Une force de police massive d’environ 25.000 hommes, a été mobilisée samedi pour empêcher des manifestants, rassemblés pour commémorer le premier anniversaire des protestations du Parc Gezi, d’atteindre la place Taksim au centre d’Istanbul. Celles-ci avaient débuté comme une manifestation en faveur de la protection de l’environnement pour se développer rapidement en une confrontation entre de vastes couches de la population et le gouvernement islamiste dirigé par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
Samedi 31 mai, la police, équipée de 50 canons à eau et d’hélicoptères survolant les manifestants, a bouclé la place Taksim et les alentours du parc Gezi. L’après-midi, les services de ferry-boat ont été suspendus sur le Bosphore pour empêcher que les passagers venant du côté asiatique de la ville ne se rendent du côté européen d’Istanbul où se situe la place Taksim. La station de métro Place Tasksim a également été fermée.
Malgré le cordon mis en place, quelques centaines de protestataires se sont rassemblés dans la rue piétonne commerçante d’Istiklal Caddesi qui mène à la place Taksim. Ils ont scandé « Démission, AKP meurtrier, » en faisant allusion au Parti pour la justice et le développement (AKP) qui est au pouvoir. La police a tiré des gaz lacrymogènes sur la foule forçant les manifestants à battre en retraite. La police anti-émeute et des agents provocateurs de la police en civils sont alors intervenus pour briser violemment cette manifestation pacifique.
Des vidéos et des photos montrent les forces de sécurité utilisant des canons à eau et du gaz lacrymogène contre les manifestants. On a pu voir des protestataires, dont des jeunes femmes, emmenés par des policiers anti-émeute lourdement armés, les bras tordus derrière le dos et le visage grimaçant de douleur. Quelque 120 manifestants furent interpellés samedi, et des journalistes ont aussi été intimidés par les forces de sécurité. Plus d’une dizaine furent blessés lors d’affrontements avec la police.
Cette dernière démonstration de violence de la part de l’Etat survient une semaine à peine après que deux manifestants sont morts aux mains de la police suite à de nombreuses manifestations et protestations causées par la catastrophe minière de Soma le 13 mai. (Voir : Ten days since the Turkey mining massacre: Government and unions try to evade responsibility, en anglais)
Un manifestant de 20 ans a dit à la presse : « Nous voulons commémorer les morts de Gezi et de Soma mais on ne nous permet pas d’aller sur la place Taksim. Qu’est-ce que c’est que cet Etat? » Un enseignant de 29 ans a critiqué le gouvernement : « Erdogan a divisé le pays… Toute personne faisant valoir ses droits est arrêtée. »
La police a aussi utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants à Ankara, la capitale. Des protestations plus petites ont également eu lieu dimanche 1er juin, la police intervenant une nouvelle fois avec brutalité. Au total plus de deux cents personnes ont été arrêtées en l’espace de deux jours.
Suite aux premières manifestations du Parc Gezi l’été dernier, Erdogan avait déclaré que la police réprimerait violemment de futures manifestations. Dans l’année qui s’est déroulée depuis, douze manifestants au moins sont morts aux mains de l’Etat et des milliers d’autres ont été poursuivis pour leur participation à des protestations. Dans le même temps, pas un seul membre des forces de sécurité responsable d’avoir tué ou blessé des manifestants n’a été poursuivi.
Vendredi 30 juin, Erdogan avait une fois de plus prévenu que les manifestants subiraient toute la force de l’Etat s’ils essayaient de se rassembler. Dans un discours prononcé à Istanbul, Erdogan avait dit, « Si vous vous y rendez, nos forces de sécurité ont reçu des instructions claires et feront tout ce qui est nécessaire. Il ne vous sera pas possible d’aller à Gezi comme la dernière fois. Vous devez respecter les lois. Si vous ne le faites pas, l’Etat fera tout ce qui est nécessaire. »
Le mépris et la crainte ressentis par le gouvernement à l’égard de la population turque ont été illustrés par l’indifférence méprisante montrée par Erdogan suite à la mort de 400 mineurs tués mi-mai. Erdogan avait qualifié la catastrophe minière, qui est la conséquence directe de la course aux profits encouragée par son gouvernement, de « choses qui arrivent. »
Aux côté de deux gardes du corps, l’un de ses conseillers a été photographié quelques jours après la catastrophe minière en train de donner de violents coups de pied à un manifestant anti-Erdogan déjà à terre et sans défense.
L’isolement du régime d’Erdogan a aussi été mis en exergue par sa récente décision de censurer et de fermer des réseaux sociaux d’Internet comme Twitter.
Lors du discours prononcé vendredi dernier à Istanbul, Erdogan a affirmé que la victoire de son parti AKP aux élections municipales du 30 mars signifiait qu’il avait maintenant les mains libres pour s’en prendre à ses adversaires politiques.
En fait, la victoire d’Erdogan lors des récentes élections est entièrement due à la faillite politique des syndicats turcs et des organisations politiques telles que la Plateforme solidarité Taksim.
Les syndicats turcs – la Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie (DISK) et la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK) – ont systématiquement bloqué toute lutte pour mobiliser la profonde opposition au régime d’Erdogan et à l’inégalité sociale qui existent dans la classe ouvrière. Suite à la catastrophe minière de Soma, des milliers de mineurs étaient descendus dans la rue et avaient accusé les bureaucrates du Syndicat des mineurs de Turquie d’être les « laquais du patron de la mine. »
En ce qui concerne la Plateforme solidarité Taksim (une coalition de divers groupes bourgeois de « gauche », écologiques et soi-disant de gauche), elle a cherché à plusieurs reprises à négocier avec Erdogan sur la base des revendications des plus limitées.
A présent que l’opposition et la haine à l’encontre du gouvernement Erdogan sont en train d’éclater dans une partie de la classe ouvrière, ceux qui sont impliqués dans la Plateforme solidarité Taksim cherchent à subordonner l’opposition sociale grandissante à un soutien pour l’une ou pour l’autre faction bourgeoise opposée au régime.
Dans ce contexte, le régime d’Erdogan qui est de plus en plus acculé au mur, a bénéficié d’un important appui de l’étranger. Dans une allocution prononcée mercredi à l’Académie militaire de West Point, le président américain Barack Obama a annoncé que la Turquie serait un partenaire clé dans le « Fonds de partenariat contre le terrorisme » qu’il propose de créer. L’un des principaux objectifs de ce fonds est de fournir des ressources financières et de l’entraînement aux groupes d’opposition syriens actifs en Turquie et déterminés à mettre en œuvre les projets américains de changement de régime en Syrie.
(Article original paru le 2 juin 2014)