Le plan de réforme franco-allemand exige des coupes sombres dans les aides sociales et un gel des salaires en France

La France et l’Allemagne devaient présenter aujourd’hui à Paris un plan de réforme économique commun sous l’appellation « feuille de route ». Dimanche 23 novembre, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel avait communiqué les mesures clé du plan qui a été commandité par les deux pays, les deux plus importantes économies de la zone euro.

Selon Der Spiegel, la France introduirait une plus grande flexibilité du marché du travail dans de nombreux secteurs, envisageant entre autre une révision de la loi sur les 35 heures et un gel des salaires pendant trois ans afin d’accroître la compétitivité des entreprises. L’Allemagne, quant à elle, augmenterait de 20 milliards d’euros ses dépenses d’infrastructures d’ici 2018, modifierait sa loi sur l’immigration et encouragerait les femmes à intégrer le marché du travail. 

Alors que le plan est présenté comme une façon de relancer l’économie moribonde en Europe, Paris et Berlin sont en train de planifier de violentes attaques contre les droits sociaux des travailleurs, ce qui accentuera la récession et la hausse du chômage dans la zone euro.

Der Spiegel n’a pas exposé le plan en détail, mais on sait qu’il annonce une accélération de la politique réactionnaire du gouvernement PS (Parti socialiste) bourgeois de « gauche » en France qui cherche à démolir toutes les concessions sociales faites à la classe ouvrière depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir gelé par décret les salaires de 5 millions d’agents de la fonction publique en France, le PS est en train de faire passer ses mesures en recourant à un mélange sans précédent de provocations et de brutalités et ce, dans un mépris total de l’opinion publique. 

Ce rapport économique a été élaboré par Henrik Enderlein, directeur de l’Institut Jacques Delors à Berlin, et par Jean Pisani-Ferry, commissaire général de l’institut gouvernemental France stratégie et stratège économique du premier ministre Manuel Valls. Ils présenteront jeudi le rapport au gouvernement. Au début du mois prochain, le ministre français de l’Economie, Emmanuel Macron, et son homologue allemand Sigmar Gabriel, concrétiseront les mesures du plan.

Ces mesures sont préparées au moment où l’UE a décidé d’approuver le budget 2015 de la France, qui comprend 21 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques, en échange d’une accélération par Paris des coupes dans les dépenses sociales et la mise en place de « réformes structurelles » pro-patronales.

En septembre, avant de présenter le budget 2015, le président François Hollande avait assuré les marchés financiers et l’UE que son gouvernement continuerait d’appliquer ses mesures d’austérité détestées. « Il faut faire des économies. C’est ce que nous allons faire en 2015 et cela a forcément des conséquences, » a dit Hollande.

Le mois dernier, le gouvernement a annoncé des plans prévoyant des mesures sans précédent, dont l’élimination de l’« universalité » des allocations familiales et des prestations de santé ainsi que des réductions massives des subventions accordées aux municipalités. Valls a aussi proposé d’éliminer la forme standard de contrat de travail à durée indéterminée (CDI) dont il prétend qu’il « protège trop les salariés. »

La « feuille de route » franco-allemande arrive au moment où le patronat réclame des coupes profondes dans les dépenses sociales, des réformes en profondeur du marché du travail, telles que des contrats de travail flexibles, et l’élimination du Smic.

En septembre, le président du Medef (Mouvement des entreprises de France), Pierre Gattaz, avait exigé une « thérapie de choc » favorable au patronat disant cyniquement que cela créerait un million d’emplois sur cinq ans. Gattaz avait exhorté le gouvernement à se débarrasser de la semaine de 35 heures, à supprimer deux jours fériés sur les onze jours annuels que compte la France, à relever l’âge légal de départ à la retraite et à diminuer le Smic. Il a aussi demandé un assouplissement de la législation du travail et une refonte du régime d’assurance chômage.

Gattaz a dit: « Au regard de la situation économique et sociale de notre pays, dans la période de crise nationale qui est la nôtre, face aux périls que nous devons affronter, le temps de l’hésitation, de la tergiversation et des demi-mesures n’a plus lieu d'être. » Il a ajouté sans détours que le développement de l’économie française depuis la libération de l’occupation nazie et du gouvernement fasciste de Vichy, avait atteint une impasse totale : « Notre modèle économique et social, hérité de la Libération et basé sur le modèle des Trente Glorieuses [essor économique de 1945-1975], a vécu. »

En vertu du soi-disant Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et de son Pacte de responsabilité et de solidarité, le gouvernement a octroyé 41 milliards d’euros au patronat. Et pourtant, celui-ci réclame le gel des salaires afin de stimuler la compétitivité et le PS va l’autoriser. « La modération salariale est nécessaire dans le secteur des services, » mentionne un rapport réalisé par l’Institut France Stratégie qui se trouve sous l’égide de l’Etat.

Le Monde a reconnu que la « feuille de route » franco-allemande n’avait aucun fondement en droit, écrivant, « Concernant le gel des salaires, la proposition — difficile à appliquer, car on voit mal comment décréter un tel blocage dans les entreprises privées — renvoie plutôt au sujet de la modération salariale et à la baisse des coûts salariaux en France pour regagner en compétitivité. »

Néanmoins, alors que les responsables français ont minimisé la portée de l’article paru dans Der Spiegel, les mesures qui y figurent recueillent une large adhésion au sein de la classe dirigeante et de l’establishment politique. Selon un porte-parole du ministère de l’Economie, « Il ne s’agit pas de propositions [...] mais d’un rapport de deux économistes [qui n’est] pas finalisé, il ne peut donc pas être commenté à ce stade ». Il a cependant précisé que le rapport fournissait des « pistes de travail qui concernent les réformes structurelles et l’investissement. »

Jean Pisani-Ferry a dit que « Der Spiegel n’[avait] pas eu accès au rapport » et que « les éléments qu’il publie ne reflètent pas son contenu. »

La principale responsabilité pour la planification et l’imposition de ces attaques incombe aux alliés soi-disant de gauche du PS et de la bureaucratie syndicale. Les syndicats français, qui ont agi aux côtés des grands groupes à l’Institut France Stratégie dirigé par Pisani-Ferry, n’ont fait aucun commentaire sur le rapport, soulignant par là leur soutien. Après avoir appuyé les précédentes mesures d’austérité réactionnaires du PS, ils sont en train de collaborer avec ces grands groupes et les responsables du PS dans le but de préparer de nouvelles attaques contre les travailleurs.

Ces attaques historiques en faveur de l’aristocratie financière soulignent le caractère entièrement réactionnaire du PS, de ses alliés de la pseudo-gauche tels le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et le Parti communiste français (PCF) stalinien qui ont tous soutenu l’élection de Hollande. Tout en émettant des critiques limitées, d’ordre tactique, à l’égard de la politique discréditée du PS, ils cherchent avant tout à bloquer toute opposition au sein de la classe ouvrière.

En conséquence de leur soutien de longue date pour le PS, le principal bénéficiaire politique du discrédit de Hollande est actuellement le Front national néo-fasciste qui apparaît comme la principale force politique critiquant les mesures d’austérité du PS.

Le PCF a de façon hypocrite qualifié le rapport de « très grave erreur économiquement, une provocation socialement ainsi qu’un risque de nourrir l’écoeurement et la désespérance, la droite et le FN. » Le PCF est sans aucun doute parfaitement informé des détails de ce rapport grâce à ses contacts avec les responsables syndicaux ayant contribué à son élaboration à l’Institut France Stratégie.

Les attaques sociales de grande ampleur montées par le PS auront des effets sociaux tout aussi destructeurs que ceux apparus en Grèce à la suite des mesures d’austérité brutales imposées par le gouvernement social-démocrate de George Papandréou.

Une grande partie de la classe ouvrière grecque a été précipitée dans la pauvreté. Le 24 novembre, l’Organisation internationale du Travail (ILO) a publié un rapport avertissant de ce que la Grèce était menacée d’une crise sociale de longue durée à moins que des mesures d’urgence ne soient prises. Le rapport montre que plus de 70 pour cent des quelques 1,3 millions de chômeurs que compte le pays sont sans emploi depuis plus d’un an, un emploi sur quatre ayant été perdu depuis le début de la crise économique en 2008.

Le rapport a constaté qu’entre-temps le nombre de Grecs menacés de pauvreté avait plus que doublé en cinq ans, passant d’à peine 20 pour cent en 2008 à 44 pour cent en 2013.

(Article original paru le 26 novembre 2014)

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