sur sa dette globale de plus de 300 milliards d’euros, le gouvernement grec dirigé par Syriza a demandé à la BCE de faire un prêt supplémentaire de 3,5 milliards à la Banque centrale grecque. La BCE a prêté 1,1 milliard d’euros aux banques grecques sur son fonds « Fourniture de liquidité d’urgence » (FLU), mercredi, pour atteindre un total de 84,1 milliards d’euros. Elle a livré de l’argent supplémentaire vendredi, sans que l’on sache combien. Selon certains rapports, c'était juste assez pour permettre maintenir la Grèce à flots jusqu’à lundi.
De plus en plus de commentateurs spéculent que la Grèce pourrait même être obligée d’imposer des contrôles de capitaux et de limiter les retraits de dépôts dès ce week-end. Le Financial Times a commenté que la crainte d'un défaut de paiement par la Grèce sur son remboursement de 1,6 milliard d’euros au Fonds monétaire international à la fin de juin « se fait rapidement dépasser par une autre bombe à retardement — potentiellement plus dangereuse : la solvabilité des banques grecques. »
La stratégie de la BCE est de maintenir la Grèce face à un effondrement imminent dans le but d’assurer qu’un accord soit signé après le sommet d’urgence de lundi soir des dirigeants de l’UE, convoqué par le président du Conseil européen, Donald Tusk. C’est un exemple extraordinaire et téméraire de la politique de la corde raide — qui menace non seulement de saccager l’économie grecque, mais aussi d'entraîner un effet domino qui pourrait affecter l’ensemble de l’économie européenne.
C’est une stratégie que les sections dominantes de la bourgeoisie européenne ont toutes approuvée. Les institutions ne toléreront pas d'obstacles à leur stratégie d’attaques à l’échelle du continent contre la classe ouvrière, dans laquelle Athènes sert d'exemple.
Le Wall Street Journal a indiqué que Syriza a déjà offert des mesures d’austérité de l’ordre de 2,5 milliards d’euros sur deux ans. L’Union européenne insiste sur 3 milliards d’économies budgétaires sur cette seule année, y compris des coupes féroces dans les retraites.
La dernière proposition de Syriza, présentée à la réunion de jeudi, était d’introduire un « frein du déficit ». Cela permettrait de réduire automatiquement les dépenses par le conseil d’administration si le budget du gouvernement grec devenait déficitaire. Cela a cependant été carrément rejeté par les responsables de la zone euro ; la chef du FMI, Christine Lagarde a déclaré qu’il y avait un besoin urgent d'un dialogue « avec des adultes dans la salle. »
Cela constitue la condamnation la plus sévère qu’on pourrait faire des prétentions de Syriza à protéger les moyens de subsistance des travailleurs grecs grâce à un « compromis honorable » avec l’oligarchie financière.
Les représentants des milliardaires du monde entier exigent toujours des coupes plus brutales pour s’assurer que la totalité du coût gigantesque de la crise financière mondiale de 2008 sera payé par la classe ouvrière pour les décennies à venir.
Dans son dernier blog, le ministre des Finances Yanis Varoufakis résume certains des indices de la catastrophe sociale que cela a déjà produit en Grèce. Depuis 2010, « les salaires ont baissé de 37 pour cent ; les retraites ont été réduites de jusqu’à 48 pour cent ; l’emploi des fonctionnaires a diminué de 30 pour cent ; » et, « les dépenses de consommation ont été réduites de 33 pour cent », écrit-il.
« Environ 1 million de familles survivent aujourd’hui sur la maigre retraite d’un grand-père ou une grand-mère tandis que le reste des membres de la famille sont au chômage dans un pays où seulement 9 pour cent des chômeurs reçoivent une allocation chômage. Supprimer cette seule et unique retraite revient à mettre une famille à la rue. »
Le Financial Times, qui s’est maintes fois solidarisé avec l’appel de Syriza pour une imposition plus lente de l’austérité, a écrit dans son éditorial ce vendredi que « Le temps est venu pour Tsipras d'accepter la proposition de l’Europe. »
Le journal a averti que l’alternative était bien pire. « Compte tenu de la dépendance des banques grecques sur financement de la Banque centrale européenne, un défaut pourrait alors pousser la Grèce de la zone euro » écrit-il. « La destruction du système financier de la Grèce dévasterait son économie et causerait des dégâts inimaginables à son système politique. »
Syriza ne refuse pas l’austérité, mais cherche les termes politiques les plus favorables pour la mettre en œuvre. Tsipras et Varoufakis soutiennent que si la Grèce est autorisée à appliquer moins d’austérité maintenant, elle pourra rembourser ses dettes plus tard sur la base d’une hypothétique reprise de l’économie.
Cependant, même si un accord de dernière minute est conclu dans ses termes, cela ne modifiera pas fondamentalement les attaques qui pleuvent sur la classe ouvrière. Le Daily Telegraph a récemment souligné qu’il faudrait à la Grèce plus de 40 ans, jusqu’en 2057, pour rembourser ses dettes astronomiques.
Un élément central de la position de Tsipras qui consiste à offrir une alternative à des années d’austérité était que son gouvernement collecterait plus efficacement les impôts. Mais, avec la crainte de plus en plus prononcée d’un défaut de paiement grec, le niveau de l’impôt impayé est à la hausse et c’est donc la baisse des revenus de l’État qui alimente la crise d’Athènes. De nouveaux chiffres ont révélé que les impôts impayés ont augmenté d’un milliard d’euros en mai portant le total de cette année à plus de 5 milliards. Le total des impôts impayés se situe à plus de 77 milliards.
Dans un effort de trouver un meilleur accord avec l’UE, la BCE et le FMI, Tsipras tentait en vain d’obtenir le soutien de Washington contre les exigences de la ligne dure de l’UE. L’échec de cette stratégie signifie que Tsipras tente maintenant de jouer la « carte russe. »
Pendant que la BCE était en session, Tsipras parlait en présence du président russe Vladimir Poutine, en tant qu’invité d’honneur à Moscou. Son discours suivait la signature d’un accord pour la construction d’une extension d’un pipeline qui transportera du gaz russe vers l’Europe via la Grèce. La possibilité que Syriza reçoive un financement de la Russie a également été abordée.
Vice-Premier Ministre, Arkadi Dvorkovitch, a déclaré sur Russia Today, « Si un soutien financier est nécessaire, nous examineront cette question. »
L’orientation de Syriza vers Moscou et la Chine a des implications majeures, la Grèce est un membre de longue date de l’OTAN. Le fait même que Tsipras visite Moscou à un tel moment a été considéré comme une menace implicite. Le magazine américain Foreign Policy écrit avec préoccupation, « Jusqu’à présent, la Russie est largement restée hors de la crise financière européenne. Mais l’énigme grecque fournit une incitation savoureuse à y plonger. Si Moscou le fait, cela transformerait une crise économique de cinq ans en crise géopolitique. »
Le discours de Tsipras aux côtés de Poutine quelques jours seulement après l'extension par l’UE des sanctions contre la Russie pour six mois, contenait une menace implicite. « Le centre économique de la planète a bougé. Il y a de nouvelles forces économiques qui jouent un rôle », a-t-il dit. « La Russie est un des partenaires les plus importants pour nous. »
La Grèce est stratégiquement importante et elle « conserve encore le statut de pôle de stabilité dans la région », a-t-il ajouté.
Tsipras vise uniquement à établir les meilleures conditions pour la bourgeoisie grecque, et il demeure déterminé à obtenir un accord avec l’UE. À cette fin, il renforce des alliances au niveau national. Le mardi, il a rencontré Stavros Theodorakis, le leader de To Potami (La rivière – parti centriste pro-UE) et Fofi Gennimata, le nouveau leader du PASOK social-démocrate. Ensemble, ces derniers contrôlent 30 députés.
Tsipras cherche à trouver un contrepoids contre une éventuelle rébellion au sein de son propre parti, s’il arrive à un accord respectant les termes brutaux des institutions. Theodorakis a dit publiquement qu’il soutiendrait tout accord passé avec l’UE.
(Article paru d’abord en anglais le 20 juin 2015)