Le lanceur d'alerte de la NSA Edward Snowden a défendu d'une manière claire et intelligente ses actions dans un entretien accordé à NBC News mercredi. Dans son premier entretien télévisé avec les médias américains, Snowden a dénoncé les activités du gouvernement américain disant, « la Constitution des États-Unis a été violée à grande échelle. »
Près d'un an s’est écoulé depuis que les révélations de Snowden ont été rendues publiques dans un article du Guardian paru le 5 juin 2013. Depuis lors, Snowden a été persécuté par le gouvernement américain, contraint de s'exiler en Russie, diffamé comme traître, accusé d'avoir violé la Loi sur l'espionnage, et menacé de violences, voire de mort.
Les déclarations faites le 28 mai par le ministre américain des Affaires étrangères John Kerry, et répétées sous différentes formes par divers responsables du gouvernement le lendemain étaient typiques des mensonges du gouvernement Obama. Le lanceur d'alerte y fut dénoncé comme un « traître » et qualifié de « lâche » parce qu'il ne rentrait pas aux États-Unis pour se voir confronté à un procès-spectacle pour le service qu'il avait rendu au public. La défense par Snowden de ses actions serait « bête », d'après le terme employé par le ministre dans une prose aussi remarquable que la force de ses arguments.
Snowden a maintenu une position de principe tout au long de cette campagne d'un an de menaces et de calomnies. Sa capacité à le faire est le reflet non seulement de son courage personnel, mais également du soutien populaire très répandu qu'il continue à avoir. En dépit des meilleures tentatives, le gouvernement Obama et ses complices dans les médias et dans les autres gouvernements ont échoué à faire changer l'opinion publique.
Ce que Snowden a révélé dans une série de fuites est le cadre déjà très avancé d'un état policier, illégal et inconstitutionnel. La National Security Agency et le réseau d'espionnage américain sont engagés dans la collecte de pratiquement toutes les communications et dans l'assemblage d'une vaste base de données dans le but de surveiller les activités personnelles, sociales et politiques de toute la population.
Tout en attaquant Snowden, le gouvernement Obama et la NSA ont cherché à couvrir leurs propres crimes par des mensonges, dont l'affirmation que les citoyens américains ne feraient pas l'objet d'un espionnage indiscriminé.
« Maintenant toutes nos données peuvent être rassemblées sans aucun soupçon d'un méfait de notre part, sans aucune base juridique sur laquelle s'appuyer, » a déclaré Snowden dans cet entretien, réfutant ces affirmations. « Toutes vos données privées, toutes vos communications privées, toutes vos transactions, toutes vos associations, à qui vous parlez, qui vous aimez, ce que vous achetez, ce que vous lisez – toutes ces choses peuvent être saisies et retenues par le gouvernement, sans une réelle supervision, sans véritable responsabilité de ceux qui font ce mal. »
Snowden a ajouté, « maintenant nous avons un système de surveillance pré-criminelle invasif, où le gouvernement veut voir ce que vous faites juste pour savoir ce que vous faites, voir ce que vous pensez même derrière des portes fermées. » Il a décrit la capacité de l'Etat, sur la base de la connaissance des schémas d'appels téléphoniques, de reconstruire un « schéma de vie » pour n'importe qui s'il le veut.
Avec des logiciels de surveillance qui peuvent être installés sur l'ordinateur d'une cible, les agences d'espionnage peuvent « réellement vous voir écrire des phrases puis effacer vos erreurs puis changer les mots puis faire une pause et penser à ce que vous vouliez dire et le changer. Et c'est cette intrusion extraordinaire, non seulement dans vos communications, dans vos messages terminés, mais dans votre processus réel de rédaction, dans la manière dont vous pensez. »
Comme l'a noté le World Socialist Web Site dans une déclaration récente qui appelait à la mobilisation du soutien populaire pour sa défense, les expériences de Snowden, qui a trente ans, reflètent celles de toute une génération – une expérience que Snowden a raconté à nouveau lors de l'entretien avec NBC. La désaffection et l'insatisfaction grandissante envers l'ordre social existant reflétées dans l'évolution des idées de Snowden n'est pas simplement un processus individuel, il fait partie d'un changement qui implique des millions de gens de sa génération. C'est ce fait qui explique le niveau extraordinaire de colère et de peur au sein de l'appareil d'Etat contre ses actions.
Disant qu'il avait d'abord cru à la réaction du gouvernement aux attaques terroristes du 11 septembre et à ses affirmations sur la guerre d'Irak, Snowden a expliqué qu'alors qu'il « s'élevait à des niveaux de plus en plus élevés dans la communauté du renseignement, [il a] obtenu de plus en plus d'accès, et [il a] vu de plus en plus d'informations classifiées, aux niveaux les plus hauts, [ ] réalisé que tellement de choses qui étaient dites par le gouvernement étaient simplement fausses. Comme les arguments sur les tubes d'aluminium et les armes de destruction massive en Irak […] La guerre d'Irak pour laquelle j'avais signé a été lancée sur de faux prétextes. Les Américains ont été trompés. »
Snowden a également répondu aux déclarations du gouvernement Obama selon lesquelles il devrait retourner aux États-Unis et « faire face à ses accusateurs » comme l'a dit Kerry mercredi. Le ministre des Affaires étrangères a déclaré au Today Show que Snowden devrait « revenir et présenter sa défense […] il devrait faire confiance au système judiciaire américain. »
Snowden a noté que les accusations auxquelles il est confronté d'après la Loi sur l'espionnage, ne « donnent aucune chance de présenter une défense en public. » Il a continué « vous ne pouvez pas dire aux jurés que ce que vous avez fait était dans l'intérêt public […] Vous n'avez pas le droit d'argumenter en vous appuyant sur les preuves en votre faveur parce que ces preuves peuvent être classées secrètes, même si elles vous disculpent […] ce n'est ni une audience publique, ni un procès équitable. »
Le véritable caractère du « système de justice américain » est évident dans le traitement de Bradley (Chelsea) Manning, qui fut retenu en isolement complet et torturé et sert maintenant une peine de prison de 35 ans. »
Répondant aux affirmations du gouvernement Obama selon lesquelles il aurait dû passer par « les canaux prévus à cet effet » au lieu d'exposer les programmes d'espionnage du gouvernement directement à la population, Snowden a déclaré qu'il avait, en fait, tenté de soulever ces inquiétudes au sein de la NSA elle-même. « La NSA a des enregistrements, » a-t-il dit. « Ils ont des copies d'e-mails au bureau du directeur du service juridique, aux personnes chargées de la supervision et du respect des procédures, où je soulève des questions sur les interprétations de son autorité légale par la NSA. »
La réponse de l'agence « plus ou moins, en langage bureaucratique, était vous devriez arrêter de poser des questions, » La NSA a publié l'un des e-mails de Snowden jeudi, qu'elle avait évidemment caché depuis un an, tout en affirmant qu'elle n'avait pas plus de preuves que Snowden ait soulevé des inquiétudes. »
Tous les agents de renseignement qui ont soulevé des objections aux programmes illégaux par le passé (dont Thomas Drake, William Binney, Kirk Wiebe, John Kiriakou, Manning et d'autres) ont été persécutés, menacés et poursuivis en justice. « Nous avons vu plus d'accusations s'appuyant sur la Loi sur l'espionnage sous ce dernier gouvernement que nous n'en avons vu sous tous les autres de l'histoire américaine, » a remarqué Snowden.
Quant à la dénonciation par le gouvernement Obama de Snowden parce qu'il s'est réfugié dans « l'autoritaire » Russie (une déclaration extraordinaire étant donné la nature des programmes que Snowden a révélé), le lanceur d'alerte a répondu : « la réalité est que je n’ai jamais eu l'intention d'arriver en Russie. J'avais un billet d'avion pour Cuba, en route pour l'Amérique latine, et j'ai été arrêté parce que le gouvernement des États-Unis a décidé de révoquer mon passeport et de me piéger à l'aéroport de Moscou. »
Le gouvernement Obama et ses alliés européens sont allés jusqu'à forcer un avion transportant le président bolivien à atterrir parce qu'il était soupçonné de transporter Snowden.
Il y a des indications que Snowden pourrait chercher à passer un accord avec le gouvernement américain pour lui permettre de retourner aux États-Unis. Ses avocats ont été en discussion avec le gouvernement Obama sur la possibilité d'une transaction judiciaire.
Snowden doit être mis en garde contre le fait de placer la moindre confiance dans les promesses du gouvernement américain. Les actions de Snowden ont mis les agences de renseignements et l'Etat dans son ensemble en fureur et ils sont déterminés à faire un exemple de lui. Elles craignent d'autres Snowden qui pourraient être encouragés par ses actions.
Au cours de son entretien, Snowden a fait preuve d'un manque de compréhension des forces sociales et politiques auxquelles il est confronté. Cela a été flagrant, par exemple, lorsqu'il a cité les « réformes » [article en anglais] de la NSA proposées par le gouvernement Obama et le Congrès comme un signe important de progrès. Ces mesures sont en fait destinées à s'assurer que le programme d'espionnage en masse continue, avec une feuille de vigne de légalité et de validation par le Congrès.
Snowden a également dit que les programmes d'espionnage qu'il a révélé représentaient une « réponse exagérée » aux événements du 11 septembre 2001. Mais la surveillance illégale de la population n'est pas une réaction erronée aux attaques terroristes. C'est bien une subversion délibérée des droits démocratiques et constitutionnels par une élite patronale et financière qui sent et craint le mécontentement des masses qui s'accumule sous la surface de la vie américaine. L'espionnage vise toutes les oppositions sociales et politiques à une politique de la classe dirigeante qui trempe dans la criminalité.
La réaction violente et enragée de l'élite politique aux révélations de Snowden est une expression de ces mêmes intérêts sociaux. Une fois de plus, il faut insister sur le fait que la défense de Snowden, et l'opposition à l’appareil d'espionnage digne d'un Etat policier qu'il a contribué à révéler, doivent être liées à la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière, aux États-Unis et au plan international.
(Article original paru le 30 mai 2014)