Suite à l’extraordinaire dénonciation publique vendredi des pilotes grévistes d’Air France par le premier ministre Manuel Valls, le plus grand syndicat des pilotes d’Air France a publié dimanche un communiqué de capitulation et appelé les pilotes à mettre un terme à leur grève entamée il y a 14 jours, la plus longue de l’histoire d’Air France.
Le syndicat majoritaire, le SNPL (Syndicat national des Pilotes de Ligne) a ordonné aux pilotes de reprendre le travail sans avoir rien obtenu. Les pilotes avaient exigé la garantie que la croissance de filiales low cost d’Air France, comme Transavia-France, ne conduirait pas à des réductions de salaires et à une aggravation des conditions de travail et que les pilotes obtiendraient un contrat unique couvrant l’ensemble des filiales de l’entreprise. Non seulement Air France n’a pas accordé de telles garanties, mais il a ouvertement annoncé son intention d’imposer de fortes réductions en forçant les pilotes à voler pour Transavia-France ou n’importe quelle autre low cost qu’Air France créerait à l’avenir.
SPAF, le syndicat minoritaire des pilotes d’Air France qui représente 20 pour cent du personnel, demande à ce que la grève se poursuive jusqu’au 2 octobre. De premières estimations dimanche ont montré qu’en gros la moitié des vols d’Air France continueraient à rester cloués au sol par la grève.
Le protocole d’accord publié hier par Air France élimine un accord de 2007 réglant les relations entre Air France et Transavia-France et qui limite à 14 avions la flotte de Transavia-France. Il spécifie que les pilotes sur des vols de Transavia-France doivent travailler aux conditions de travail et de salaire de Transavia-France, « afin de garantir la compétitivité de cette dernière. »
Le gouvernement PS (Parti socialiste) et Air France ont tous deux crié à la victoire, se vantant d’avoir obligé les pilotes à reprendre le travail aux conditions dictées par la direction. En s’en prenant aux pilotes pour avoir mené une « grève trop longue », Valls s’est félicité de ce que « la ligne de fermeté du gouvernement a permis de réaffirmer la stratégie de développement de l’entreprise, » en ajoutant que Transavia-France « représent[ait] un atout indéniable sur le marché en plein essor du low cost. »
Le PDG d’Air France-KLM, Alexandre de Juniac, a clairement fait savoir que la direction avait l’intention de procéder rapidement à la réduction du coût des pilotes pour les aligner sur ceux des concurrents low cost d’Air France. « Nous allons pouvoir enfin lutter à armes égales avec les compagnies low cost concurrentes. Cette réforme est vitale. »
Le SNPL reconnaît que les pilotes ne pouvaient pas accepter le protocole « en raison des incertitudes juridiques du bi-contrat simultané, compte tenu des accords pilotes existants dans chacune des entreprises ; en raison de la potentielle instabilité sociale inhérente à la mise en concurrence de deux groupes de pilotes ; parce que les garanties sont trop faibles au regard des concessions demandées ; parce que l’équité entre les futurs embauchés, selon qu’ils seront sur A320 ou sur B737 [avions de ligne], n’est pas assurée ; enfin, parce que les protections périmétriques sont insuffisamment précises pour garantir l’activité en moyen propre. »
Le SNLP prétend néanmoins n’avoir pas eu d’autre alternative que d’ordonner aux pilotes de retourner au travail et tente en même temps de façon cynique de couvrir sa trahison en déclinant de signer le protocole établi par la compagnie aérienne. La lettre qu’il a adressée aux pilotes reconnaissait que sa décision se heurterait à une forte résistance de la part des grévistes.
Il écrit, « Dès lors, nous avions trois options : poursuivre les négociations et la grève au-delà de 14 jours pour espérer améliorer ce texte : améliorations perdues d’avance au vue des positions fermées que nous avons constatées ; signer ce texte et sortir de la grève : impossible de cautionner en l’état actuel ce protocole pour l’avenir de la profession ; refuser de signer, sortir de la grève et apaiser la situation : c’est l’option responsable que nous avons retenue. Nous savons pertinemment que cette décision nous sera reprochée par certains d’entre vous. Mais il est de notre devoir de responsables syndicaux de savoir arrêter une grève lorsque l’on sait qu’il n’y aura plus d’avancées. »
La lâche affirmation du SNPL selon laquelle la grève est vouée à l’échec en raison de l’obstination d’Air France et du PS est une escroquerie. Non seulement le gouvernement PS est faible, extrêmement impopulaire et craint un brusque revirement de l’opinion populaire en faveur des pilotes, mais le communiqué même du SNPL montre clairement qu’Air France est prêt à tout pour mettre fin à une grève qui lui a déjà coûté des centaines de millions d’euros.
« Il est de notre devoir de préserver l’avenir de notre compagnie et de panser ses plaies avant que des dommages irréversibles n’apparaissent, » déclare le SNPL en ajoutant que les syndicats ont un rôle crucial à jouer pour faire accepter les plans de restructuration aux travailleurs d’Air France : « la direction ne peut mettre en oeuvre seule le développement de Transavia-France. Elle ne peut également mettre en oeuvre seule son projet ‘Perform 2020’. »
Si Air France est confronté à des dommages financiers « irréversibles » dus à la grève, cela signifie que les grévistes sont dans une position de force. C’est à ce moment précis toutefois que le syndicat déclare sa volonté d’arrêter la grève et de collaborer avec la direction pour mener des attaques contre des travailleurs qu’il affirme abusivement représenter.
Les pilotes se trouvent à un carrefour. S’ils mettent fin à la grève maintenant, la direction lancera des attaques brutales dans le but de récupérer les centaines de millions d’euros perdus, faire un exemple des pilotes et décourager d’autres catégories de travailleurs à faire grève.
Les pilotes sont confrontés à une lutte politique contre le gouvernement PS et Air France, pour rallier des couches plus larges de travailleurs contre le programme d’austérité détesté du PS et pour réagir à la tentative des syndicats de briser leur grève en retirant la lutte des mains du SNPL.
La première lutte importante des travailleurs contre le PS s’est vite trouvée directement confrontée à la faillite de la bureaucratie syndicale et des groupes de la pseudo-gauche qui, en 2012, avaient appelé à voter pour l’élection du président PS François Hollande. Les bureaucrates des fédérations syndicales nationales ont totalement isolé la grève, diffusant des dénonciations réactionnaires des pilotes comme étant des fauteurs de troubles privilégiés. Les partis soi-disant de gauche comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) n’ont rien fait pour soutenir les pilotes. Ces forces ont toutes été exposées comme des instruments du gouvernement anti-ouvrier du PS.
La semaine passée, Valls était intervenu de manière brutale dans la grève : « Il faut que cette grève s’arrête. Cette grève est insupportable pour les usagers, cette grève est insupportable pour l’entreprise Air France, cette grève est insupportable pour l’activité économique du pays. »
L’hystérie du premier ministre reflète des craintes réelles dans la classe dirigeante qu’un mouvement plus vaste en soutien des pilotes ne se produise au sein de la classe ouvrière et ne renverse un gouvernement Hollande qui se trouve au niveau historiquement bas de 13 pour cent dans les sondages.
C’est la peur d’une telle perspective et non la situation prétendument sans espoir de la grève qui pousse les bureaucraties syndicales françaises à insister pour qu’on abandonne la grève.
(Article original paru le 29 septembre 2014)