La Banque des règlements internationaux (BRI), basée en Suisse, a déclaré que les politiques actuelles des banques centrales et des autorités monétaires pourraient mener à une autre crise financière, potentiellement plus importante que celle de 2008.
L’avertissement provient du dernier rapport annuel de la banque qui est parfois désignée comme étant la banque des banquiers centraux. Le rapport a été publié le 29 juin.
Le rapport exprime des inquiétudes quant au fait que la politique actuelle de faibles taux d’intérêt, mise en place pour tenter de contrer les effets du krach de 2008, a poussé les marchés financiers vers de nouveaux sommets tout en abaissant la prime pour de nombreux prêts risqués.
La BRI note que la croissance des marchés avait été «vigoureuse dans les dernières années », particulièrement dans les économies avancées. Ces marchés «emboîtaient le pas aux décisions des banques centrales» pendant que la volatilité atteignait des creux historiques et que les «intervenants ne prévoyaient pratiquement pas de risques».
«En général, il est difficile de ne pas voir la rupture déconcertant qui existe entre le dynamisme des marchés et les développements économiques mondiaux sous-jacents», a déclaré la banque.
C’est aux États-Unis que cette «rupture» est la plus manifeste. La politique de la Réserve fédérale d’injecter des billions de dollars dans les marchés financiers a permis aux indices boursiers d’atteindre de nouveaux sommets, tandis que l’économie réelle stagne et se contracte. La semaine dernière, il a été annoncé que l’économie américaine s’était contractée de près de 3 % dans le premier trimestre de 2014, mais les marchés financiers ont continué leur progression, s’appuyant sur la croyance que la stagnation en cours amènera encore plus d’injection de liquidités à taux extrêmement faible.
La BRI indique que malgré une augmentation de la croissance économique, l’économie mondiale ne s’est pas défaite de sa dépendance envers la stimulation monétaire. Peu importe l’euphorie des marchés financiers, l’investissement demeure «faible». Mondialement, la dette totale des secteurs privés non financiers a augmenté de 30 % depuis la crise financière mondiale, faisant ainsi grimper la proportion de cette dette par rapport à la production mondiale.
De plus, si l’accent était trop mis sur les statistiques de croissance à court terme, on risquerait d’ignorer les dangers à long terme créés par les politiques monétaires actuelles.
«Se concentrer sur les fluctuations à court terme de la production revient à regarder les petites vagues sur l’océan en perdant de vue les vagues de fond vraiment menaçantes», a mis en garde Claudio Borio, le chef du département économique et monétaire de la BRI, lors d’une conférence de presse sur le rapport.
Le rapport déclare que la configuration macroéconomique et les développements financiers actuels soulèvent «plusieurs risques» si on les considère du point de vue «du cycle financier».
Dans les pays qui connaissent un «énorme essor financier», il y a danger «d’effondrement et de bouleversements financiers». Les indicateurs qui ont été justes par le passé, comme l’évolution du crédit et des prix de l’immobilier, montrent des «signes inquiétants». Même si la BRI n’a pas nommé les États-Unis, c’est l’exemple parfait d’un pays ayant connu un «énorme essor financier».
Le rapport fait aussi état de danger dans les économies dites émergentes en raison de la disparité entre la taille de ces marchés et les énormes portefeuilles des investisseurs mondiaux. Cette disparité est comparée à l’effet d’un «éléphant dans une pataugeoire». Il n’est pas «rassurant» de constater que les investissements vers ces pays ont augmenté «en raison de la possibilité de maximiser les rendements»: ce qui signifie qu’ils pourraient être rapidement annulés.
Le rapport dit que les données qui indiquent une position financière stable, ainsi que les mesures macroprudentielles des autorités financières servant à essayer de prévenir le développement du risque, ne sont pas rassurantes. «À maintes reprises, peut-on lire dans le rapport, tant dans les économies émergentes qu’avancées, des bilans apparemment forts masquent des faiblesses insoupçonnées qui font surface seulement après que le boum financier se soit transformé en krach.»
La BRI a mis en garde que toute crise dans les marchés émergents aurait des conséquences majeures sur les économies avancées. Depuis la crise financière asiatique de 1997, la part des économies émergentes a atteint environ le tiers du produit intérieur brut mondial et leur poids dans le système financier international a augmenté.
«Les conséquences seraient particulièrement graves si la Chine, où il s’est développé un énorme boum financier, faiblit. Les pays exportateurs de marchandises seraient particulièrement à risque. Le crédit et les prix des actifs ont augmenté considérablement dans ces pays et l’amélioration des termes de l’échange après la crise a fait augmenter la dette et les prix des propriétés.»
La BRI ne nomme pas spécifiquement l’Australie, mais la description correspond exactement à son économie. Le Brésil et l’Afrique du Sud figurent parmi les autres pays exportateurs de marchandises qui subiraient la crise de plein fouet.
Selon le rapport, il «quelque peu troublant» de voir des modèles de croissance similaires à ceux qui ont précédé la crise de 2008. Les prix de l’immobilier en Grande-Bretagne ont été «anormalement robustes», tandis que des sections du marché de crédits aux entreprises aux États-Unis étaient «encore plus en effervescence qu’avant la crise».
Même s’il ne nomme pas la Réserve fédérale américaine, le rapport de la BRI critique ses politiques d’assouplissement quantitatif sur deux fronts. Même si les avantages des politiques «de liquidités anormalement bon marché» peuvent paraître évidents à court terme, particulièrement s’ils sont évalués d’après la réaction des marchés financiers, «les coûts… vont devenir apparents seulement après une certaine période et avec du recul. C’est ce qui s’est produit à plusieurs reprises par le passé.»
La BRI s’en est ensuite prise à la politique de la Fed d’informer les marchés financiers de ses intentions. «Tenter de préparer les marchés en montrant clairement ses intentions pourrait, sans le vouloir, faire en sorte que participants se sentent plus en confiance que ne le souhaiterait la banque centrale. Cela pourrait encourager la prise de risques et préparer une réaction encore plus brutale.»
Autrement dit, les politiques qui sont mises de l’avant, prétendument avec l’objectif de prévenir une crise financière, pourraient bien être en train de créer les conditions pour une autre crise. Le rapport mentionne que tout modèle de politique qui repose trop sur l’augmentation de la dette, où le «boum financier entretient l’illusion de richesses», finit par «préparer sa propre chute».
Le rapport de la BRI est le dernier d’une série d’avertissements qui disent que le boum financier actuel est en train de créer les conditions pour une autre crise. Cette banque a une crédibilité élevée, car elle a été l’une des seules institutions officielles à pointer du doigt les conditions financières non viables qui ont mené à la crise de 2007-2008.
Mais la BRI, comme toutes les autres autorités économiques du système capitaliste mondial, n’a pas de politique qui puisse permettre un retour à ce qui était considéré comme des modèles de croissances économiques «normaux».
Sa critique centrale des politiques de liquidités bon marché de la Fed et des autres banques centrales est qu’elles ont détourné l’attention des «réformes structurelles» qu’elle juge nécessaire dans le marché du travail. Autrement dit, ce qu’il faut pour rétablir la circulation dans les artères sclérosées du système capitaliste mondial est une intensification de l’offensive contre la classe ouvrière qui a commencé après 2008.
(Article original paru le 30 juin 2014)