Laissant présager une nouvelle escalade du conflit ukrainien, le premier ministre Arseniy Iatseniouk a déclaré lundi un état d’urgence officiel dans les provinces de Donetsk et de Lugansk, dans l’est du pays. Il a aussi annoncé que le reste de l’Ukraine serait placé en état d’alerte maximale. Les bastions séparatistes de la région du Donbass opposés au régime de Kiev, au pouvoir depuis un an suite à un coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis et l’UE, ont connu ces dernières semaines une reprise des hostilités.
Parlant dimanche à des journalistes à la Nouvelle Delhi, le président américain Barack Obama a accusé la Russie d’être responsable de la reprise des combats dans l’est de l’Ukraine et a assuré qu’il se servirait de toute option en dehors d’une guerre ouverte pour intensifier la pression politique et économique sur Moscou.
Obama a dit d’un air détaché aux journalistes que les Etats-Unis n’avaient aucun intérêt à affaiblir la Russie ou à dévaster son économie. « Nous avons un grand intérêt, comme tous les pays à mon avis, à promouvoir un principe fondamental qui est que les grands pays n’intimident pas les pays plus petits. Qu’ils n’empiètent pas sur leur intégrité territoriale. Qu’ils n’empiètent pas sur leur souveraineté. Et c’est ça qui est en jeu en Ukraine, » a-t-il dit.
Obama s’est dit inquiet de l’échec de l’accord de cessez-le-feu signé en septembre à Minsk et a accusé les séparatistes pro-russes de lutter « appuyés par la Russie, avec équipement russe, financement russe, entraînement russe et troupes russes. » A ce jour, ni le gouvernement américain ni le régime de Kiev n’ont fourni de preuves solides étayant leurs affirmations répétées d’une implication directe de la Russie en Ukraine orientale.
Le président Obama a juré d’accentuer la pression sur la Russie et a promis de façon sinistre que le gouvernement américain envisagerait toutes les options « à [sa] disposition en dehors d’une confrontation militaire » pour résoudre le conflit en cours.
En même temps qu’Obama dénonçait une soi-disant ingérence russe en Ukraine, il a répété que Washington continuerait d’offrir un soutien économique au régime de Kiev, tout en lui fournissant de l’équipement et en assurant l’entraînement de ses forces armées.
La semaine dernière on a annoncé l’envoi, au printemps, par l’armée américaine d’un contingent de conseillers en Ukraine orientale pour y former quatre unités de la Garde nationale ukrainienne. En décembre dernier, Obama avait signé l’Ukraine Freedom Support Act (Acte de soutien à la liberté de l’Ukraine) qui autorise le président américain à fournir un vaste lot d’équipement militaire létal au gouvernement ukrainien et à appliquer comme bon lui semblait une nouvelle série de sanctions contre la Russie.
Obama faisait ces remarques dans le cadre d’une réaction coordonnée suite à l’attaque meurtrière lancée samedi contre la ville de Marioupol et qui toucha une zone habitée, tuant 30 civils et en blessant une centaine d’autres. Une enquête menée par des membres de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a conclu à un tir de roquettes de types Grad et Ouragan sur la ville, à partir d’un territoire détenu par les rebelles.
Lundi, après une réunion d’urgence de l’OTAN et des ambassadeurs ukrainiens, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a rendu la Russie responsable de l’escalade de la violence en Ukraine orientale. « Nous condamnons le regain de violence de la part des séparatistes pro-russes le long de la ligne de cessez-le-feu en Ukraine de l’Est. Ceci se fait aux dépens de nombreuses vies civiles, » a-t-il dit aux journalistes.
Après le bombardement de Marioupol, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a réclamé de nouvelles sanctions contre la Russie après un coup de téléphone « urgent » passé au président ukrainien Petro Porochenko. L’ancien premier ministre polonais a envoyé un tweet belliqueux disant, « Une fois de plus, l’apaisement incite l’agresseur à davantage d’actes de violences. Il est temps de renforcer notre politique basée sur des faits bruts et non sur des illusions. »
Réagissant aux nouvelles allégations de soutien aux forces anti-Kiev et aux menaces de sanctions plus sévères des dirigeants européens et américains, le président russe Vladimir Poutine a accusé l’armée ukrainienne d’opérer comme une légion étrangère au service de l’OTAN. S’adressant lundi à des étudiants à Moscou, il a déclaré que les opérations de l’armée ukrainienne était liées plutôt à la politique « d’endiguement géopolitique de la Russie » qu’aux « intérêts du peuple ukrainien. »
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a accusé l’UE et les Etats-Unis d’utiliser l’attaque de Marioupol pour « attiser une hystérie antirusse. » Il a défendu les actions des séparatistes en disant qu’ils luttaient pour se défendre face à la nouvelle offensive du régime de Kiev. « Ils ont commencé à agir… dans le but de détruire les positions de l’armée ukrainienne utilisées pour bombarder des zones densément peuplées, » a-t-il dit aux journalistes à Moscou.
Alexander Zakharchenko, premier ministre de la République populaire de Donetsk, a nié que les séparatistes étaient responsables de l’attaque de Marioupol. « Kiev a décidé de nous faire porter la responsabilité de ses tirs erronés au lance-roquette multiple Grad sur des zones habitées, » a-t-il dit aux journalistes.
La politique de sanctions économiques des Etats-Unis et de l’UE contre la Russie a montré ces dernières semaines des signes de tension dans certains pays comme la France et l’Italie, qui ont insisté sur une amélioration des relations diplomatiques et économiques avec Moscou. La semaine passée, Federica Mogherini, qui dirige la politique étrangère de l’Union européenne, avait publié un document exposant les moyens possibles d’une amélioration des relations diplomatiques avec la Russie.
Suite à l’attaque contre Marioupol, Mogherini a demandé la convocation d’un Conseil extraordinaire des Affaires étrangères. Les ministres des Affaires étrangères des 28 pays membres de l’UE doivent se réunir jeudi à Bruxelles pour discuter de nouvelles sanctions éventuelles contre la Russie.
Au cours des deux dernières semaines, les combats ont repris dans l’Est ukrainien après l’attaque lancée par le régime de Kiev contre des zones contrôlées par les séparatistes. Le prétexte de cette nouvelle attaque fut le bombardement d’un bus de banlieue, tuant 13 personnes à Volnovakha, une petite ville située près de l’autoroute entre Donetsk et Marioupol.
Le 19 janvier, s’adressant à un meeting à Kiev, le président Petro Porochenko a dénoncé l’attaque dont il a attribué la faute aux séparatistes et jura que son gouvernement « ne céder[ait] pas un pouce du territoire ukrainien. » Le même jour, l’armée ukrainienne fut autorisée par Porochenko à lancer une « attaque massive » contre les positions des séparatistes dans l’est du pays.
Le régime de Kiev a lancé cette attaque dans le but de consolider son contrôle sur l’aéroport international de Donetsk. Les événements ont pris une tournure embarrassante lorsque les séparatistes pro-russes ont réussi à la fin de la semaine dernière à repousser l’attaque et à déloger du terminal principal de l’aéroport les troupes ukrainiennes et les combattants des milices droitières. L’aéroport, qui a une importance symbolique et stratégique, a été presque entièrement détruit par des bombardements d’artillerie incessants.
Le bombardement de Donetsk lundi a endommagé une station électrique de la mine de Zassiadko bloquant sous terre 496 mineurs. Des groupes électrogènes provisoires furent utilisés pour remettre en marche les ascenseurs de la mine et les mineurs furent peu à peu évacués.
Les séparatistes pro-russes ont pris position pour encercler la ville de Debaltseve, contrôlée par le gouvernement et où des centaines de soldats ukrainiens participant à la nouvelle offensive ont leur campement. La ville est située près de l’autoroute principale et de la ligne de chemin de fer reliant les bastions séparatistes de Donetsk et de Lougansk. Sept soldats ukrainiens au moins auraient été tués et 24 autres blessés dans la région de Lougansk durant la dernière journée de combat.
(Article original paru le 27 janvier 2015)