La Sécurité et la Quatrième Internationale, le procès Gelfand et la déposition de Mark Zborowski

Une lettre ouverte de David North à Susan Weissman

Madame Weissman,

La présente lettre est une demande formelle que vous rétractiez pleinement, publiquement et sans équivoque les fausses déclarations calomniant le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et l’avocat Alan Gelfand avec lesquelles vous concluez la deuxième partie de votre article, «Mark “Etienne” Zborowski: Portrait of deception» («Mark “Étienne” Zborowski: portrait du mensonge»), publié cet été dans «Critique: Journal of Socialist Theory».[1]

Les déclarations auxquelles nous nous opposons apparaissent sous la rubrique «post-scriptum». Il ne s'agit pas seulement d'inexactitudes factuelles, regrettables et non intentionnelles, mais plutôt d’une série de distorsions délibérées des faits et de mensonges éhontés.

Vous avez recours à la calomnie pour discréditer l’enquête, lancée par le Comité international en 1975, au sujet de la pénétration de la Quatrième Internationale par des agents de la police secrète soviétique, la GPU-NKVD. Cette enquête, connue sous le nom de «La Sécurité et la Quatrième Internationale» (Security and the Fourth International), reste à ce jour l’exposé le plus détaillé du rôle joué par les agents staliniens dans l’assassinat de figures clés dans la Quatrième Internationale et, finalement, de Trotsky lui-même. En effet, les deux articles que vous avez publiés dans Critique – dans la mesure où ils sont étayés par des faits – puisent intensivement, mais sans en citer la source, dans la recherche menée par le Comité international il y a 40 ans. Votre incapacité à reconnaître franchement votre propre utilisation de l’œuvre pionnière nommée «La Sécurité et la Quatrième Internationale» constitue un plagiat intellectuel.

Votre attaque sur Alan Gelfand et son procès contre le Socialist Workers Party (SWP, Parti socialiste des travailleurs) en 1979 est particulièrement répréhensible, dans la mesure où ses efforts ont abouti à la publication de documents – tels que les transcriptions du grand jury de l’agent du GPU, Sylvia Caldwell (connue également sous les noms Callen, Franklin et Doxsee) – qui sont largement cités par les historiens dans les travaux portant sur les activités criminelles de la police secrète soviétique.[2]

Le caractère malhonnête et malveillant de votre «post-scriptum» est évident en raison du fait que vous avez dissimulé les motivations politiques qui sous-tendent votre attaque du Comité international et de Gelfand. Après le post-scriptum, on peut lire dans une «Déclaration de divulgation» finale qu'«Aucun conflit d’intérêts potentiel n’a été rapporté par l’auteur.» [3] Vous êtes coupable, Mme Weissman, d'avoir fait une fausse déclaration dans le but de cacher intentionnellement aux lecteurs de Critique des informations importantes.

Votre hostilité extrême à l’enquête sur «La Sécurité et la Quatrième Internationale» est inextricablement liée à vos affiliations politiques. Vous avez été active dans la politique pabliste depuis 40 ans et à travers toutes ces décennies vous vous êtes opposée à l’enquête du Comité international au sujet de la pénétration de la Quatrième Internationale par la GPU et des circonstances de l’assassinat de Trotsky. Vous êtes une membre de l’organisation Solidarité, formée en grande partie d'anciens membres du SWP et vous faite partie du comité de rédaction de son journal «À contre-courant» (Against the Current) depuis 1986. Beaucoup de vos plus proches collaborateurs politiques ont dénoncé publiquement «La Sécurité et la Quatrième Internationale» en la qualifiant de «campagne de diffamation». Vous, Mme Weissman, ne vous êtes jamais opposée à ce que le SWP fasse l’éloge de Sylvia Caldwell, la décrivant comme une «camarade exemplaire», et vous êtes d’accord avec la manière dont le SWP décrit la campagne qui vise à découvrir et démasquer l’état infiltration de la Quatrième Internationale comme «de la provocation» et «de la paranoïa».

Vous avez répandu en privé des mensonges à propos de la recherche du Comité international, qualifiant «La Sécurité et la Quatrième Internationale» d'«ordures» dans une lettre envoyée en 1996 au défunt Albert Glotzer, un membre fondateur du Socialist Workers Party. Rien ne vous dérange plus que de constater que «La Sécurité et la Quatrième Internationale» est lue par des historiens traditionnels. En vous référant à un ouvrage écrit par un historien soviétique notable, vous avez écrit à Glotzer: «Ce qui est très inquiétant dans le livre de Volkogonov, dans une section sur l’assassinat de Trotsky, est qu’il se fonde non seulement sur Soudoplatov, mais pire encore sur les Healyistes américains (ou 'Northistes”) du “procès Gelfand”.» [4] Soudoplatov, comme vous le savez, était un tueur notoire du KGB, qui a joué un rôle central dans la planification de l’assassinat de Trotsky. Que vous considériez «les Northistes» comme «encore pires» qu’un meurtrier de la GPU-NKVD révèle non seulement la profondeur de votre haine subjective du Comité international, mais aussi les perspectives politiques qui sous-tendent votre projet Zborowski.

Vous ne dites pas à vos lecteurs que vous avez soutenu l’expulsion d’Alan Gelfand du SWP pour avoir exigé que le SWP renonce à sa défense de Sylvia Caldwell et que Joseph Hansen, un chef central de l’organisation, réponde aux documents publiés par le Comité international exposant ses propres tractations secrètes avec la GPU et le «Federal Bureau of Investigation» (FBI) américain dans les années 1930 et 1940. Surtout, Mme Weissman, vous cautionnez encore et continuez à couvrir la SWP qui, de 1981 à 1983, visait à empêcher qu'Alan Gelfand ne force Sylvia Caldwell et Mark Zborowski à témoigner sous serment au sujet de leurs activités meurtrières à l’intérieur du mouvement trotskyste.

Votre fausse déclaration discrédite votre attaque sur le CIQI et Alan Gelfand. Elle soulève également de sérieuses questions sur la nature et le but de votre recherche dans les activités de Mark Zborowski en tant qu'agent à l’intérieur de la Quatrième Internationale. Compte tenu du caractère malhonnête de votre «post-scriptum», l’intégrité de votre projet Zborowski est hautement suspecte. Le sous-titre de votre article sur Zborowski, «Portrait d'une mystification», pourrait bien décrire vos propres actions.

Examinons en détail votre post-scriptum. Le texte intégral du paragraphe de conclusion se lit comme suit:

En 1979, la Workers League (WL, Ligue des travailleurs), les copenseurs américains de la Socialist Labor League (SLL, Ligue travailliste socialiste) britannique de Gerry Healy et le Comité international de la Quatrième Internationale ont découvert où Zborowski vivait à San Francisco et ont piqueté devant sa maison. Cette organisation a lancé une campagne de diffamation sectaire et bizarre contre Joseph Hansen, un chef de file du Socialist Workers Party américain et l’un des secrétaires de Trotsky à Calle Viena à Coyoacán au Mexique. Dans le procès Gelfand notoire, du nom de l’avocat Alan Gelfand qui a intenté la poursuite contre le SWP et Joseph Hansen, la Workers League a accusé les principaux dirigeants du SWP d’être des agents du FBI et Joseph Hansen d'être un agent du FBI et de la GPU. L’affaire était à la fois frivole et sans fondement, mais a fourni des grands titres et de l’encre pour les organisations de Healy. La pertinence de ce travail est que Gelfand a réussi à faire une déposition contre Zborowski en avril 1982.Zborowski s'est moqué de Gelfand et son avocat, refusant de répondre à quoi que ce soit sauf l’année et le lieu de sa naissance et s’il avait des frères et sœurs. L’affaire a finalement été rejetée. Une fois de plus, Zborowski a prouvé qu’il était maître dans l'art d'utiliser le cinquième amendement [de la Constitution américaine afin d’éviter de s’auto-incriminer] pour éviter de divulguer quoi que ce soit, et a tourné ses interlocuteurs en dérision. [5]

Presque chaque phrase de ce paragraphe est constituée d’inexactitudes factuelles, de trompeuses présentations des événements et des enjeux, de demi-vérités et de mensonges éhontés.

1. «En 1979, la Workers League, les copenseurs américains de la Socialist Labor [sic] League britannique de Gerry Healy et le Comité international de la Quatrième Internationale ont découvert où Zborowski vivait à San Francisco et ont piqueté devant sa maison.»

Zborowski tente d'empêcher David North de le photographier en août 1975

Vous êtes incapable, en raison de votre négligence et malveillance, d’établir correctement les faits les plus élémentaires. La Workers League a découvert l’adresse de Zborowski à San Francisco non pas en 1979, mais en 1975. Cet écart de quatre ans déforme le récit des événements qui ont conduit à la décision d’Alan Gelfand d’intenter une poursuite contre le SWP, qui a eu lieu après son expulsion en janvier 1979. En outre, le Workers League ne piquetait pas devant la maison de Zborowski. Agissant au nom du Comité international, j'ai photographié Zborowski et sa femme en dehors de leur appartement en août 1975. Ces photos ont été incluses dans «How the GPU Murdered Trotsky» («Comment la GPU a assassiné Trotsky»), le premier rapport périodique de l’enquête de «La Sécurité et la Quatrième Internationale».

2. «Cette organisation a lancé une campagne de diffamation sectaire et bizarre contre Joseph Hansen, un chef de file du Socialist Workers Party américain et l’un des secrétaires de Trotsky à Calle Viena à Coyoacán au Mexique.»

Votre description de «La Sécurité et la Quatrième Internationale» comme une «campagne de diffamation sectaire et bizarre contre Joseph Hansen» est une falsification diffamatoire des origines et de la nature des accusations portées par le Comité international contre Joseph Hansen. Le rapport «Comment la GPU a assassiné Trotsky» a été publié dans la presse du Comité international en août et septembre 1975. Ce récit historique méticuleusement documenté fournissait, pour la première fois dans l’histoire de la Quatrième Internationale, un compte-rendu détaillé de la conspiration contre la vie de Trotsky. À l’exception d’un seul rapport écrit au lendemain de l’assassinat de Trotsky, le SWP n’a fait aucun effort pour découvrir et démasquer le réseau de la GPU-NKVD qui a infiltré la Quatrième Internationale et organisé l’assassinat de Trotsky. En se fondant sur les documents officiels du gouvernement américain, les transcriptions des audiences du Congrès, et le témoignage d’agents soviétiques qui ont été jugés dans les années 1950, le Comité international a reconstruit le vaste réseau d’agents de la GPU – à Paris, à New York et au Mexique – impliqué dans le complot visant à assassiner Trotsky et à détruire la Quatrième Internationale.

Le rapport «Comment la GPU a assassiné Trotsky» a examiné les origines du complot de la GPU contre le mouvement trotskyste international. Il a examiné les activités des frères Sobolevicius (alias Senin et Well) et Mark Zborowski («Étienne») en Europe.Les informations révélées par le Comité international ont également soulevé des questions troublantes sur Lola Dallin (connue également sous le nom d'Estrine), qui se disait la «jumelle siamoise» de Zborowski, et qui l’a constamment protégé sur une période de près de 20 ans pour que son identité ne soit pas révélée et a, de ce fait, facilité ses crimes. Le Comité international a examiné la manière dont Ramon Mercader (connu également sous le nom de Frank Jacson) a été introduit avec succès dans le milieu de la Quatrième Internationale et a développé une relation personnelle avec Sylvia Ageloff, membre du SWP, qui a finalement permis au futur assassin d'avoir un accès direct à Trotsky.

Le rapport «Comment la GPU a assassiné Trotsky» a examiné également le réseau d’agents de la GPU qui a pénétré dans le mouvement trotskyste aux États-Unis, y compris Thomas Black, Floyd Cleveland Miller ainsi que Sylvia Caldwell qui était la secrétaire personnelle du fondateur du SWP James P. Cannon entre 1938 et 1947. «Comment la GPU a assassiné Trotsky» a découvert des renseignements sur Robert Sheldon Harte – le garde américain qui a ouvert les portes de la villa de Coyoacán à l’équipe stalinienne armée de fusils automatiques qui a tenté en vain d’assassiner Trotsky le 24 mai 1940 – qui ont fortement suggéré que Harte était un agent stalinien.

Le Comité international a également découvert des documents du gouvernement américain qui ont révélé pour la première fois que Joseph Hansen avait participé, seulement 10 jours après l’assassinat de Trotsky, à une série de réunions secrètes, totalement à l’insu du SWP, avec un représentant du FBI à l’ambassade américaine à Mexico. À la première réunion, Hansen a informé l’agent du FBI Robert McGregor que «quand il était à New York en 1938, il a été lui-même approché par un agent de la GPU qui lui a demandé de déserter la Quatrième Internationale et rejoindre la Troisième.» Prétendant agir avec l’approbation de Trotsky, Hansen a dit au FBI que pendant trois mois, il «avait été en contact avec un homme qui s’était présenté simplement comme “John”, et n’a pas fait plus pour révéler sa véritable identité». [6]

Face à cette information jusqu’alors inconnue, le Comité international a exigé que Hansen fournisse une explication de ses contacts avec le FBI et de sa relation avec la GPU.

La réponse de Hansen à «Comment la GPU a assassiné Trotsky» a été tout simplement stupéfiante. Il a qualifié les documents qui avaient conservé la preuve de sa rencontre avec le FBI comme une «campagne de salissage» [7], sans fournir la moindre justification que cette réunion et les suivantes avec les représentants de l’«American Gestapo» – comme le SWP étiquetait publiquement le FBI en 1940 – étaient autorisées par la direction du SWP. Hansen n’a pas non plus fourni d'explication crédible pour ses rencontres avec l’agent de la GPU «John».

Au même moment, Hansen a publié une défense mensongère de la secrétaire personnelle de Cannon. «Sylvia Caldwell (qui était son nom de parti)», écrit-il dans une longue déclaration publiée dans l’édition du 24 novembre 1975 de l’Intercontinental Press du SWP, «a travaillé très dur dans son rôle plutôt difficile de gérer le bureau national du SWP, qui comprenait aussi des tâches de secrétariat pour Cannon. En fait, tous les camarades qui ont souvent partagé ces tâches fastidieuses avec elle la trouvaient exemplaire. Ils ont été piqués au vif autant qu’elle par la calomnie propagée par Budenz.» [8]

Louis Budenz, comme vous le savez, Mme Weissman, était l’ancien rédacteur en chef du Daily Worker stalinien, qui était un agent de la GPU aux États-Unis et a joué un rôle central dans la conspiration pour assassiner Trotsky. Après sa défection du Parti communiste, Budenz est allé au FBI et a commencé à identifier des agents qui avaient été envoyés dans le SWP trotskyste par la GPU. Un de ces agents était Sylvia Caldwell, qui a disparu du SWP en 1947, peu de temps après avoir été identifiée par Budenz. En 1960, Sylvia Callen (nom de jeune fille de Caldwell) a été nommée co-conspiratrice non inculpée dans le procès de Robert Soblen pour espionnage. Robert Soblen – vous devriez le savoir – était l’un des frères Sobolevicius susmentionnés qui avaient d’abord infiltré le mouvement trotskyste dans les années 1930. Son frère, Jack Soble, qui a été trouvé coupable d’espionnage dans les années 1950, avait également identifié la secrétaire de Cannon comme un agent de la GPU lors de son procès.

Hansen a également dénoncé les questions soulevées par le CIQI sur Robert Sheldon Harte en les qualifiant de «particulièrement ignobles» et en déclarant: «L’odeur des vieilles calomnies de la GPU contre Harte persiste toujours au quartier général du Workers Revolutionary Party (WRP, Parti révolutionnaire des travailleurs).» [9]

Après la publication de «Comment la GPU a assassiné Trotsky», le Comité international a découvert plusieurs documents gouvernementaux relatifs aux contacts de Hansen avec le FBI. [10] Ils ont révélé que ces contacts de Hansen avec le FBI étaient fréquents et à long terme et représentaient un échange à sens unique d’informations: de Hansen au FBI. Hansen a fourni des informations permettant d’identifier plusieurs citoyens américains comme agents de la GPU. Il a remis au FBI un mémorandum secret, rédigé par Whittaker Chambers (un autre transfuge du GPU) qui impliquait la membre du SWP, Sylvia Ageloff, dans l’assassinat de Trotsky.Ce mémorandum disait: «Vous ne pouvez pas croire à l’innocence des filles Ageloff. Seul un idiot pourrait vivre avec un agent de la GPU et ne pas finir par s'en rendre compte.» Que l’évaluation de Chambers fût justifiée reste un sujet de débat légitime. Mais au moment où Hansen transmettait un document au FBI qui incriminait une camarade de son parti, la position publique du SWP était que Sylvia Ageloff était une victime innocente de la duplicité criminelle de l’assassin.

Le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, a suivi de près les réunions de Hansen avec le FBI, et il a ordonné qu’aucune information relative à l’enquête du FBI de l’assassinat de Trotsky ne lui soit transmise.

Enfin, avant de retourner à New York du Mexique, Joseph Hansen a demandé au FBI que lui soit fourni un contact confidentiel «à qui des informations peuvent être communiquées en toute impunité». [11]

Une lettre d’un fonctionnaire du gouvernement américain qui rapporte la demande de Joseph Hansen pour un contact confidentiel avec le FBI

3. «Dans le procès Gelfand notoire, du nom de l’avocat Alan Gelfand qui a intenté la poursuite contre le SWP et Joseph Hansen, la Workers League a accusé les principaux dirigeants du SWP d’être des agents du FBI et Joseph Hansen d'être un agent du FBI et de la GPU. L’affaire était à la fois frivole et sans fondement, mais a fourni des grands titres et de l’encre pour les organisations de Healy.»

Il n’y avait rien de «frivole et sans fondement» – et encore moins de «notoire» – dans le procès intenté par Gelfand en juillet 1979. Il était solidement appuyé par une vaste enquête. Si la poursuite avait été «frivole et sans fondement», elle n’aurait pas survécu aux trois motions pour jugement sommaire présentées par le SWP. Le 12 juillet 1982, la juge Marianna Pfaelzer a rejeté le jugement sommaire et reconnu que Gelfand avait satisfait le critère juridique nécessaire pour organiser un procès. Ainsi, l’affaire a été jugée. Du point de vue du droit, cette décision signifiait que la Cour a constaté que la plainte de Gelfand n’était ni «frivole» ni «sans fondement». Elle a démoli objectivement l’assertion officielle du SWP, que vous soutenez à ce jour, que «Healy et ses associés n’ont pas apporté le moindre indice probant, des documents ou des témoignages pour étayer leurs accusations diffamatoires contre Hansen et Novack, les cibles des attaques.» [12]

Depuis plus d’un an avant son expulsion du SWP en 1979 et l’ouverture de son procès, Gelfand avait tenté d’obtenir du secrétaire national Jack Barnes et d’autres chefs du parti une explication cohérente et bien étayée des documents compromettants publiés par le Comité international. On ne lui a fourni aucune explication. On lui a suggéré simplement de lire un bulletin d’éducation du SWP intitulé «Le gros mensonge de Healy» («Healy's Big Lie»). On a dit à Gelfand, à tort, que ce bulletin répondait à toutes les questions soulevées par le Comité international. Le bulletin, comme l'ont compris tous ceux qui ont pris le temps de le lire attentivement, n'expliquait rien du tout. Vous, Mme Weissman, étiez manifestement satisfaite du refus du SWP d’apporter des réponses crédibles aux preuves qui établissent que Sylvia Caldwell était un agent et que Joseph Hansen a été informateur du FBI. Mais Gelfand lui, ne l'était pas.

Dans une lettre adressée au Comité national du SWP, en date du 26 mars 1978, Gelfand a soigneusement examiné les documents et les éléments de preuve découverts par le Comité international. Il a posé trois questions au Comité national:

I. Sylvia Franklin, secrétaire personnelle de James P. Cannon, était-elle un agent de la GPU?

II. Joseph Hansen a-t-il été autorisé par le SWP d’avoir un contact personnel avec la GPU en 1938?

III. Joseph Hansen a-t-il été autorisé par le SWP à prendre contact avec le FBI en 1940? [13]

Gelfand, un avocat très expérimenté de la défense publique, avait inclus avec chaque question un examen détaillé de la preuve documentaire produite par le Comité international. Dans la conclusion de sa lettre, Gelfand a écrit:

Je suis convaincu que toute lecture objective de ma lettre mènera à la conclusion que Sylvia Franklin était une agente de la GPU et que les relations de Joseph Hansen avec la GPU et le FBI sont, à tout le moins, très discutables, et elles nécessitent un examen immédiat et exhaustif. [14]

Gelfand termine sa lettre en exigeant deux choses:

Que Sylvia Franklin soit reconnue en tant qu'agent de la GPU et renvoyée.

Qu’on exige de Joseph Hansen de fournir un compte-rendu complet de son implication avec la GPU et le FBI et qu’il remette au Parti tous les fichiers, les notes, les manuscrits, les lettres ou toute autre correspondance en sa possession ou sous son contrôle. [15]

Le 7 avril 1978, Larry Seigle, écrivant au nom de la commission politique du SWP, a répondu à Gelfand avec l’avertissement suivant:

Vous nous demandez notre opinion sur la façon dont vous pouvez continuer à porter vos accusations contre Joe Hansen. La réponse à cette question est simple. Le Parti ne peut permettre et ne permettra pas que nos membres soient traités d'agents par d'autres membres du Parti. D'autres calomnies Healyistes de votre part ne seront pas tolérées. [16]

La lettre de Seigle a clairement indiqué que la direction du SWP était incapable de réfuter les preuves publiées par le Comité international et que sa seule réplique à ceux qui cherchaient des réponses était de les menacer d’expulsion du SWP.

Le 18 décembre 1978, Gelfand a déposé une requête amicus curiae (ami de la Cour) à la Cour fédérale exigeant que le ministre de la Justice des États-Unis «divulgue les noms de tous les informateurs dans le SWP, à la fois passé et présent...» [17] Moins d’un mois plus tard, le 11 janvier 1979, le Comité politique du SWP a répondu à cette demande politique de principe en expulsant Alan Gelfand du SWP. Dans une déclaration publique émise par la direction du SWP en juillet 1979, Seigle a écrit de Gelfand qu'«on aurait dû l'expulser bien avant». [18]

Vous persistez à ce jour en calomniant Gelfand malgré le fait que ses questions sur l’infiltration du SWP aient été entièrement confirmées.

Permettez-moi d’attirer votre attention sur certains faits incontestables:

Tout d’abord, les papiers Venona et les documents obtenus après la dissolution de l’Union soviétique ont confirmé que Robert Sheldon Harte – dont Hansen et son collègue George Novack avaient fait l’éloge comme une victime innocente du «gros mensonge de Healy» – avait été recruté par la GPU et qu'il avait participé à l’attentat à la vie de Trotsky le 24 mai 1940:

Les documents d’archives du KGB apportés à l’Ouest par Vassili Mitrokhine ont confirmé que Harte avait collaboré avec les assaillants. Une histoire du KGB publié en Russie en 1997 a noté que Harte a ouvert la porte volontiers et est parti avec les assaillants, affirmant qu’il avait été recruté par la station de New York et donné le nom de couverture «Cupidon». [19]

Ainsi, les questions initialement soulevées au sujet de Harte par le Comité international dans «Comment la GPU a assassiné Trotsky» – et pour lesquelles le CIQI a été décrié violemment par Hansen et Novack – étaient tout à fait légitimes. Il n’y a, il faut le noter, aucune référence à Sheldon Harte dans vos articles de la revue Critique.

Deuxièmement, il a été établi que Sylvia Caldwell était un agent de la GPU. Le procès de Gelfand a conduit à la divulgation de son témoignage au grand jury de 1958 dans lequel elle a avoué son rôle d’espion stalinien dans le SWP. Vous avez même finalement reconnu qu’elle était un agent. Vous écrivez dans l’article de Critique:

Mike Cort, connu sous le nom de Floyd Cleveland Miller, est devenu le principal agent du KGB dans le SWP, avec Sylvia Callen, qui a servi comme secrétaire de James Cannon, une position qui lui a donné accès à des documents internes et des informations sur les activités du SWP. Le nom de Sylvia dans le mouvement trotskyste était Caldwell, mais elle était aussi connue sous les noms de famille de ses époux, dont le premier, Zalmond Franklin (également un agent), puis James Doxsee. Son nom de couverture dans le trafic Venona était Satyre. Elle a fourni régulièrement à son contrôleur du NKVD Jack Soble des rapports dactylographiés sur les luttes de factions au sein du SWP, mais elle a continuellement demandé d’être libérée de sa tâche, car cela la rendait nerveuse. Joseph Katz est devenu responsable de Cort et de Caldwell, sous la direction de Soble. [20]

Les papiers Venona – des transcriptions des rapports d’espionnage soviétique décodés qui ont été rendues publiques par le gouvernement américain après la dissolution de l’URSS – ont ajouté peu aux informations qui avaient déjà été découvertes sur Doxsee des années plus tôt par l’enquête de «La Sécurité et la Quatrième Internationale» et le procès d’Alan Gelfand. J’avais localisé Caldwell à Wheaton en Illinois en mai 1977 et établi que son nouveau nom de femme mariée était Sylvia Doxsee. En mars 1983, à l’issue du procès de l’affaire Gelfand, la juge Marianna Pfaelzer a divulgué les transcriptions de grand jury du témoignage de Doxsee malgré les vives objections du SWP. L’action de Pfaelzer a clairement pris l’avocat du SWP, et encore plus le secrétaire national du SWP, Jack Barnes, par surprise. Moins d’une heure avant la divulgation des transcriptions, Barnes avait réaffirmé son admiration pour Sylvia Franklin. L’échange suivant entre l’avocat de Gelfand et Barnes a eu lieu en audience publique le 9 mars 1983:

Q: Donc, au moment où vous avez reçu [la lettre de Gelfand], était-ce votre opinion que rien ne pouvait indiquer que Sylvia Franklin était un agent de la GPU?

Barnes: Tout indique le contraire. Son comportement, non seulement quand elle était dans le mouvement, mais tout ce qui est arrivé depuis qu’elle est partie indique qu’elle est exactement ce qu’elle semblait être: un membre fidèle et modèle de notre mouvement qui travaillait dur.

Q: Cela reste votre opinion aujourd’hui?

Barnes: Eh bien, mon opinion aujourd’hui est qu’elle est l’un de mes héros après le harcèlement et ce qu’elle a vécu dans les deux dernières années. Je dirais même que mes sentiments sont encore plus positifs aujourd’hui à l’égard de sa personne et de son caractère. [21]

Troisièmement, un document obtenu par Gelfand au cours du processus de découverte a établi que Louis Budenz, qui avait révélé l’identité de Sylvia Caldwell, avait également identifié Joseph Hansen comme un agent de la GPU. Une lettre privée écrite le 8 juin 1976 à Joseph Hansen par son ami Vaughn T. O’Brien a rappelé l’événement important suivant:

Il y a quelques années, à la fin des années 40 ou au début des années 50 (je ne me souviens plus trop de la date, mais je me rappelle clairement le lieu – la deuxième avenue et la dix-septième rue à New York) – j’ai croisé Pearl Kluger dans la rue. Pearl avait été secrétaire dans le bureau de la Commission américaine pour la Défense de Léon Trotsky, et elle a été, je crois, à l’origine associée à A.J. Muste et Louis Bundenz [sic] dans le vieux Workers Party (Parti des travailleurs). Je n’avais pas vu Pearl depuis longtemps, mais elle m’a immédiatement dit: «Budenz dit que votre ami, Joe Hansen, a travaillé avec la GPU.» [22]

Sylvia Caldwell (Franklin, Doxsee), photographiée par David North en 1977

La lettre d’O’Brien a finalement révélé pourquoi Hansen et le SWP avaient défendu sans relâche Sylvia Caldwell en tant que camarade «exemplaire» face à des preuves accablantes (même avant la divulgation des transcriptions du grand jury de 1958 et les documents Venona) qu’elle travaillait comme espionne du GPU-KGB; et pour quelle raison ils avaient dénoncé Budenz encore et encore comme quelqu’un qui s’était parjuré. Budenz avait révélé non seulement l’identité de Caldwell, mais celle de Hansen aussi. Pour le SWP, accepter les allégations de Budenz contre Caldwell aurait inévitablement soulevé les questions les plus graves sur le rôle de Hansen. En outre, le fait que Budenz n’ait jamais publiquement identifié Hansen comme un agent aurait inévitablement éveillé les soupçons que le FBI avait mis son veto à cette divulgation, car Hansen avait été un informateur de haut niveau depuis 1940.

Cinq semaines après la conclusion du procès Gelfand, dans l’édition du 15 avril 1983 de The Militant (Le Militant), les dirigeants du SWP ont informé leurs membres pour la première fois de ce qu’ils savaient depuis des années: que Budenz avait révélé le nom de «plusieurs membres du SWP qui étaient des agents soviétiques. Parmi ceux-ci était Joseph Hansen, chef central du SWP jusqu’à sa mort en 1979...» Le mot «plusieurs» indique que la liste des agents de la GPU à l’intérieur du SWP ne se limitait pas qu’à Hansen et Caldwell. Malgré cette admission publique stupéfiante, qui a entièrement justifié l’enquête de «La Sécurité et la Quatrième Internationale» et les efforts d’Alan Gelfand, les dirigeants du SWP ont continué à défendre Caldwell. Un jour seulement après la publication de cet aveu accablant dans The Militant, Larry Seigle a fait la proposition suivante au Comité politique du SWP:

Enfin, nous devrions écrire un article présentant la position du parti sur les accusations portées contre Sylvia Caldwell. L’article doit présenter au parti et au mouvement international notre position politique selon laquelle notre parti a la responsabilité de se défendre contre des opérations à la Cointelpro (accuser quelqu’un d’être un agent pour protéger le véritable agent) qui sont maintenant dirigées contre Sylvia Caldwell et le SWP. Il est particulièrement nécessaire d’expliquer à nouveau, pour ceux qui n’ont jamais appris ou ont oublié, la responsabilité de la direction du parti ouvrier révolutionnaire de défendre loyalement chaque membre contre de telles campagnes de diffamation. [23]

Le procès-verbal du comité politique montre qu’une motion «Pour approuver l’approche décrite par Seigle pour l’article sur Sylvia Caldwell» a été adoptée à l’unanimité. Cette «approche» a été concrétisée dans un rapport présenté par Jack Barnes au comité national du SWP en mai 1983 qui a été publié dans The Militant du 5 août 1983. Barnes a de nouveau défendu Caldwell comme une «camarade». Il a dit au Comité national:

Comme nous le savons, Sylvia a été vilipendée par le perturbateur et l’indicateur du FBI, Louis Budenz. Elle a été harcelée par le FBI pendant toutes ces années de la chasse aux sorcières. Elle a été traînée devant l’enquête des grands jurys fédéraux sur l’«espionnage» soviétique pendant les années 1950, comme le procès qui a inculpé les Rosenberg. Et elle doit maintenant supporter la WL et le WRP qui se servent de cette campagne pour continuer leurs opérations de perturbation contre notre mouvement, ici et internationalement.

Barnes a ensuite prétendu que les transcriptions du grand jury avaient été falsifiées. «On devrait croire à cette mise en scène parfaite: une transcription officielle, dans laquelle la femme dit sous serment qu’elle a fait les choses dont on l’accuse.» Ces assertions absurdes et désespérées de Barnes ont été acceptées sans opposition par le comité national.

4. «La pertinence de ce travail est que Gelfand a réussi à faire une déposition contre Zborowski en avril 1982. Zborowski s'est moqué de Gelfand et son avocat, refusant de répondre à quoi que ce soit, sauf l’année et le lieu de sa naissance et s’il avait des frères et sœurs. L’affaire a finalement été rejetée. Une fois de plus, Zborowski a prouvé qu’il était maître dans l'art d'utiliser le cinquième amendement pour éviter de divulguer quoi que ce soit, et a tourné ses interlocuteurs en dérision.»

Tout ce qui est écrit dans le passage ci-dessus est une déformation et une falsification du dossier juridique. Zborowski ne s’est moqué de personne. Ceci est clairement démontré par le dossier juridique entourant les efforts de Gelfand visant à faire comparaître Zborowski. Le 1er février 1982, le juge Pfaelzer a accordé à Gelfand 90 jours de recherche de documents au cours desquels il serait autorisé à obtenir des dépositions de témoins. Les avocats de Gelfand ont exigé que Zborowski comparaisse au procès. Le SWP a immédiatement demandé au tribunal d’imposer une ordonnance de protection pour bloquer la déposition de Zborowski. Dans sa propre déposition, en mars 1982, Jack Barnes a présenté une justification extraordinaire de l’intervention du SWP dans la défense de Zborowski:

Q: Est-ce votre travail de protéger des agents de la GPU?

Barnes: Il est de mon devoir de protéger les droits des citoyens américains en combattant et en travaillant à travers le mouvement et en défendant les droits de notre parti quand ils sont attaqués.

Q: Est-ce les droits de votre parti sont attaqués lorsque des enquêtes sont menées, dans les limites de la loi, sur les activités de la GPU au sein de votre mouvement?

Barnes: Lorsque des personnes sont harcelées par des organisations dont le seul but est de les harceler leurs droits sont touchés. Vous avez parlé à M. Zborowski plus tôt. C’est quelqu’un qui a déclaré, sous serment, être associé à des organismes étrangers à notre mouvement. Même M. Zborowski a les mêmes droits que tout autre citoyen dans ce pays. [24]

La question n’était pas de savoir si Zborowski avait des droits, mais s’il devait être contraint de témoigner, dans une déposition juridique, sur son rôle en tant qu’agent stalinien. En réponse au SWP qui tentait de bloquer la déposition, les avocats de Gelfand ont déposé un mémoire, en date du 12 mars 1982, expliquant l’importance du témoignage de Zborowski.

La déposition de M. Zborowski jettera un éclairage précieux sur la nature de l’activité de la GPU dans le mouvement trotskyste américain. Il sera interrogé sur les noms de ses collaborateurs à l’intérieur de ce mouvement et sur ses propres activités à l’intérieur du SWP. Compte tenu de la carrière de M. Zborowski au sein de la Quatrième Internationale, il est clair qu’il peut jeter une lumière critique sur les activités des agents de la GPU et leur modus operandi, une question d’une grande importance dans l’évaluation des activités actuelles des accusés du SWP. L’importance de la déposition de M. Zborowski est claire et compte tenu de l’historique de son espionnage au sein du mouvement trotskyste, il est en effet étrange que les défendeurs du SWP aient cherché une ordonnance de protection en son nom. [25]

La juge Pfaelzer a rejeté la tentative du SWP pour arrêter la déposition de Zborowski qui a eu lieu le jeudi 15 avril 1982. Après une longue attente, ce meurtrier devait être interrogé par un avocat représentant le mouvement trotskyste. C’était un événement qui aurait dû être célébré par tous les socialistes. Mais pour le SWP, qui avait tenté d’annuler la déposition, c’était une menace. Le procureur James Larson a représenté Mark Zborowski. Dans la lutte pour arrêter l’interrogatoire de Zborowski, Larson a travaillé étroitement avec les avocats du SWP. Le gouvernement américain était très intéressé par cette déposition. Une avocate du gouvernement, Linda Cromwell, a assisté à la déposition en tant que représentante du directeur de la CIA, William Casey, du directeur du FBI William Webster et du ministre de la Justice William French Smith. John Burton, l’avocat représentant Alan Gelfand a interrogé Zborowski.

Après que Zborowski a répondu à des questions sur son identité personnelle, on lui a demandé à quel moment il avait quitté la Russie. Il a répondu: «Sur les conseils de mon avocat, je refuse de répondre à cette question au motif que la réponse pourrait tendre à m’incriminer en violation de mes privilèges étatiques et fédéraux contre l’auto-incrimination.» Il a affirmé ce privilège en réponse à toutes les autres questions de Burton, y compris la question cruciale suivante:

Q: Si je vous posais des questions sur les circonstances de votre entrée aux États-Unis en décembre 1941, votre réponse serait-elle la même?

Zborowski: Oui.

Comme vous le savez, Mme Weissman, Zborowski a pu s’échapper de la France de Vichy profasciste et entrer aux États-Unis grâce aux efforts extraordinaires déployés par Lola Dallin et George Novack. Une réponse par Zborowski à cette question aurait contribué à clarifier la nature de sa relation avec Dallin. Est-ce qu’elle travaillait avec lui en tant que collaboratrice dans ses activités de la GPU? George Novack faisait-il partie d’un réseau de sympathisants et d’agents staliniens à l’intérieur du SWP?

Burton a continué son interrogatoire de Zborowski, lui demandant s’il allait continuer de faire valoir le privilège du cinquième amendement contre l’auto-incrimination.

Q: Si je vous posais des questions sur des activités auxquelles vous auriez participé pour le compte de la police secrète soviétique au sein du mouvement trotskyste et au sein du SWP aux États-Unis, à partir du moment où vous êtes entré aux États-Unis jusqu'aux années 1954 et 1955, vos réponses seraient-elles les mêmes?

Zborowski: Oui.

Q: Si je vous posais des questions sur ce que vous savez ou sur ce que vous avez pu entendre concernant l’appareil international de la police secrète soviétique au sein du mouvement trotskyste de 1930 jusqu’à aujourd’hui, votre réponse serait-elle la même?

Zborowski: Oui. [26]

Pourquoi décrivez-vous le recours de Zborowski, sur les conseils de son avocat, au privilège du Cinquième amendement contre l’auto-incrimination comme s’il s’était «moqué de Gelfand et de son avocat»? Comment son lâche silence a-t-il «ridiculisé ses interlocuteurs»? En fait, dans le contexte du procès, le refus de Zborowski de répondre aux questions sur les motifs que son témoignage pourrait conduire à sa propre poursuite en justice venait appuyer l’accusation de Gelfand que le Socialist Workers Party avait été la cible d’un haut niveau d’infiltration par l’État.

Mark Zborowski et sa femme à San Francisco en 1975

Les avocats de Gelfand sont retournés en cour afin de contraindre Zborowski à répondre aux questions. L’audience sur leur recours de l’invocation de Zborowski du privilège du Cinquième amendement a eu lieu le 4 janvier 1983, devant le magistrat J. Steele Langford du Tribunal de district américain. Le magistrat a répondu à l’argument de John Burton en mentionnant la législation nouvellement adoptée qui faisait du geste de fournir des informations qui pourraient mener à la divulgation de l’identité d’agents du gouvernement un crime fédéral.

Tribunal: Alors, pourquoi le tribunal ne devrait-il pas honorer le souhait de M. Zborowski d’avoir recours au privilège contre l’auto-incrimination?

Burton: Votre Honneur, nous –

Tribunal: À la lumière du fait, si je comprends bien, que la déposition, souhaite que ce témoin identifie diverses personnes qui ont été ou sont dans le SWP, qui sont, dans les faits, des agents secrets, peut-être des agents de renseignements, des États-Unis?

Burton : Eh bien, c’est notre cause, votre Honneur, d’en faire la preuve, et nous allons en procès le 1er mars à cette fin précise. Voulez-vous dire que cela contreviendrait à l’Intelligence Identities Protection Act (Loi sur la protection d’identité des agents de renseignements)?

Tribunal: Oui. [27]

Le magistrat Langford a statué en faveur de Zborowski, indiquant qu’un témoignage qui conduit à la divulgation de l’identité des agents dans le SWP pourrait conduire à sa poursuite en justice.

Alors, je crois que M. Zborowski, compte tenu de la nature même de ce cas, mise en face, depuis que l’affaire a été déposée, d’un texte connu sous le nom de « the Protection of Certain National Security Information » (la Protection de certains renseignements de la Sécurité nationale), qui est devenu loi cette année, enfreint ou courrait le risque d’enfreindre l’article 601 (a) de cet acte, dût-il identifier par nom, par description ou tout autre élément qui pourrait conduire à l’identification d’agents de renseignements qui pourraient être actifs superficiellement dans ce Socialist Workers Party. [28]

Zborowski ne s’est pas moqué de Gelfand et de son avocat et les a encore moins tournés en dérision. Au contraire, après une bataille juridique prolongée, on a épargné à Zborowski, avec l’aide essentielle de ses défenseurs dans le SWP, d’avoir à répondre à leurs questions grâce à une loi fédérale nouvellement adoptée qui faisait de l’identification d’agents du gouvernement à l’intérieur de cette organisation une infraction pénale. Ainsi se termina la seule et dernière occasion pour le mouvement trotskyste d’interroger Mark Zborowski.

Dans une lettre plaintive à Albert Glotzer, écrite le 1er mars 1997, vous souvenez-vous: « J’ai essayé de rencontrer Zborowski plusieurs fois et je lui ai téléphoné au moins quatre fois avant sa mort, mais il m’a toujours raccroché au nez ou claqué la porte au visage. Quel salaud!» Votre indignation était mal placée. Pourquoi avez-vous été surprise, Mme Weissman? Vous attendiez-vous vraiment à ce que Zborowski, un agent stalinien avec du sang sur les mains, accepte d’avoir une conversation agréable et instructive avec vous à propos de ses meurtres? Vous attendiez-vous à ce qu’il mette son âme à nu et cherche votre compréhension? Dans la façon naïve dont vous avez essayé d’aborder Zborowski, c’est vous qui vous êtes ridiculisée.

Trente-deux ans se sont écoulés depuis la conclusion de l’affaire Gelfand. Au cours des dernières années, vous vous êtes présentée comme une intellectuelle cherchant sans relâche la vérité sur le rôle de Mark Zborowski. Vous avez écrit, avec un ton las, que vous deviez «traverser un vaste labyrinthe de censure dans les archives et la documentation.» D’un ton hautain, vous annoncez: «démasquer des secrets n’est jamais facile». Allez donc dire cela à Alan Gelfand et au Comité international de la Quatrième Internationale, Mme Weissman! Plutôt que d’avoir honte de votre propre consentement dans les mensonges et dissimulations de Hansen, Novack et Barnes, vous travaillez encore à les perpétuer.

En conclusion, je demande à nouveau que vous rétractiez publiquement les distorsions diffamatoires et fausses déclarations qui apparaissent dans le post-scriptum de votre article sur Marc Zborowski.

Bien à vous,

David North

Président national du Parti de l'égalité socialiste (États-Unis)

Président du Comité de rédaction international du World Socialist Web Site

Notes :

[1] Volume 43, n° 2, pp. 189-209

[2] Voir, par exemple, The Venona Secrets: Exposing Soviet Espionage and American Traitors, par Herbert Romerstein et Eric Breindel; et Spies: The Rise and Fall of the KGB in America, par Harvey Klehr, John Earl Haynes et Alexandre Vassiliev

[3] Ibid, p. 209

[4] Lettre à Albert Glotzer, le 13 décembre 1996

[5] Ibid

[6] How the GPU Murdered Trotsky (Comment la GPU a assassiné Trotsky) (London: New Park, 1981), pp. 217-218

[7] Healy’s Big Lie: The Slander Campaign Against Joseph Hansen, George Novack, and the Fourth International (Le gros mensonge de Healy: La Campagne diffamation contre Joseph Hansen, George Novack, et la Quatrième Internationale) New York: National Education Department, 1976, p. 13

[8] Ibid, p. 9

[9] Ibid, pp. 9-11

[10] Les textes de ces documents sont reproduits dans The Gelfand Case, Volume 1, (New York: Labor Publications, 1985), pp. 7-30

[11] Ibid, p. 21

[12] Healy’s Big Lie, p. 63

[13] The Gelfand Case, tome 1, pp. 52-70

[14] Ibid, p. 69

[15] Ibid, p. 70

[16] Ibid, p. 74

[17] Ibid, p. 91

[18] Ibid, p. 103

[19] Harvey Klehr, John Earl Haynes, Alexandre Vassiliev: Spies: The Rise and Fall of the KGB in America (Emplacements Kindle 7502-7505). Édition Kindle

[20] «Portrait of Deception», Partie 2, Critique, 2015, Volume 43, n ° 1, p. 192

[21] The Gelfand Case, tome 2, p. 635

[22] Ibid, p. 651

[23] Réunion du Comité politique du SWP n° 8, 16 Avril, 1983

[24] The Gelfand Case, tome 2, p. 422

[25] The Gelfand Case, tome 1, pp. 152-153

[26] The Gelfand Case, tome 2, pp. 434-435

[27] Ibid, pp. 465-466

[28] Ibid, p. 469

(Article paru d’abord en anglais le 10 novembre 2015)

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