Par Peter Schwarz
1 octobre 2014
Le magazine The European a choisi Adolf Hitler pour thème principal de son dernier numéro. On peut voir en couverture la figure du leader nazi en couleurs clinquantes assortie du titre : « Hitlertainment : la principale popstar de l’Allemagne ». A l’intérieur du magazine, au milieu d’interviews avec des politiciens et des figures culturelles en vue, des articles sur le mode de vie et d’autres trivialités ou choses de mauvais goût, on y trouve un article d’Ernst Nolte qui se livre à un fervent plaidoyer en faveur d’Hitler.
Sous le titre « Rompre le tabou » l’historien de 91 ans se plaint de ce qu’à la suite de la défaite de l’Allemagne dans la Deuxième Guerre mondiale, Hitler ait été transformé « du libérateur qu’il était en mal absolu. »
Après la guerre, écrit-il, « une masse de haine et de condamnation » est apparue qui a fait de l’ancien libérateur un représentant du ‘mal absolu’ et un ‘tabou’ dont on ne pouvait parler sérieusement ou scientifiquement. Et il ajoute, « cette vision unilatérale nous nuit encore aujourd’hui. »
Ailleurs, il se plaint de ce qu’il n’y a pas assez d’Hitler dans la politique allemande contemporaine. Hitler, écrit Nolte, pourrait apparaître comme le « représentant oublié de tendances auto affirmatives qui manquent dans la politique officielle du gouvernement allemand. »
Nolte va jusqu’à nier la responsabilité d’Hitler pour la Seconde Guerre mondiale. La guerre de 1939 n’a pas été principalement provoquée par Hitler, mais par le refus de faire des compromis tant de la part de la Grande-Bretagne que de la Pologne, » écrit-il. Le « refus de faire des compromis » c’était le refus de l’Angleterre et de la Pologne de céder au chantage d’Hitler, d’abandonner Dantzig et le corridor Polonais et de s’allier avec lui contre l’Union soviétique.
Nolte fait également l’éloge de la politique de natalité d’Hitler qu’il qualifie de « politique pro natale. » Une des priorités des Nazis était que les femmes allemandes fassent au Führer cadeau d’un grand nombre de rejetons ariens. C’était aussi l’objectif de l’organisation SS « Lebensborn » qui y enrôlait aussi les femmes seules, parce que sinon, comme l’expliquait le chef de la SS Himmler, « étant donné la fertilité des russes, » l’Allemagne se verrait « culbutée par eux. »
Nolte conclut en disant qu’Hitler « n’avait pas combattu sans succès la ‘tendance du peuple à l’extinction’ (Volkstod) à travers cette politique pro natale ». Il reproche, avec un racisme à peine dissimulé, « à l’actuelle direction de la République fédérale allemande » de tolérer et même d’encourager « une politique de l’immigration incontrôlée » au lieu de promouvoir une politique de l’enfant allemand.
En 1986, Nolte avait déclenché en Allemagne la « querelle des historiens » lorsqu’il avait minimisé les crimes des Nazis et justifié la politique d’Hitler comme une réaction compréhensible au bolchevisme. Ses vues réactionnaires sont devenues depuis encore plus radicales. En 1998, il écrivit dans un livre qu’Hitler « avait de bonnes raisons » de considérer les Juifs comme des ennemis et d « adopter des mesures appropriées ».
Le fait que Nolte adopte aujourd’hui des vues jadis attribuées aux cercles néo nazis ne doit pas surprendre. Ce qui est remarquable cependant, c’est qu’un magazine soi-disant sérieux et qui n’est pas lié à l’extrême droite, publie sans commentaire un tel article et que cela ne soulève aucune d’opposition.
The European parait en ligne depuis 2009 et sort quatre fois par an depuis 2012 sous forme imprimée. Son rédacteur en chef, Alexander Görlach était auparavant chef de rubrique au magazine politique Cicero. Il est titulaire d’un doctorat en théologie et en sciences politiques et dispose de bonnes relations dans la politique. Il a été vice-président de la fraction parlementaire CDU/CSU (Union démocrate-chrétienne/Union démocrate-sociale) et porte-parole de l’Association des étudiants catholiques. Il a travaillé pour plusieurs journaux, stations de radio et chaînes de télévision et il est membre de la fabrique d’idées Atlantik-Brücke.
En plus de l’article de Nolte, la dernière édition de The European présente des interviews avec le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, le politicien vétéran social-démocrate Egon Bahr, le politicien chrétien-démocrate Wolfgang Bosbach, le philosophe Rüdiger Safranski, le cinéaste Alexander Kluge, l’économiste Thomas Piketty et le secrértaire général de la branche allemande d’Amnesty International, Selmin Caliskan. Mais à ce jour, aucun de ces individus ne semble se soucier du fait que son interview ait paru aux côtés d’une polémique appelant à rompre le tabou relatif à Hitler.
Alors que les thèses précédentes, nettement plus modérées, de Nolte avaient en 1986 provoqué une forte opposition, il règne aujourd’hui un grand silence. La seule conclusion qu’on puisse en tirer est que des idées longtemps considérées comme d’extrême droite et inacceptables font une fois de plus partie du ‘main Stream’ et sont considérées comme un apport légitime au débat.
The European, qui se veut magazine de débat n’est pas la première publication ‘sérieuse’ à faire paraitre des articles de Nolte. La réhabilitation de ce dernier avait commencé en 2000, moment où la « Deutschlandstiftung » (Une fondation proche de la CDU, ndt.) lui décerna le prix Konrad Adenauer. Puis, en février de cette année, Der Spiegel a ouvert ses colonnes à Nolte.
Là, dans une interview avec Dirk Kurbjuweit, Nolte avait pu affirmer sans qu’on le contredise que les Polonais et les Britanniques étaient en partie responsables de la Deuxième Guerre mondiale pare qu’ils n’avaient pas pris le parti de Hitler. L’historien berlinois Jörg Baberowski défendit Nolte dans les pages du Spiegel, déclarant, « Nolte a subi une injustice. Du point de vue de l’histoire, il avait raison. »
Comment s’expliquer ces tentatives de réhabiliter Hitler ? De toute évidence il ne s’agit pas là seulement de ‘dérapages’ isolés. La contribution de Nolte est certes distincte du fait qu’elle défend ouvertement Hitler, mais toute l’édition de The European est organisée de manière à rendre crédible l’opinion de Nolte.
Le ‘magazine de débat’ conduit là un bien étrange débat. Il ne s’agit pas de clarifier ce qui s’est vraiment produit dans le passé ni quelles leçons doivent en être tirées pour la période présente. Dans ce débat, on ne s’occupe pas des questions sur lesquelles se sont penchés des générations d’historiens sérieux telles que: qui était Hitler? Quels intérêts est-ce qu’il représentait ? Qui l’a aidé à prendre le pouvoir? Pourquoi le mouvement ouvrier a-t-il échoué ? Des termes tels qu’Auschwitz, Gestapo, guerre d’anéantissement et crimes de guerre n’y figurent pas.
Au lieu de cela, Hitler est transformé en un symbole subjectif. L’affirmation selon laquelle « que nous le voulions ou non, Hitler est devenu aujourd’hui une caricature de la culture populaire » se retrouve partout en filigrane, de la première à la dernière page du magazine.
Le rédacteur en chef Görlach déclare qu’une « dédiabolisation est bonne pour notre approche de la période nazie ». Il y a des articles sur « Le monstre d’à côté » et sur « L’Hitler en nous ». Il y a plus de sept pages de propagande nazie non filtrée : des caricatures d’Hitler datant des années 1920 portant des commentaires d’origine par le responsable de la presse du NSDAP, Ernst Hanfstaengl. La contribution de Nolte s’intègre parfaitement à cette soupe éclectique.
Le fait que les auteurs et les producteurs du magazine traitent d’Hitler d’une façon tout à fait subjective ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de motivations objectives. Le second thème principal de The European est de ce point de vue significatif. Il est intitulé : « La guerre juste. Pour quoi nous allemands tuerions-nous encore? »
La tentative de réhabiliter Hitler est inséparablement liée à la campagne pour mettre un terme à la ‘retenue militaire’ de l’Allemagne, telle qu’elle est menée depuis la fin de 2013 par le président Joachim Gauk, le ministre des Affaires étrangères Walter Steinmeier et bien d‘autres encore, politiciens et représentants des médias.
L’histoire fait un retour en force. En 1961, Fritz Fischer a exposé, dans son livre « Les buts de guerre de l’Allemagne impériale », les objectifs de guerre allemands dans la Première Guerre mondiale, et il a démontré que les Nazis ont poursuivi les mêmes buts dans la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères Steinmeier – en Ukraine en particulier – marche sur les traces de ses prédécesseurs Bethmann Hollweg et von Ribbentrop. La crise mondiale du capitalisme et la crise de l’Union européenne placent l’impérialisme allemand devant les mêmes tâches que celles qu’il confrontait en 1914 et 1939.
Nombreux sont les politiciens, les journalistes et les universitaires qui tentent de justifier du point de vue idéologique un renouveau du militarisme allemand. Jürgen Habermas, qui était au premier rang des adversaires de Nolte dans la querelle des historiens des années 1980 soutient depuis la guerre en Yougoslavie en 1999 les interventions militaires dites « humanitaires ». Les « antifascistes » du Parti des Verts coopèrent à Kiev avec les éléments droitiers qui honorent les collaborateurs des Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Tous ces gens éprouvent le besoin irrésistible de réhabiliter Hitler. « Nous devons, bien sûr, humaniser Hitler » écrit l’auteur Timur Vermes dans The European.
Les travailleurs et les jeunes devraient voir cela comme un avertissement. Ceux qui aujourd’hui appellent à rompre avec le tabou relatif à Hitler n’auront pas de scrupules à répéter ses crimes, à l’extérieur comme à l’intérieur du pays.
(Article original paru le 24 septembre 2014)