La Chine investit $46 milliards dans le projet sino-pakistanais de Corridor économique

Le 20 avril, le président chinois Xi Jinping a visité le Pakistan accompagné d'investisseurs, de banquiers et d’hommes d'affaires pour lancer le projet stratégique de Corridor économique sino-pakistanais. Ce projet permettra à la Chine de transporter des ressources énergétiques comme le pétrole des pays du Moyen-Orient vers la Chine par voie terrestre, à travers le Pakistan.

L'accord est particulièrement important vu le contexte d'escalade des tensions militaires déclenchées par « le pivot vers l'Asie » du gouvernement Obama visant à isoler et à contenir la Chine. Il permettra à la Chine de contourner en grande partie la menace de blocus par les marines américaine et alliées des importations d'énergie chinoises en provenance du Moyen-Orient. La Chine, le plus grand importateur de pétrole du monde, importe 60 pour cent de son pétrole du Moyen-Orient et en transporte 80 pour cent par l'Océan Indien, le détroit de Malacca et les Mers de Chine méridionale et orientale.

La Chine a signé 51 protocoles d'entente avec le Pakistan à hauteur de $46 milliards dans le cadre de ce projet. Ces protocoles doivent être financés par des banques chinoises telles l'Industrial and Commercial Bank of China, l’Exim Bank of China et la China Development Bank Corporation.

En tant que premier fournisseur d'armes du Pakistan, la Chine fournit également à celui-ci huit sous-marins d'attaque diesel de classe Yuan de type 039A ou de Type 041. Le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif et le Comité de la sécurité nationale du Pakistan ont approuvé la transaction qui fait partie d'un effort plus large visant à moderniser la flotte de sous-marins du Pakistan et de l’équiper de missiles nucléaires.

Le projet de corridor comprend des installations de stockage de pétrole dans le port pakistanais de Gwadar et un réseau de 3000 km de pipelines, de chemins de fer et d'autoroutes, menant de Gwadar à Kashgar, en Chine occidentale, à travers le Pakistan et empruntant la montagneuse frontière sino-pakistanaise. Il implique également une coopération technique en matière de transport aérien, d'infrastructure ferroviaire, d'énergie éolienne et hydroélectrique, et de communications à fibres optiques.

Gwadar est stratégiquement situé sur la mer d'Arabie, dans la province du Baloutchistan, l'une des provinces les plus pauvres et les plus instables du Pakistan, et proche de la région du golfe Persique riche en pétrole et du détroit d'Ormuz. Les exportations de pétrole du golfe Persique, s'élevant à environ quarante pour cent du pétrole vendu dans le monde, doivent passer par le détroit d'Ormuz. Selon les termes de l'accord, le port de Gwadar a été cédé à la Chine pour 40 ans à partir de cette année où la Port Engineering Company (Société de génie portuaire) chinoise commence les travaux de construction.

Kashgar est l'une des principales villes de la région ouïgour du Xinjiang en Chine du nord-ouest. L'intérieur de la Chine est aussi beaucoup plus pauvre que les centres d'exportation très actifs de la côte pacifique chinoise et fait face à la montée des tensions ethniques entre les Ouïghours et les Chinois Han, qui constituent la majorité de la population de la Chine. Le gouvernement chinois a déclaré à plusieurs reprises qu'il considérait la croissance économique du Xinjiang comme une priorité politique.

Le corridor économique proposé ouvrirait donc de nouvelles routes commerciales qui retireraient 16.000 kilomètres de la distance parcourue par les biens échangés entre la Chine et le Moyen-Orient.

Cet accord indique cependant aussi des contradictions au cœur du capitalisme mondial: la tentative de développer économiquement l'Asie centrale intensifie les tensions militaires entre puissances impérialistes et régionales. Bien que les milliards de personnes vivant dans ces zones sous-développées souffrent encore d’une pauvreté et d’une arriération sociale extrêmes, elles sont déjà confrontées au risque d'un conflit entre puissances dotées d'armes nucléaires, dont le Pakistan, l'Inde et la Chine, sans parler des Etats-Unis.

Ces tensions sont surtout provoquées par l’agressif programme du « pivot vers l'Asie » de l'impérialisme américain qui cherche à encercler la Chine au moyen d'une alliance avec l'Inde, le Japon, l'Australie, le Vietnam, les Philippines et Singapour. La menace représentée par un blocus conjoint des livraisons de pétrole vers la Chine par les marines américaines, européennes et asiatiques dans l'Océan Indien et l’Océan Pacifique est une partie importante de ce programme.

L'accord sino-pakistanais est un coup politique contre Washington qui retire une bonne partie de ses forces d'occupation de l'Afghanistan voisin et qui est profondément impopulaire dans la région. Depuis 2004, des milliers de personnes innocentes sont mortes dans les frappes de drones de la CIA au Pakistan; 330 de ces attaques ont été menées à ce jour sous Obama. Des responsables de l'ONU, des tribunaux pakistanais et des groupes de défense des droits de l'homme tel Amnesty International ont déclaré ces meurtres par drones illégaux, mais la CIA a malgré tout continué, foulant aux pieds l'opposition populaire généralisée au Pakistan.

L'investissement industriel de Beijing au Pakistan tranche avec le rôle destructeur de l'impérialisme américain dans ce pays, qui, malgré ses ressources financières très supérieures a concentré son énergie à bombarder et à terroriser la population de la région.

L'investissement de 46 milliards de dollars de la Chine équivaut à près de trois fois l'investissement étranger direct que le Pakistan a reçu au cours des sept dernières années et dépasse de loin les dépenses des États-Unis au Pakistan. Washington aurait donné 31 milliards de dollars au Pakistan depuis 2002, dont les deux tiers ont été consacrés à la « guerre contre le terrorisme. »

Le 19 Avril, le New York Times écrivait, « Cet effort a été un ‘échec spectaculaire’ parce que les ressources étaient trop dispersées et par là insignifiantes, et n'ont eu aucune incidence pratique ou stratégique, a déclaré David S. Sedney, ancien haut fonctionnaire du Pentagone chargé du Pakistan pendant cette période. »

D'autres puissances régionales, notamment l'Inde, rivale traditionnelle du Pakistan, qui a également mené une guerre contre la Chine en 1962, surveillent également de près les implications militaires du dernier accord sino-pakistanais et élaborent des stratégies pour le contrer.

La veille de la visite de Xi au Pakistan, le chef de la marine indienne, l'amiral Robin Dhowan, a averti dans une interview à l'Hindustan Times, que « la marine est prête à toute éventualité et maintient l'océan Indien sous étroite surveillance. Nous avons les yeux fermement fixés sur les eaux importantes qui nous entourent. La marine est une force de combat multidimensionnelle et nous examinons tous les aspects liés au contrôle de la mer et au déni de la mer dans le contexte des événements qui se déroulent dans la région ».

Plus tôt ce mois-ci, le premier ministre indien Narendra Modi s'est rendu en France et a négocié l'achat de dizaines d'avions de combat Rafale pour moderniser l'armée de l'air indienne, ainsi que six réacteurs nucléaires de type EPR.

En allant de l'avant avec l'accord, les régimes chinois et pakistanais sont également confrontés aux conflits sociaux et ethniques à l'intérieur du Baloutchistan que des décennies de domination bourgeoise au Pakistan n'ont fait qu'intensifier.

Le président Xi Jinping a rencontré les chefs d'état-major et les chefs des forces armées du Pakistan pour discuter de la défense et de la sécurité du projet. Des responsables pakistanais, dont le premier ministre Nawaz Sharif, ont convenu de déployer une nouvelle division spéciale totalisant 10.000 soldats pakistanais pour protéger les travailleurs du bâtiment chinois au Pakistan. Xi a également rencontré les dirigeants de différents partis politiques à Islamabad pour discuter du projet.

Le 11 avril dernier, 20 travailleurs du bâtiment sindhis et penjâbis ont été tués près de Turbat au Baloutchistan. Le Front de libération séparatiste baloutche a revendiqué la responsabilité de l'attaque.

(Article original paru en anglais le 28 avril 2015)

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