Le Parquet de Paris a pris une mesure sans précédent mardi matin en plaçant l'ancien président Nicolas Sarkozy en garde à vue au siège de l'office central de lutte contre la corruption, les infractions financières et fiscales de la direction centrale de la police judiciaire à Nanterre, près de Paris.
Tard dans la nuit de mardi à mercredi, Sarkozy et son avocat Thierry Herzog ont été présentés aux juges d'instruction en charge de l'affaire en vue d'une mise en examen possible pour trafic d'influence. Ils sont accusés d'avoir proposé d'aider Gilbert Azibert, procureur à la Cour de Cassation, à obtenir un poste prestigieux à Monaco en échange de renseignements internes sur les multiples enquêtes dont Sarkozy fait l'objet.
Une fois les procédures terminées, mercredi au petit matin, Sarkozy, Herzog et Azibert ont été mis en examen pour « corruption active », « trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel. »
La garde à vue de Sarkozy, au moment où son parti, l'Union pour un mouvement populaire (UMP), est en proie à des scandales de corruption et des luttes de factions, est un grave coup porté au prestige de l'Etat et à l'establishment politique. Son prédécesseur, le président Jacques Chirac avait été déclaré coupable en 2011 de financement illégal de l'UMP et s'était vu infliger une peine de prison de deux ans avec sursis. Sarkozy est à présent le premier chef d'Etat français à être placé en garde à vue depuis l'emprisonnement pour trahison en 1945, après la Deuxième Guerre mondiale, du maréchal Philippe Pétain, dictateur fasciste et collaborateur nazi.
Les enquêtes sur Sarkozy ont fait émerger non seulement la corruption des échelons supérieurs de la bureaucratie française, mais aussi les âpres divisions au sein de la classe dirigeante.
Depuis que Sarkozy a perdu l'élection présidentielle de 2012, remportée par François Hollande du Parti socialiste (PS), il est confronté à une série d'enquêtes qui s'accumulent. Parmi elles, on compte des accusations selon lesquelles sa campagne présidentielle victorieuse de 2007 aurait été illégalement financée par le colonel libyen Mouammar Kadhafi qui fut assassiné par l'OTAN durant la guerre en Libye de 2011, ou par la multimilliardaire Liliane Bettencourt. Dans le contexte des querelles internes grandissantes de ces derniers mois au sein de l'UMP, il y a eu aussi des accusations détaillées selon lesquelles ses comptes de campagne de 2012 auraient été trafiqués pour dissimuler que la limite légale de 22,5 millions d'euros avait été dépassée.
Dans ce contexte, Sarkozy a entrepris des démarches pour reprendre la présidence de l'UMP comme tremplin pour lancer sa campagne pour un deuxième mandat présidentiel.
Le scandale actuel a émergé au milieu de conflits grandissants au sein de l'UMP et plus largement au sein de l'Etat et qui ont été déclenchés par ces enquêtes. Des écoutes téléphoniques de Sarkozy et Herzog par des responsables enquêtant sur l'affaire libyenne en janvier-février 2014 ont révélé que tous deux disposaient de renseignements détaillés sur les délibérations de la Cour de Cassation au sujet de l'affaire Bettencourt. C'est sur la base de cette information que les enquêteurs ont fait le lien avec Azibert et l'un de ses collègues, un autre magistrat haut placé, Patrick Sassoust.
Ces conflits prennent une signification d'autant plus importante dans le contexte de l'effondrement du gouvernement Hollande, fortement discrédité par sa politique droitière, et de la montée du Front national (FN), parti néo-fascite. Hollande lui-même a dit qu'il se pourrait qu'il ne se présente pas à la prochaine élection présidentielle. Pour le moment du moins, il semble que le candidat présidentiel de l'UMP pour 2017 serait le principal rival du candidat FN qui devrait certainement être Marine Le Pen, dirigeante du parti.
Mardi, certains responsables de l'UMP ont déclaré que les enquêtes concernant Sarkozy sont des tentatives politiquement motivées visant à empêcher son retour à la vie politique. « Je suis surpris que, quinze jours après l'évocation de l'éventualité d'une candidature de Nicolas Sarkozy à la présidence de l'UMP, apparaisse un nouvel épisode judiciaire (comme) à chaque évocation du retour de Sarkozy», a dit le député UMP Sébastien Huyghe.
Mais les rivaux de Sarkozy aux échelons les plus élevés de l'UMP, qui pourraient envisager de se présenter à la présidentielle de 2017, ne lui ont pas apporté leur soutien hier. L'ancien premier ministre François Fillon a refusé de faire une déclaration officielle sur le sujet, mais le quotidien Libération écrit que Fillon leur a dit en privé, « Jamais Sarkozy ne pourra revenir, à cause des affaires. »
Les responsables du PS quant à eux, ont approuvé l'enquête concernant Sarkozy. Le porte-parole du gouvernement Stéphane le Foll a dit sur iTélé, « La justice enquête, elle doit aller jusqu’au bout. » Rejetant les accusations de l'UMP sur les motivations politiques des accusations, Le Foll a dit, « Ceux qui font ça veulent essayer de donner l’impression que c’est ailleurs que ça se passe. »
Marine Le Pen a insisté pour dire que ces affaires signifient que Sarkozy ne peut pas se présenter à la présidentielle de 2017: « M. Sarkozy a un nombre d'affaires absolument inouï qui attendent des explications de lui. Ce n'est qu'une parmi tant d'autres, peut-être pas la plus grave d'ailleurs. Je pense que tout cela contribue à décrédibiliser totalement le moindre retour envisagé de Nicolas Sarkozy sur la scène politique et a fortiori sur la scène politique présidentielle. »
Ce qui ressort de cette garde à vue de Sarkozy et des scandales qui secouent l'UMP c'est la faillite de l'ensemble de l'establishment politique et une crise du régime bourgeois en France. Alors même que le parti de gouvernement de la « gauche » bourgeoise est discrédité, son homologue traditionnel de droite, l'UMP, est incapable d'en profiter, et s'enfonce au contraire davantage dans le bourbier des scandales et des conflits de factions. Avec des partis de pseudo-gauche pro-PS, tel le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui oeuvrent à étouffer l'opposition de gauche et les luttes des travailleurs contre Hollande, celui à qui bénéficie cette situation est le FN, et Marine Le Pen.
S'il y a toutes les raisons de croire que Sarkozy et son entourage ont commis des délits graves, ce qui déchire les différentes factions de la classe dirigeante française, avec cette mise en examen de Sarkozy, ce sont des questions d'Etat qui dépassent de loin les scandales de financement de parti et de trafic d'influence. Des décisions clé sont en train d'être prises, quant à la tournure des élections de 2017, et qui pourraient avoir une incidence sur des questions comme la possibilité que la France ait un président néofasciste.
L'UMP en particulier se trouve dans l'embarras face au virage très droitier du PS qui lance plus de guerres que Sarkozy et impose aussi des dizaines de milliards d'euros de plus de coupes sociales. Incapable de déborder le PS par la droite sans devenir quasiment indifférenciable du FN, l'UMP est profondément divisé sur la manière de procéder.
Certaines sections, comme la tendance Droite forte de Guillaume Peltier poussent à marquer l'UMP davantage selon les lignes du FN. D'autres, comme Fillon et l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui ensemble avec Alain Juppé ont provisoirement pris la direction de l'UMP depuis la démission forcée de Jean-François Copé suite au scandale du financement de la campagne présidentielle de 2012, demandent à s'allier à des partis de droite plus proches du PS, tel que l'Union des démocrates et indépendants (UDI) ou le Mouvement démocrate (MoDem.)
Tout ceci provoque d'âpres querelles internes au sein de l'UMP. Le mois dernier, Guillaume Peltier, Laurent Wauquiez et deux anciens responsables haut placés du gouvernement Sarkozy, Henri Guaino et Rachida Dati, ont fait lancé un appel public dénonçant les projets de liens plus étroits avec l'UDI et le MoDem. « Nous refusons la voie portée par certains d'une fusion avec le MoDem et l'UDI avant même d'avoir réfléchi à nos idées. C'est une fuite en avant vers une sorte de radical-socialisme où nous achèverions de nous renier. » a déclaré Wauquiez.
En fait, les différences de politique entre le PS, l'UMP et le FN s'amenuisent un peu plus chaque jour tandis que l'ensemble de l'élite dirigeante prend un virage à droite bien marqué. La mise en examen de Sarkozy prépare la voie à des querelles internes plus violentes encore au sein d'une élite politique réactionnaire, en divorce total avec la grande masse des travailleurs.
(Article original paru le 2 juillet 2014)