Orson Welles : un «artiste inachevé» dans un siècle inachevé

«Tous ceux d’entre nous qui travaillent dans l’industrie du divertissement, nous nous leurrons: nous prétendons toujours être les maîtres de notre destin, et tous les journalistes, sérieux ou pas, contribuent à cette supercherie. La vérité est que nous ne décidons pas ce que nous allons faire: nous courons continuellement autour du globe afin de tenter de trouver les fonds nous permettant de faire quelque chose. Personnellement, je pense que j’ai atteint un âge où il est inutile de prétendre que je contrôle quoi que ce soit, puisque ce n’est pas vrai.» - Orson Welles dans une interview en 1958.

Orson Welles en 1937

Un événement intéressant s’est passé les 16 et 17 mai à Woodstock, Illinois, une petite ville à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Chicago. L’événement célébrait le 80e anniversaire d’un festival de théâtre qui a été mis sur pied et organisé par Orson Welles, le futur réalisateur, alors âgé de 19 ans.

Welles is one of the most remarkable figures in the history of the cinema. His feature films include Citizen Kane (1941), The Magnificent Ambersons (1942), The Stranger (1946), The Lady from Shanghai (1947), Macbeth (1948), Othello (1952), Mr. Arkadin (1955), Touch of Evil (1958), The Trial (1962), Chimes at Midnight (1965), The Immortal Story (1968), F for Fake (1974) and Filming Othello (1978).

Welles est l’un des personnages les plus remarquables dans l’histoire du cinéma. Ces longs métrages comprennent Citizen Kane (1941), La splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, 1942), Le criminel (The Stranger 1946), La dame de Shanghai (The Lady from Shanghai, 1947), Macbeth (1948), Othello (1952), Dossier secret (Mr. Arkadin, 1955), La soif du mal (Touch of Evil, 1958), Le procès (The Trial, 1962), Falstaff (Chimes at Midnight, 1965), Une histoire immortelle (The Immortal Story, 1968), Vérité et mensonges (F for Fake,1974) et Filming Othello (1978).

Citizen Kane

Il a aussi beaucoup œuvré pour le théâtre, la radio et d’autres médias. C’est surtout à cause de son incapacité d'accepter les contraintes et les limitations du système commercial du cinéma que des dizaines de ses œuvres ou projets sont restés inachevés à sa mort en 1985.

Woodstock fut important dans la jeunesse de Welles parce que c’était le site de la Todd School for Boys (1848-1954), une école progressiste pour garçons dirigée à l’époque par Roger Hill, un éducateur et être humain remarquable. Welles fréquente Todd de 1926 à 1931 et y retourne trois ans plus tard pour aider à organiser le festival de théâtre.

Plusieurs élèves de Welles et historiens du cinéma ont participé à l'événement organisé récemment, y compris Joseph McBride et Jonathan Rosenbaum (chacun l’auteur de plusieurs livres au sujet du cinéaste); Michael Dawson, qui prépare actuellement un documentaire en trois parties au sujet de Welles; Jeff Wilson, fondateur de Wellesnet.com et autorité en matière de l’œuvre radiophonique du cinéaste-écrivain et Josh Karp, auteur d'un livre à paraître, The Unmaking of Orson Welles’s «The Other Side of the Wind», concernant l’une des œuvres majeures inachevées de Welles. Le public afflua à Woodstock de plusieurs parties des États-Unis pour participer à la commémoration.

La ville de quelque 25.000 habitants a sa place dans l’histoire pour au moins une autre raison. Eugene V. Debs, chef de file des employés des chemins de fer et futur chef du parti socialiste, y a été emprisonné en 1894-95 pour six mois suite à l’âpre grève Pullman. Selon Debs lui-même, il fut finalement acquis à la perspective socialiste pendant son séjour à Woodstock, sur la base en partie de sa lecture du Capital de Marx et de plusieurs écrits du social-démocrate allemand Karl Kautsky. (On trouve en ligne un récit captivant qu’un journaliste de St-Louis écrivit au sujet de sa visite à Debs en prison en juillet 1895.)

Todd Tarbox

Les organisateurs de la commémoration du weekend des 16-17 mai ont été bien avisés et ont eu la chance d’inviter Todd Tarbox, le petit-fils de Roger Hill, pour inaugurer l'événement. Tarbox, auteur de Orson Welles and Roger Hill: A Friendship in Three Acts (Orson Welles et Roger Hill: une amitié en trois actes), fit une présentation substantielle et émouvante qui incluait une brève histoire de l’école, un compte-rendu des années durant lesquelles Welles y était et les détails du festival de théâtre de 1934.

Tarbox nota que l’école avait soutenu relativement tôt que le rôle primaire d’un enseignant était d’éduquer l’enfant dans sa totalité et non pas seulement son intellect. Il cita le catalogue de l’école de 1928, qui notait que «Nos enseignants sont tous des spécialistes. Leur spécialité est les garçons et les intérêts variés qui composent la vie moderne d'un garçon… Le véritable travail de l’éducateur est de développer le caractère et le véritable éducateur sait que le caractère se développe même mieux dans la cour de récréation et dans le cercle social que dans la salle de classe.»

À l'avis de tous, y compris le sien, Welles est fasciné par Hill dès qu’il le rencontre. Tarbox cita les souvenirs que Welles présenta lors d’un hommage à l’American Film Institute en 1978 comme suit: «J’ai essayé d'attirer l’attention de cet homme [Hill] qui me fascine aujourd’hui autant que le jour que je le vis pour la première fois. J’ai décidé que la meilleure façon était de faire du théâtre: je devais monter des pièces. Ayant fait tous ces efforts pour attirer son attention au théâtre, j’y suis resté accroché. Je devais apprendre chaque ligne de Shakespeare parce qu’il le connaissait, et je devais apprendre la bible complète parce qu’il la connaissait.»

Woodstock, Illinois opera house

L'événement théâtral de 1934 avait été imaginé par Hill et Welles pendant que ce dernier, âgé de seulement 18 ou 19 ans, était en tournée avec la compagnie renommée de répertoire de Katherine Cornell, jouant des premiers rôles. Toujours ambitieux, Welles invita les célèbres codirecteurs du Gate Theatre à Dublin, Hilton Edwards et Micheál Mac Liammóir (plus tard mémorable dans son interprétation d’Iago dans l’Othello de Welles), avec qui il avait travaillé auparavant, à se rendre dans l’Illinois provincial et à participer au festival.

Tarbox lut la longue lettre charmante que Welles avait écrite en avril 1934 aux deux Irlandais, qui inclut le passage suivant au sujet des détails du festival de théâtre: «Avec comme objectif de fonder aux États-Unis un festival de théâtre dans l’esprit et la tradition européens, Woodstock… deviendra la scène d’hystérie théâtrale pendant les mois de juillet et août. … Le fait que la presse soit si disposée à promouvoir le Todd Theater Festival trois mois avant le premier jour des répétitions n’est pas tant attribuable à sa soif de trouver de quoi écrire qu’à son grand plaisir à l'idée de quelque chose de nouveau et de la dignité qu’inspirent les noms impliqués dans cette affaire. Ce sera une compagnie exceptionnelle, je vous le garantis. Katherine Krug, Whitford Kane, Hiram Sherman, George MacCready, Brenda Forbes et, espérons, Hilton Edwards et l’inimitable Micheál sont suffisants pour servir d’antidote à l’effet Orson Welles dans n’importe quel théâtre.»

Le festival présenta trois pièces, Trilby (l’histoire de Svengali basée sur un roman de George du Maurier), Hamlet et Paul Ier de Dimitri Merejkovski. Dans l’œuvre de Shakespeare, Welles jouait le père de Hamlet (le fantôme) aussi bien que son oncle, le roi. Le critique de la Chicago Tribune s’exclama: «Il récite les magnifiques discours du fantôme avec un bel effet et ajoute de nouvelles touches de caractère au roi. Je n’ai jamais vu le roi assassin et incestueux Claudius représenté autre que comme malfaiteur manifeste et sommaire. Welles, le maître des rôles de caractère âgé de dix-neuf ans, inspire à ce rôle l’idée d’un empereur romain excessivement corrompu.»

Welles et quelques-uns de ses collègues saisirent l’occasion de l’été 1934 pour réaliser son premier film, The Hearts of Age, d’une durée de huit minutes, que Tarbox décrivit comme «un clin d’œil surréaliste et satirique à [’écrivain et réalisateur français] Jean Cocteau».

D’autres présentations au cours de cette fin de semaine eurent pour objet la première œuvre théâtrale de Welles en Irlande (écrite à 16 ans), le sens de ses écrits, le rôle de l’école Todd et de Hill dans son développement artistique et intellectuel, les origines de sa politique radicale, son travail pour la radio et les pénibles efforts qu'il a faits pour terminer, sans succès, The Other Side of the Wind au cours des années 1970.

En 1968, le critique Andrew Sarris nota: «Que Welles … soit toujours le plus jeune parmi les réalisateurs américains dont la grandeur ne saurait être contestée est un symptôme menaçant de la décadence de l’industrie dans son ensemble. On peut même argumenter que les films de Welles ont maintenant une perspective plus européenne qu’américaine et que dans dix ans ou moins, il n’y aura peut-être aucun Américain de grande importance artistique.»

Welles demeure le «réalisateur américain dont la grandeur ne saurait être contestée» le plus récent.

Nous avons demandé à plusieurs présentateurs et participants d’expliquer pourquoi Welles était toujours un personnage si captivant.

Le commentaire de Jonathan Rosenbaum au sujet du caractère «inachevé» de l’œuvre de Welles est intrigant et on ressent le besoin d’approfondir cette pensée.

Finalement, tant de projets de Welles sont restés inachevés – y compris des adaptations cinématographiques ou télévisuelles de Don Quixote, Le marchand de Venise (The Merchant of Venice), Moby Dick et Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness), pour n’en mentionner qu’une poignée – parce que les conditions prévalant dans l’industrie cinématographique et les circonstances générales sociales et politiques du milieu du vingtième siècle en rendaient impossible l’achèvement.

À son meilleur, la carrière de Welles représenta un des efforts les plus profondément démocratiques de porter du théâtre et de la comédie complexes et exigeants devant un public de masse. Seulement une personnalité telle Charlie Chaplin (qui utilisa un projet de scénario de Welles comme base pour son Monsieur Verdoux en 1947) tenta peut-être quelque chose d’aussi ambitieux. D’une part, les responsables des studios et les politiciens étaient inévitablement froissés par son travail, peut-être sans même comprendre les implications de l’œuvre de Welles. D’autre part, des fractions de la gauche dominée par le stalinisme réagirent avec nervosité et inquiétude à ses projets «élitistes» et «aristocratiques».

Dans l’interview de 1958 cité au début de l’article, Welles commenta amèrement qu’il n’avait été autorisé que de réaliser huit films en dix-sept ans, «et je n'en ai monté que trois» [Citizen Kane, Othello et Don Quixote, ce dernier n’ayant jamais été terminé]. Il ajouta: «Chaque fois, le film me fut violemment ôté des mains.»

Dans cette même interview, Welles dit: «Par conséquent, je ne suis pas en extase devant l’art: je suis en extase devant la nécessité humaine qui implique tout ce que nous faisons de nos mains, nos sens, etc. … [C]’est l’acte [artistique] qui m’intéresse, pas le résultat, et je suis épris du résultat seulement si l’odeur de la sueur humaine ou une pensée y est attachée.»

Puis: «Je n’ai pas d’intérêt pour des œuvres d’art, la postérité, la célébrité, mais uniquement dans le plaisir de l’expérimentation elle-même: c’est le seul domaine où je me sens vraiment honnête et sincère. Je ne suis pas dévoué à ce que j’ai fait: à mon avis, c’est vraiment sans valeur. Je suis profondément cynique à l’égard de mon œuvre et de la majorité des œuvres que je vois dans le monde: mais je ne suis pas cynique à l’égard de l’acte de travailler sur un matériau. Tout cela est difficile à faire comprendre.»

(Joseph McBride nous a raconté une anecdote intéressante au sujet de Welles. Parlant à un groupe d’étudiants en cinématographie à l’University of Southern California dans les années 1970, Welles leur conseilla de ne pas se concentrer sur l’étude du film – mais d’étudier l’histoire, d’étudier le monde!)

Ce degré de sérieux personnel et intellectuel, cette obsession par la vérité artistique ne pouvaient trouver satisfaction dans les conditions de l’après-guerre, pendant lequel Hollywood était en effet dominé par le conformisme et la stagnation, alliés à la religion officielle d’État de l’anticommunisme. Des réalisateurs et écrivains talentueux continuaient de travailler dans l’industrie cinématographique américaine, mais aucun ne s’élevait au niveau des Welles et Chaplin (les deux furent essentiellement chassés des États-Unis).

L’idée que Welles s’attirait ces difficultés lui-même est grotesque et passe complètement à côté du problème. Il travaillait à un niveau culturel et intellectuel, qu’il en ait été conscient ou pas, qui présupposait un mouvement ouvrier politiquement indépendant et avancé qui était justement en train d’être dévasté ou supprimé par le stalinisme et les bureaucraties travaillistes et syndicales. Le déclin et l’érosion de cette base de masse culturelle furent la principale cause de ses «échecs». L’œuvre de Welles était inachevée parce que le 20e siècle était lui-même inachevé.

La fascination continue pour Welles est liée à des contradictions économiques, politiques et culturelles irrésolues héritées du siècle précédent. Ses projets artistiques fragmentaires, partiels ou avortés demandent à être «complétés». Mais il ne s’agit pas de compléter des films ou scénarios qui ont pris la poussière depuis des décennies, même si cela pourrait toujours être approprié dans certains cas. Le corps de son œuvre inachevé dans son ensemble évoque le besoin d’aborder une fois de plus le développement culturel de larges couches de la population. Ceci n’est bien entendu pas simplement une entreprise artistique, mais surtout une entreprise politique et révolutionnaire.

Un intérêt sincère pour Welles n’est par conséquent pas une entreprise théorique. Toute considération sérieuse de son œuvre est une polémique contre les conditions actuelles sur le plan culturel et politique.

L'événement de Woodstock a soulevé plus de questions que de réponses. Mais une étude franche de cette histoire et des luttes menées par Welles est vitale pour la compréhension des tâches actuelles.

(Article original paru le 23 mai 2014)

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