Le marchés financiers ont été fortement perturbés le semaine dernière, quand la Banque nationale suisse (BNS) a annoncé l'abandon du taux d'échange entre franc suisse et l'euro fixé il y a trois ans.
Dans un des mouvements les plus brutaux de l'histoire des marchés de devises, le cours du franc suisse, fixé à 1,20 francs l'euro, a apprécié de 39 pour cent contre le dollar et l'euro en quelques minutes.
La BNS a pris cette décision sans informer le Fonds Monétaire International (FMI), procédé que la directrice générale du FMI Christine Lagarde a qualifié d' « un peu surprenant ».
L'ancrage de la devise avait été mis en place en pleine crise de l'euro en 2011 pour enrayer la montée de la monnaie suisse, que les marchés financiers utilisent comme « valeur refuge », et afin de protéger les exportations suisses.
Mais quand la Banque centrale européenne a annoncé une création massive de liquidités en euros avec un programme « d'assouplissement quantitatif » (QE), les autorités suisses ont manifestement décidé qu'elles ne pouvaient plus maintenir le statu quo. Le programme « QE » du BCE fera baisser l'euro, déjà au plus bas depuis neuf ans. Afin de maintenir le cours fixé entre l'euro et le franc suisse, la BNS doit acheter d'immenses quantités de devises étrangères ; ainsi, la BNS détient déjà des réserves de devises étrangères égales à 80 pour cent du produit national brut suisse.
Tous les effets de la décision ne se sont pas encore faits sentir, mais elle a déjà eu un impact majeur dans les marchés financiers, où les traders qui ont misé sur le maintien du cours fixe auront subi des pertes massives. Selon un trader cité par le Financial Times de Londres, « Ceux qui ont été surpris sur le mauvais côté seront KO ».
Selon l'Australian Business Spectator, les retombées seront « probablement énormes ». Il pourrait y avoir de grosses pertes pour quelques traders, banques et fonds d'investissement, avec « des perdants dans des difficultés réelles obligés de vendre d'autres avoirs financiers, tels des actions et des obligations pour couvrir leurs pertes ». Il y aurait aussi un mouvement vers d'autres valeurs refuges, tels les bons allemands ou américains, et des ventes de produits à risque, tels que les obligations de sociétés faiblement notées.
La décision de la BNS et la turbulence qui en résulte exposent la crise à la fois des marchés financiers et de l'économie réelle sous-jacente. La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a fait observer que les tendances de croissance mondiale actuelles étaient « trop faibles, trop fragiles et trop bancales ». Le pétrole moins cher et la croissance accrue de l'économie américaine ne suffisent pas pour soulever l'économie mondiale.
A une réunion du Conseil des Relations Internationales à Washington, Lagarde a dit: « Le prix du pétrole et la croissance américaine ne résoudront pas les faiblesses profondes ailleurs. Trop de pays subissent les suites de la crise financière, y compris des taux élevés d'endettement et de chômage. Trop de sociétés et trop de ménages continuent de réduire les investissements et la consommation, car ils s'inquiètent de la basse croissance de l'avenir ».
Plutôt que de stimuler l'économie mondiale, la chute des cours du pétrole pourrait accroître le risque de déflation, surtout dans la zone euro, a-t-elle dit : « Ceci renforce les arguments pour la stimulation monétaire, que la Banque centrale européenne est prête à soutenir selon ses indications ».
Dans un entretien avec le hebdomadaire allemand Die Zeit, le président de la BCE Mario Draghi a fait savoir que la BCE préparait un programme de rachat d'obligations gouvernementales pour tenter de contrer les effets de la déflation. Le souci principal des autorités financières est la chute des prix, car ceci empire la situation des banques et des sociétés financières en augmentant la valeur réelle de leurs dettes.
Pour justifier les efforts de consolider la position des banques, on cite le fait que la BCE est censée maintenir l'inflation à un niveau en dessous mais près de 2 pour cent.
Des statistiques publiées par Eurostat révèlent que la zone euro est tombée dans la déflation pour la première fois depuis 2009. Les prix à la consommation de la zone euro sont descendus de 0,2 pourcent en décembre 2014, comparé à une hausse des prix de 0,3 pour cent en novembre.
« Tous les membres du Conseil des gouverneurs de la BCE sommes décidés à nous acquitter de notre mandat », a dit Draghi à Die Zeit.
Cette manifestation d'unité est factice. En fait, le conseil de gouverneurs de la BCE est profondément divisé : les représentants allemands s'opposent aux mesures de QE, craignant qu'elles rendront les banques allemandes responsables des dettes d'autres pays. Les banques allemandes sont déjà sous-capitalisées par rapport à leurs rivales américaines. Suite aux grands coups portés par la débâcle des subprimes en 2007-2008, elles craignent que leur situation ne soit encore affaiblie par un programme QE en Europe.
Malgré la menace croissante de déflation, les divisions à la BCE s'intensifient. Dans un entretien avec le magazine Der Speigel le 10 janvier, Sabine Lautenschläger, membre allemand du Conseil des gouverneurs de la BCE, a dit qu'elle n'était pas convaincue de la nécessité du rachat à grande échelle d'obligations gouvernementales.
Elle a dit que le problème n'était pas que les institutions financières du Sud de l'Europe manquaient de liquidités, car la BCE avait pris des mesures pour assurer qu'il y aurait des liquidités adéquates pendant les prochains mois. « Beaucoup de banques hésitent à fournir des prêts, car elles croient que le risque est trop grand que les débiteurs soient incapables de les rembourser », dit-elle.
Interrogée sur la possibilité que le « succès » da la politique de la US Federal Reserve, qui a injecté $4 mille milliards dans les banques, pourrait provoquert un « changement d'idées » en Europe, elle a répondu que la comparaison était trompeuse. Elle a insisté que les « particularités » de la zone euro, en tant que « zone monétaire comprenant 19 Etats souverains », devaient être prises en compte.
En d'autre termes, l'effort pour développer une politique unie échoue face à la division de la zone entre des états-nation rivaux en conflit.
Ces divisions se creusent suite à la décision de la BCE le 22 janvier d'injecter 1.100 milliards d'euros dans les marchés financiers. Une des propositions qui est considérée est que les rachats d'obligations souveraines soient effectués à la condition que la banque centrale du pays dont les obligations sont rachetées en soit le garant financier.
Dans un article du Financial Times, le commentateur Wolfgang Münchau a fait remarquer qu'une telledécision serait « effectivement la fin de la politique de la monnaie unique », ajoutant que ceux qui l'avaient soutenue regretterait qu'« ils aient jamais demandé le QE en premier lieu ».
Toutes les ramifications de la décision suisse ne se sont pas encore fait ressentir. Mais elle a déjà souligné la fragilité croissante des marchés financiers. La manière dont on l'a prise, sans concertation préalable avec d'autres autorités financières, révèle que le conflit d'intérêts nationaux contraires s'intensifie à mesure que la crise économique s'approfondit.