Dans un discours provocateur et menaçant prononcé samedi à Singapour, le secrétaire à la Défense des États-Unis, Chuck Hagel, a accusé directement la Chine «d'actes déstabilisateurs et unilatéraux dans ses revendications territoriales dans la mer de Chine méridionale». Il a affirmé que les États-Unis «ne vont pas fermer les yeux si les principes fondamentaux de l'ordre international sont contestés».
Le discours de Hagel, prononcé lors du Dialogue Shangri-La, le forum annuel sur la défense en Asie, était un message clair et direct que les États-Unis prévoient maintenir leur domination incontestée de l'Asie en utilisant leur force militaire. Hagel a réitéré l'engagement de Washington dans son «pivot» ou «rééquilibrage» vers l'Asie: une stratégie agressive visant à miner la position de la Chine et à l'encercler militairement. Ce rééquilibrage, a-t-il déclaré, «n'est pas un objectif, une promesse ou une vision – c'est une réalité».
Durant son discours, Hagel a décrit les mesures qui avaient été prises récemment par l'administration Obama pour renforcer ses alliances militaires dans la région, y compris: de nouveaux partenariats stratégiques avec le Vietnam et la Malaisie, une entente qui fait des Philippines une base d'opérations pour l'armée américaine, le déploiement d'équipement militaire américain au Japon, le développement de systèmes antimissiles en Asie et une plus grande collaboration militaire avec leurs principaux alliés, dont le Japon, la Corée du Sud et l'Australie.
La rapide accélération du déploiement militaire des États-Unis en Asie tourne en ridicule les affirmations de l'administration Obama que son «pivot» ne sert qu'à maintenir la paix et la stabilité et n'est pas dirigé contre la Chine. Comme Hagel l'a répété, 60 pour cent des forces aériennes et navales américaines seront stationnées en Asie-Pacifique d'ici 2020. Le Pentagone prévoit aussi renforcer l'appui à ses alliés et partenaires stratégiques en augmentant l'aide militaire envoyée à l'étranger de 35 pour cent et l'entraînement de forces étrangères de 40 pour cent d'ici 2016.
Hagel a laissé tomber les formules de politesse diplomatique et a attaqué ouvertement la Chine sur ses actions dans la mer de Chine méridionale. Accusant la Chine d'«intimidation et de coercition», il a déclaré: «Elle a limité l'accès au récif Scarborough; fait pression sur les Philippines quant à leur présence de longue date dans le récif Second Thomas; fait de nouvelles revendications territoriales à plusieurs endroits; et a déplacé une plate-forme de forage dans des eaux contestées [par le Vietnam] près des Îles Paracel.»
En fait, les États-Unis ont délibérément attisé ces conflits territoriaux, qui existent depuis longtemps, afin de provoquer des divisions entre la Chine et ses voisins. En 2010, l'ancienne secrétaire d'État américaine Hillary Clinton avait déclaré de manière provocatrice à un forum de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) que les États-Unis avaient un «intérêt national» à garantir la «liberté de navigation» dans la mer de Chine méridionale. Au cours des quatre dernières années, Washington a encouragé les pays de l'ASEAN, particulièrement les Philippines et le Vietnam, à défendre leurs revendications envers la Chine. C'est de cette façon que des conflits territoriaux régionaux d'importance secondaire ont été transformés en de véritables poudrières internationales.
Hagel a essentiellement lancé un ultimatum à Pékin, déclarant que la Chine avait le choix: «s'unir et s'engager à maintenir un ordre régional stable, ou rejeter cet engagement et compromettre la paix et la sécurité dont bénéficient des millions de gens à travers l'Asie-Pacifique». En avril, lors de sa visite en Asie, le président Obama avait explicitement déclaré qu'il appuierait le Japon et les Philippines dans toute guerre contre la Chine sur la question de territoires.
Le discours de Hagel faisait partie d'une campagne concertée durant le Dialogue Shangri-La pour intimider et provoquer la Chine. Ses remarques ont non seulement été répétées par de hauts représentants des États-Unis comme l'amiral Samuel Locklear, commandant du Commandement du Pacifique, mais aussi par des représentants d'importants alliés asiatiques, dont le premier ministre japonais Shinzo Abe et le ministre de la Défense de l'Australie David Johnston.
Dans un discours prononcé vendredi dernier, Abe a annoncé: «Le Japon prévoit jouer un rôle encore plus important et proactif», dans les questions de sécurité en Asie et mondialement. Il a déclaré que le Japon «va appuyer aussi solidement qu'il le peut les pays membres de l'ASEAN pour maintenir la sécurité en mer et dans les airs et faire respecter rigoureusement la liberté de navigation maritime et aérienne».
Comme les États-Unis, le Japon intervient directement dans les conflits territoriaux dans la mer de Chine méridionale en fournissant des bateaux patrouilleurs aux Philippines et à l'Indonésie et en tentant de ratifier une entente avec le Vietnam pour que ce pays fasse de même. Visant la Chine dans ses remarques, Abe a déclaré: «Le monde est impatient de voir nos mers et notre ciel gouvernés par des lois et des procédures de résolution de conflit bien établies.»
Ces commentaires d'Abe sont totalement hypocrites. Dans le cas des îles Senkaku/Diaoyu de la mer de Chine orientale, il refuse même d'admettre qu'il existe un conflit avec la Chine, ce qui rend la question d'une «procédure de résolution de conflit» complètement inutile. Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2012, Abe s'est servi de ce conflit territorial pour justifier la remilitarisation du Japon, y compris l'augmentation des budgets militaires et l'éradication des barrières constitutionnelles imposées à l'armée japonaise.
Les discours de Hagel et d'Abe au forum Shangri-La avaient pour but de provoquer les officiels chinois présents. Le lieutenant-général Wang Guanzhong, chef adjoint de l'état-major et chef de la délégation chinoise, a répliqué, disant que le discours de Hagel était «bourré de menaces et de paroles intimidantes», «pas du tout constructif» et «plein d'hégémonie».
Hagel et Abe semblaient «chanter en duo», a déclaré Wang. «Dans cet espace public où beaucoup critiquent ouvertement la Chine sans raison, le discours de Hagel ne cherche qu'à encourager et inciter l'instabilité en Asie pour susciter des troubles», a-t-il affirmé.
Le fait que les États-Unis et leurs alliés se soient ligués contre la Chine au forum de Singapour constitue une intensification marquée de la campagne militariste de l'administration Obama en Asie. Même si les États-Unis sont en pleine confrontation avec la Russie en Ukraine, le langage belliqueux de Hagel indique qu'ils sont déterminés à augmenter la pression contre la Chine et à renforcer leur déploiement militaire en Asie.
Ce n'est pas un hasard si Hagel s'est concentré sur la question de la mer de Chine méridionale. Un élément central des plans de guerre du Pentagone contre la Chine est le contrôle des voies maritimes qui traversent l'Asie du Sud-Est et sur lesquelles dépend la Chine pour l'importation d'énergie et de matières premières en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient. En collaborant étroitement avec le Japon et l'Australie, les États-Unis veulent être en position d'imposer un blocus à la Chine qui viendrait paralyser son industrie et son économie.
(Article original paru le 2 juin 2014)