Les soi-disant organes de presse libéraux, comme le quotidien Süddeutsche Zeitung, l’hebdomadaire Die ZEIT, proche du Parti social-démocrate (SPD), et le quotidien TAZ qui est aligné sur les Verts, ont réagi à l’aggravation de la crise en Ukraine par une véhémente incitation à la guerre. Comme s’ils avaient reçu leur formation auprès du ministère de la propagande de Goebbels, certains commentateurs défendent publiquement les partis fascistes, acclament les milices antisémites comme étant des combattants de la liberté et demandent une frappe militaire contre la Russie.
Lundi, le correspondant en Russie du TAZ, Klaus-Helge Donath, s’est insurgé dans un éditorial contre « les diplomates doux et câlins de Berlin ». Il a accusé le gouvernement allemand de permettre à Poutine de les mener « dans l’arène par l’anneau qu’ils portent dans le nez. » Figurait à la Une du journal un combiné téléphonique surdimensionné qui visait à montrer que la politique de Berlin se limitait à de simples efforts diplomatiques.
L’occident devrait refuser « de servir de pantin » à Poutine, a remarqué le TAZ.
Donath a explicitement justifié la collaboration avec les fascistes. « Personne ne conteste qu’il existe d’influentes forces radicales d’extrême-droite, » a-t-il écrit. « Mais n’y a-t-il pas plusieurs groupes en Ukraine, comme dans les autres démocraties européennes ? »
Lorsqu’ il y a deux semaines, des groupes violents ont renversé le président à Kiev, Donath avait pris la défense des fascistes ukrainiens qui jouissent d’étroits liens avec le gouvernement allemand. Il les a décrits comme étant « un élément actif de la société ukrainienne, » qui avait fait avancer les protestations de la société à l’encontre d’une autocratie cleptocratique prosoviétique. »
Dans le même ordre d’idée, Stefan Kornelius, est passé à l’offensive dans le Süddeutsche Zeitung. Il a qualifié l’éviction d’Ianoukovitch de « révolution » qu’il fallait défendre. En revanche, il a accusé le président russe Poutine de ne connaître que le langage de la violence en s’efforçant d’obtenir une contre-révolution et en misant sur la guerre. Par conséquent, il fallait lui répondre par la force.
Le fait que justement en Ukraine, où des noms comme Babi Yar rappellent les pires crimes commis par les nazis, Kornelius ose qualifier les fascistes de révolutionnaires nationaux, n’est pas seulement profondément répugnant mais aussi politiquement criminel.
Et pourtant, Kornelius est parfaitement conscient que le coup d’Etat droitier en Ukraine a été guidé par des forces externes, et avant tout par les agissements délibérés des gouvernements allemand et américain. Il a écrit dans son commentaire que le précédent système de pouvoir en Ukraine avait été renversé par une « intervention politique. »
Le déroulement de cette intervention politique est bien connu. Lorsque Viktor Ianoukovitch a refusé en novembre dernier de signer un accord d’association avec l’Union européenne (UE), les gouvernements à Washington et Berlin ont commencé une campagne systématique de déstabilisation. Ils soutinrent l’opposition pro-UE qui a organisé les protestations contre Ianoukovitch. Outre le parti Patrie d’Ioulia Tymochenko et le parti Udar de Vitali Klitschko, tous deux des partis droitiers entretenant des liens étroits avec l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en Allemagne, on inclut aussi dans cette campagne le parti fasciste Svoboda d’Oleg Tiagnibok.
Le fait que Svoboda utilise des symboles néofascistes, qu’il tempête contre les étrangers, les Juifs, les Polonais et les Hongrois, qu’il est en rapport étroit avec le Front national français, et qu’il a été comparé par le Congrès juif mondial à l’Aube dorée grecque et au parti hongrois Jobbik n’a pas empêché les gouvernements allemand et américain de soutenir publiquement Tiagnibok.
Kornelius a défendu cette collaboration avec les fascistes et a été appuyé en cela par son collègue de la rédaction, Daniel Brössler. Dans ce même journal, Brössler avait exigé : « L’occident doit fixer certaines limites à Poutine. » Il a demandé que l’occident « instaure l’état d’urgence » pour la Russie. Cela voulait dire au moins des sanctions.
Mercredi après-midi, Kornelius a surenchéri. Dans un commentaire en ligne, il en a appelé au gouvernement allemand « de ne pas accepter les faits créés par Poutine. » Il a ensuite posé la question, « La Russie se laissera-t-elle seulement impressionner par un déploiement rapide des forces navales ? »
Il n’a pas apporté de réponse directe à sa question mais a fait remarquer que tous les efforts diplomatiques et psychologiques ou les « piqûres d’épingles restreintes que sont les sanctions » ne produiraient aucun effet. « Un duel brutal mais calculé » était nécessaire. Il a exigé que la détermination appelle la détermination et ne laissa subsister aucun doute sur le fait qu’il parlait d’une escalade militaire.
La même propagande de guerre est venue d’Eric T. Hansen dans l’hebdomadaire Die Zeit. Il écrit que bien que la raison, la prudence et le compromis soient de bonnes vertus, l’Europe devait « apprendre la politique de puissance ». L’article poursuit en disant : « Nous nous imaginons que le monde fonctionne généralement sur une base rationnelle, avec beaucoup de compromis et de la considération. » C’est faux, écrit-il. « L’homme n’est pas un animal moral mais un animal de pouvoir. » L’UE se trouve à une croisée des chemins, poursuit-il. « A-t-elle le courage de faire face à une politique de puissance ? Ou va-t-elle se replier sur les anciens schémas, comme les Allemands durant la Guerre froide ? »
Il s’exprime avec mépris au sujet de l’Allemagne d’après-guerre. « Il s’agit en premier lieu de manifestations de paix, de déclarations, de la colère et de talk shows à la télé. Mon dieu, les talk shows ! Tout ceci s’appelle politique morale, et l’accent est mis sur morale. »
Pour ne laisser planer aucun doute quant à ce qu’il préconise, Hansen écrit, « Je sais ce que vous pensez maintenant. Hansen veut nous mener à la guerre. Mais, c’est le politicien moral qui parle en vous. Il hurle à chaque instant ‘plus jamais la guerre’ et c’est tout ce qu’il sait faire. »
Ceci est clair. Lorsque Hansen se moque des « politiciens moraux », il entend remplacer la revendication de « plus jamais la guerre », qui s’est profondément ancrée dans la population après deux guerres mondiales et des centaines de millions de morts, par le slogan, « nous voulons de nouveau la guerre ! »
Comme dans le cas de Kornelius et de Klaus-Helge Donath, Hansen s’exprime pour la couche des ultra-riches dans le haut de l’échelle, qui donne le ton en politique et dans les médias et, comme dans les années 1930, réclame à cor et à cri la guerre et la dictature. A cette époque, un grand nombre de laquais nazis siégeaient dans les comités de rédaction et occupaient des chaires d’université.
En lisant de tels commentaires, la remarque furieuse de Max Liebermann vient immédiatement à l’esprit. En voyant les hordes de SA défiler en 1933 sous la Porte de Brandebourg, il avait dit, « Jamais je ne pourrai manger autant que j’ai envie de vomir ! » Mais un sentiment de colère et d’indignation n’est pas suffisant pour combattre les chefs de claque de la guerre. La classe ouvrière et les jeunes doivent entamer une lutte contre la guerre et le fascisme sur la base d’un programme socialiste international.
(Article original paru le 7 mars 2014)