Secteur public québécois

Les syndicats prêts à conclure une entente de trahison avec le gouvernement

Les syndicats du Front commun se préparent à accepter une entente à rabais qui réduira les salaires et les pensions des employés du secteur public, tout en laissant le champ libre aux mesures d'austérité qui ont déjà ravagé les réseaux de la santé, de l'éducation et des services sociaux. 

Des reportages parus dans la presse en fin de semaine font état d'un «blitz» dans les négociations après que le gouvernement a retiré certaines de ses demandes les plus controversées aux tables dites sectorielles – excluant les questions aussi litigieuses que les salaires et les régimes de pensions qui sont uniquement abordées aux tables dites centrales. 

«On est dans une phase d'intensification des travaux aux tables de négociation», a déclaré le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux. «Et dans ce contexte-là, le gouvernement est prêt à donner une chance au coureur». 

Le nouveau discours du gouvernement libéral n'est qu'une manœuvre. Avec sa récente loi 20, il s'est déjà donné les moyens de miner les conditions de travail et de privatiser des pans entiers du système de santé. De plus, il maintient intégralement son «offre» salariale minimale de 3% sur cinq ans (gel salarial sur deux ans et 1% pour chacune des trois autres années), assortie d'une hausse de l'âge de retraite (qui passerait de 60 à 62 ans). 

Sans surprise, la réponse syndicale a été chaleureuse. Des responsables syndicaux ont fait savoir qu' «il faut que cela se règle dans les prochains jours», selon le quotidien montréalais La Presse, proche des libéraux de Couillard. 

Jacques Létourneau, président de la CSN (Confédération des syndicats nationaux), l'une des principales composantes du Front commun, a dit avoir «bon espoir». Il a laissé entendre que la journée de débrayage du 9 décembre, annoncée jeudi par le front commun intersyndical, pourrait ne jamais prendre place. 

Ce nouveau recul du Front commun survient quelques jours seulement après l'annulation des trois journées de grève de tout le secteur public initialement prévues les 1er, 2 et 3 décembre, et après le dépôt d'une contre-offre syndicale comportant des demandes salariales fortement réduites. 

Les chefs syndicaux se préparent à saboter une lutte militante des travailleurs pour la défense des salaires et des services publics. Ils présenteraient une entente pourrie à leurs membres en disant que c'est le mieux qu'on peut espérer. Et après avoir passé des mois à garder un silence complice sur la menace d'une loi spéciale, ils invoqueraient soudainement cette menace pour intimider les travailleurs qui voudraient résister. 

Un tel résultat devrait être vu, non pas comme le fruit des erreurs tactiques ou de l'incompétence de certains dirigeants, mais comme la conséquence inévitable d’une politique de longue date. Au cours des quatre dernières décennies, les syndicats ont collaboré fois après fois avec les gouvernements et le patronat pour mettre en œuvre, aux dépens de la classe ouvrière, la vaste restructuration des rapports de classe qu'exigeait la grande entreprise.

Au Québec comme partout au Canada, le gouvernement est intervenu à maintes reprises au cours de la récente période pour criminaliser les mouvements d’opposition, particulièrement dans le secteur public. Depuis les années 80, il y a eu une série de lois spéciales dans le cadre des conventions collectives du secteur public québécois. À chaque fois, les syndicats n’ont rien fait pour s’y opposer sérieusement. 

La dernière fois, en 2005, les syndicats ont capitulé devant le décret du gouvernement libéral de Jean Charest, qui imposait un contrat de sept ans rempli de concessions. Même lorsque les syndicats ont pu faire adopter des ententes par leurs membres, comme en 2010, celles-ci comprenaient des réductions de salaires en termes réels et des reculs dans les conditions de travail. 

À peine deux ans plus tard, à l'occasion de la grève étudiante de 2012 qui a secoué la province pendant des mois, les syndicats ont tout fait pour empêcher que les travailleurs se joignent aux étudiants qui luttaient pour défendre l'éducation et les services publics. Ils ont ensuite détourné cette lutte – qui avait le potentiel de devenir un vaste mouvement anti-austérité – derrière l’élection de l’autre parti de l’élite dirigeante qu’est le Parti québécois (PQ). Ce dernier, une fois au pouvoir, a accéléré le démantèlement des programmes sociaux tout en attisant le chauvinisme anti-musulman. 

En échange de leurs trahisons répétées des luttes ouvrières, les syndicats sont invités par l’élite dirigeante à occuper une position privilégiée au sein de comités tripartites (gouvernement-patronat-syndicat) et dans la gestion de riches fonds d’investissement et de capital de risque, tels que Fondaction de la CSN et surtout le Fonds de solidarité de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec).

Ce dernier se vante aujourd'hui d'être au premier rang canadien des investisseurs privés, avec un actif net de plus de 11 milliards de dollars et des profits avoisinant le milliard de dollars rien que pour la dernière année fiscale. Renforçant la mainmise de la bourgeoisie francophone du Québec sur l’économie de la province à travers le développement et le financement d’entreprises québécoises, le Fonds a été une pierre angulaire de la relation entre la bureaucratie syndicale, le Parti québécois et le mouvement souverainiste. 

L’appui de la bureaucratie syndicale pour le PQ demeure l'un des mécanismes clés pour attacher politiquement les travailleurs à la classe dirigeante, notamment en divisant la classe ouvrière canadienne selon des lignes linguistiques. Il y a quelques semaines, les syndicats demandaient de manière éhontée que le nouveau chef du PQ, l’anti-syndicaliste notoire Pierre-Karl Péladeau, appuie les travailleurs du secteur public – ce qu’il a finalement fait du bout des lèvres, de manière démagogique. 

Péladeau est un des éléments les plus à droite de l’establishment, qui pousse depuis des années avec les journaux de son empire médiatique Québecor pour un assaut généralisé contre les travailleurs et des réductions d’impôts pour les riches et les entreprises. 

Les syndicats jouent le même rôle traître partout à travers le monde. Un exemple frappant est fourni par l'UAW (United Auto Workers - Travailleurs unis de l'automobile) aux États-Unis. Les dirigeants de l’UAW viennent d’imposer d’importants reculs aux dizaines de milliers de travailleurs de l’automobile, intimidant ceux qui s’opposaient à l’entente préparée conjointement entre l’UAW et les patrons de Fiat-Chrysler, GM et Ford, et allant possiblement jusqu’à truquer les bulletins de vote. 

Le tournant marqué vers la droite des syndicats est un processus qui a pris place à l’échelle internationale et qui s’est accéléré avec la mondialisation des forces productives au début des années 1980. Dans le contexte d’une compétitivité accrue due à la mobilité croissante du capital, les syndicats pro-capitalistes, organiquement liés à l’État-nation, ont réagi en se liant encore plus étroitement à leur classe dirigeante respective afin d’assurer une main-d’œuvre rentable pour attirer le capital étranger. 

La nouvelle trahison que prépare activement le Front commun dans le secteur public québécois aura des implications majeures. Elle ouvrira une brèche dans laquelle la grande entreprise et le gouvernement vont se ruer pour accélérer la privatisation des services publics, attaquer les conditions de vie de toute la classe ouvrière canadienne et transférer les richesses sociales vers les sections les plus riches de la société. 

Les travailleurs du secteur public ne pourront éviter une nouvelle défaite que s'ils prennent les choses en mains. Pour briser la camisole de force bureaucratique, il faut établir des comités de lutte, formés de membres de la base et entièrement indépendants des syndicats pro-capitalistes. De tels comités organiseraient une vaste mobilisation des employés du secteur public, et de tous les travailleurs du Canada (français, anglais et immigrés), dans la lutte pour défendre les emplois, les salaires, les pensions et les services publics, en défiant si nécessaire les lois spéciales qui violent le droit démocratique de faire la grève. 

Cette mobilisation militante doit être associée à une lutte politique, non seulement contre les libéraux de Couillard mais contre toute l'élite dirigeante et tout l'appareil répressif de l'État canadien – les divers paliers de gouvernement, la police et les tribunaux. Aux efforts impitoyables de l'élite dirigeante visant à faire payer les travailleurs pour la crise du système capitaliste mondial, il faut opposer la lutte pour un gouvernement ouvrier qui utiliserait les vastes ressources disponibles afin de satisfaire les besoins sociaux, et non les profits d'une minorité.

Loading