Perspective

La trêve de Minsk: une pause dans l’escalade de la guerre

La trêve en Ukraine, conclue après une négociation de seize heures menée à Minsk par la chancelière allemande et les présidents russe, français et ukrainien, n’est qu’une pause dans l’escalade de la guerre. Malgré la rareté des précisions ayant filtré sur l’accord, les organes de presse occidentaux ont presque unanimement déclaré que son échec était inévitable – rejetant, comme toujours, la faute sur le président russe.

En réalité, l’accord de Minsk n’a eu lieu que parce que le régime de Kiev, arrivé au pouvoir l’année dernière grâce à un putsch appuyé par l’Occident, avait de toute urgence besoin d’un répit.

L’armée ukrainienne est affaiblie par les désertions et une série de défaites. De moins en moins de jeunes gens sont prêts à ouvrir le feu sur leurs compatriotes et à mourir pour un régime qui n’a que pauvreté et chômage à leur offrir. Les seules forces prêtes au combat sont les volontaires de l’extrême-droite que le régime de Kiev peine à contrôler.

Financièrement, l’Ukraine est en faillite. Sa production économique a chuté de 8 pour cent et ses réserves de change ont fondu à 6,6 milliards de dollars – à peine de quoi financer un mois d’importations. Immédiatement après la conclusion de l’accord, le Fonds monétaire International a promis un plan d’aide de 40 milliards de dollars au régime de Petro Porochenko qui risque d’imploser sous la pression d’une population appauvrie, lassée par la guerre d’une part et des forces de l’extrême-droite au sein de l’appareil d’Etat d’autre part.

En amont des pourparlers de Minsk, Washington avait fait tout son possible pour renforcer la position de Porochenko. On avait préconisé aux Etats-Unis la livraison d’armes et l’entrainement des soldats ukrainiens. Le président américain Barack Obama avait même téléphoné personnellement à Poutine et brandi la menace que les « le prix continuerait de monter pour la Russie » si elle poursuivait « ses avancées agressives en Ukraine. »

A Minsk, la délégation russe a fait d’importantes concessions – allant d’un « plein respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, » au transfert à Kiev du contrôle de la frontière russe. Selon les déclarations de Merkel et de Hollande, Poutine a aussi poussé les séparatistes à accepter l’accord. Quant à Porochenko, il a à plusieurs reprises menacé de répudier l’accord.

Ce qui se déroule actuellement n’est pas en premier lieu une question interne à l’Ukraine ni une confrontation entre Kiev et Moscou, mais un conflit géopolitique bien plus vaste.

Washington avait financé la Révolution orange de 2004 en Ukraine et soutenu le coup d’Etat contre le président ukrainien Viktor Ianoukovitch en 2014 dans le but d’isoler la Russie et de l’éliminer en tant que rivale. Pour Washington, il ne s’agit pas seulement de contrôler l’Ukraine, mais encore d’imposer sa suprématie au Moyen-Orient où Moscou soutient le gouvernement syrien contre Washington, tout comme en Extrême-Orient où s’annonce une alliance stratégique entre la Russie et la Chine.

C’est pour ces mêmes raisons que Washington attise actuellement la guerre en Ukraine. C’est le but des livraisons d’armes proposées. Celles-ci ne permettraient pas à Kiev de gagner la guerre mais d’engager la Russie dans « une longue et vaste guerre [qui] la rendrait plus vulnérable sur d’autres flancs, comme le Nord-Caucase et l’Asie centrale rebelles » ont dit des experts militaires au journal Financial Times. « Il n’y a tout simplement pas assez de soldats russes pour mener une guerre d’usure en Ukraine,» a dit l’un d’entre eux.

L’Allemagne avait soutenu le coup d’Etat de Kiev et le régime de Porochenko car cela correspondait à son objectif d’abandonner la politique de la ‘retenue militaire’ d’après-guerre et de jouer un rôle plus important dans la politique mondiale, comme l’avait annoncé au début de l’année dernière le président allemand Joachim Gauck. En intervenant activement en Ukraine, que les armées allemandes avaient occupée durant la Première et la Seconde Guerre mondiale, la classe dirigeante s’inscrit dans la continuité de sa traditionnelle politique d’expansion vers l’Est.

Dans un premier temps, Washington et Berlin avaient agi de concert. Ils avaient collaboré étroitement pour consolider l’opposition ukrainienne, planifier le coup d’Etat de février 2014 et renforcer le régime de Porochenko. Toutefois, les récentes et agressives pressions américaines pour une escalade militaire ont provoqué l’inquiétude à Berlin.

Si l’impérialisme allemand reste déterminé à intégrer l’Ukraine à l’Union européenne et à affaiblir la Russie par voie de sanctions économiques, il veut éviter une escalade de la guerre. Celle-ci aurait un impact dévastateur sur l’Allemagne et l’Europe tout entière qui entretiennent d’étroits liens économiques avec la Russie et dépendent d’elle pour leur approvisionnement énergétique. Une guerre durable déborderait inévitablement vers d’autres pays européens, produirait des vagues de réfugiés et déstabiliserait l’ensemble de l’Union européenne. C’est pourquoi Merkel et Hollande font campagne à Minsk en faveur d’un cessez-le-feu.

Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, Merkel a été violemment critiquée par les responsables américains. Dans une chronique parue jeudi l’hebdomadaire Die Zeit s’était plaint: « L’impatience des Etats-Unis ne vise pas Poutine mais la chancelière Merkel. Quiconque n’accorde pas suffisamment de temps pour que la politique de sanctions de l’UE ait des effets fait le jeu du Kremlin. S’il doit y avoir une escalade, c’est celle des sanctions ! »

L’article conclut en disant, « Bien sûr, l’Occident ne doit pas être divisé. C’est la raison pour laquelle cette fois-ci, les Etats-Unis doivent s’incliner devant les dirigeants européens. »

Il est peu probable que Washington accède à cette requête.

Ce n’est pas un hasard si la Première Guerre mondiale a éclaté en 1914 dans les Balkans. La région est un carrefour où les intérêts des puissances impérialistes se recoupent et où elles ont finalement mené une guerre qui a duré quatre ans et coûta la vie à des millions de gens. De la même façon, la crise en Ukraine révèle des tensions et des contradictions qui risquent de plonger le monde pour la troisième fois dans un holocauste sanglant qui pourrait cette fois mettre fin à la civilisation.

La Russie est la victime et non pas l’auteur de l’agression impérialiste en Ukraine, mais le régime de Poutine est totalement incapable de contrer la menace de guerre qui en résulte. Issu de la dissolution de l’Union soviétique, il incarne les couches les plus réactionnaires de la société russe. En attisant le nationalisme et en lançant des menaces de représailles militaires, Moscou risque de déclencher une guerre nucléaire mondiale.

Ces récents événements confirment l’avertissement du Comité International de la Quatrième Internationale, fait en juillet dernier: « Le risque d’une nouvelle guerre mondiale vient des contradictions fondamentales du système capitaliste – entre le développement d’une économie mondialisée et la division de celle-ci en Etats-nations antagonistes et dans lesquels se trouve ancrée la propriété privée des moyens de production. »

La seule force sociale capable de contrer le danger d’une guerre est la classe ouvrière internationale. Elle doit être unifiée sur la base d’un programme socialiste et mobilisée pour le renversement du capitalisme, la cause première du militarisme et de la guerre. Tel est le programme pour lequel luttent le Comité International de la Quatrième Internationale et ses sections, les Partis de l’égalité socialiste.

(Article original paru le 13 janvier 2015)

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