Lundi, quelque 300.00 habitants de la Virginie occidentale, soit près de 17 pour cent de la population, en étaient à leur quatrième journée sans eau potable, sans savoir quand le service allait être rétabli. Un état d'urgence demeure en vigueur dans neuf comtés du sud de la Virginie occidentale. Les résidents ont reçu la directive de ne pas boire l'eau du robinet, ni de l'utiliser pour faire à manger ou se laver.
Les réserves d'eau de l'État ont été contaminées par une fuite chimique dans la rivière Elk à Charleston, tout juste en amont de l'endroit où l'usine de traitement des eaux de l'American Water Company de Kanawha Valley s'approvisionne.
Les résidents sont massivement affectés par la catastrophe, surtout à Charleston, la capitale et la ville la plus populeuse de l'État. Presque toutes les entreprises qui ont besoin d'eau (les bars, les restaurants, les hôtels et les garderies) sont fermées. Les écoles et les bureaux du gouvernement été aussi fermés vendredi, et la session parlementaire et les audiences de la Cour suprême ont été annulées.
Les hôpitaux de la région ont mis en œuvre des protocoles de conservation d'eau, annulant les interventions chirurgicales et les opérations non urgentes, n'acceptant que les personnes devant se faire soigner d'urgence. L'aéroport Yeager de Charleston aurait aussi dû annuler des vols, le service étant plus difficile en raison du manque d'eau.
Tandis que les réserves d'eau embouteillée étaient rapidement épuisées des magasins suite à l'annonce jeudi soir de l'état d'urgence par le gouverneur Earl Ray Tumbling, d'autres réserves d'eau n'ont été acheminées dans la région que dans la nuit de vendredi. La garde nationale de Virginie occidentale a rapporté avoir reçu 1,4 million de litres d'eau samedi et a affirmé qu'elle attendait 1,6 million de litres de plus. Les résidents doivent cependant faire de longues queues aux centres de distribution qui ont été mis en place à travers les comtés touchés par la pénurie d'eau.
Chaque jour de plus sans eau potable aggrave la situation. En plus des risques posés à la santé et à l'hygiène de la population qui ne peut prendre de douches, se brosser les dents ou même simplement se laver les mains sans utiliser d'eau embouteillée, les résidents doivent faire à manger et se nourrir sans eau courante. Presque tous les restaurants de la région sont fermés sauf s'ils peuvent démontrer qu'ils ont accès à d'autres sources d'eau potable. Les rayons des fruits et légumes et des viandes qui ont besoin d'eau dans les supermarchés sont fermés ou offrent un service réduit.
De plus, les personnes âgées, handicapées et les malades risquent de manquer d'eau potable s'ils n'ont pas l'aide d'un membre de leur famille ou d'un ami. La Virginie occidentale, en plus d'avoir l'un des taux de pauvreté les plus élevés des États-Unis, est aussi le lieu de résidence d'un des plus fortes concentrations de personnes âgées et handicapées.
La fuite chimique dévastatrice de la rivière Elk provient de Freedom Industries, «un fabricant de produits chimiques spécialisés pour l'industrie des mines, de l'acier et du ciment», d'après le site web de l'entreprise.
Des responsables du ministère de l'Environnement avaient d'abord rapporté qu'entre 7500 et 20.000 litres de méthanol 4-méthylcyclohexane, aussi connu sous le terme MCHM brut, s'étaient échappés d'un réservoir d'une capacité de 150.000 litres, avaient débordé par-dessus le bassin de confinement de béton pour s'écouler jusque dans la rivière Elk. Ces estimations ont été revues à la hausse et on parle maintenant d'une fuite de 28.000 litres.
Le MCHM n'est mortel qu'à forte concentration et que pour une exposition prolongée; toutefois, un contact avec la substance peut provoquer la nausée, des étourdissements, des vomissements ainsi que l'irritation des yeux et de la peau. Des dizaines de personnes se sont présentées à l'hôpital avec ces symptômes, mais d'après le département de la Santé et des Ressources humaines, seulement quelques personnes auraient été admises pour des soins.
Le MCHM est utilisé dans le nettoyage du charbon (notamment pour retirer la pierre, la terre, l'argile et d'autres impuretés) avant qu'il ne soit transporté et vendu sur le marché.
Tôt jeudi matin, des résidents ont commencé à se plaindre de l'odeur âcre que dégageait le produit chimique. Le Département de protection de l'environnement de Virginie occidentale (DEP) dit avoir reçu des plaintes dès 8 h 15. Le DEP a alors dépêché des inspecteurs de la qualité de l'air qui ont découvert la fuite dans le réservoir de Freedom Industries à 11 h 10.
Le président de Freedom Industries Gary Southern a affirmé que l'entreprise a pris connaissance de la fuite de réservoir vers 10 h 30. Cependant, l'entreprise n'a rapporté la fuite que vers midi, soit bien après l'arrivée des inspecteurs et d'autres responsables.
Southern a tenu une première conférence de presse que tard vendredi soir et n'a offert que des réponses génériques aux journalistes. Un reporter local a dit qu'il n'avait que «des balbutiements, des haussements d'épaules et des regards vides» à offrir. Dans une vidéo de la conférence de presse, Southern est critiqué par les journalistes pour avoir tenté de mettre un terme à la conférence sans avoir répondu à leurs questions en disant que «la journée a été longue».
Quelques moments plus tard, après qu'on lui ait demandé si l'entreprise avait des systèmes en place pour l'alerter de la fuite d'un produit, autres que l'odeur dégagée par cette fuite, Southern a ignoré la question et dit aux journalistes: «À ce point-ci, je crois que c'est tout le temps que nous avons.» Il commence alors à quitter la conférence de presse sous les cris indignés des reporters.
Le directeur des services d'intervention d'urgence du DEP, Mike Dorsey, a confirmé que Freedom Industries n'avait pas rapporté qu'il y avait eu déversement et que la fuite du réservoir existait depuis déjà «un certain temps». Dans un communiqué de presse, l'agence a expliqué que lorsqu'elle a découvert la fuite, «aucune mesure d'endiguement du déversement n'avait été mise en œuvre [par l'entreprise]».
Le directeur des services d'urgence de Kanawha County, Dale Petri, a déclaré au réseau Fox News qu'on avait dit aux responsables qui venaient d'arriver sur le site du déversement de ne pas s'inquiéter, car le produit chimique allait demeurer à la surface de l'eau et n'allait pas avoir d'impact sur l'approvisionnement en eau. En fait, cela était faux: le MCHM est soluble dans l'eau et il s'est infiltré de tout le système de distribution. Cette propriété fait aussi en sorte qu'il est impossible de nettoyer le déversement ou de le contenir en surface.
Même American Water pensait que leur usine de traitement allait pouvoir filtrer le produit chimique, assurant à la population, dans un communiqué de presse émis tôt jeudi, que le déversement «ne pose aucun risque à la santé des consommateurs». On s'est toutefois rendu compte vers 16h que le produit chimique était bien présent dans le réseau de distribution d'eau potable.
American Water a alors mis en garde la population de ne pas consommer l'eau. «Ce n'est pas un produit chimique que nous rencontrons souvent. Ce n'est pas le genre de chose auquel est habituée une usine de traitement des eaux.» Le président de l'entreprise, Jeff McIntyre, a admis par la suite: «Cela nous a pris un certain temps avant de comprendre ce à quoi nous avions affaire.»
On ne sait toujours pas quand reprendra la distribution d'eau potable, mais selon les commentaires de McIntyre à une conférence de presse samedi, «Je crois que cela va prendre plusieurs jours.» Questionné par les journalistes samedi, McIntyre a répété ce qu'il avait dit vendredi: «Nous ne savons pas si l'eau ne peut être utilisée, mais je ne peux pas dire si elle est potable.»
Même si des échantillons ont indiqué que la concentration du produit chimique dans les réserves d'eau était en diminution, les responsables affirment que les tests menés à l'usine de traitement des eaux doivent montrer des concentrations en-deçà de la limite recommandée par le gouvernement fédéral, soit d'une partie par milliard, durant une période d'au moins 24 heures. Une fois cette limite atteinte, American Water pourra commencer à nettoyer le réseau et s'assurer de la qualité de l'eau pour les neufs comtés touchés.
Vendredi, le DEP a émis un avis d'infraction à Freedom Industries pour «pollution atmosphérique» ainsi qu'un ordre de fermeture. Le DEP a ordonné à l'entreprise de retirer «tous les produits des réservoirs de surface et de les entreposer à un autre emplacement suffisamment sécuritaire».
L'entreprise doit aussi faire approuver un «plan adéquat de mesures de correction» qui doit expliquer comment elle prévoit décontaminer le sol et la nappe phréatique, et éliminer les produits entreposés dans les réservoirs. Selon le DEP, en plus des trois réservoirs de MCHM situés dans la zone de déversement, il y a 11 autres réservoirs qui contiennent du chlorure de calcium e de la glycérine.
L'administration américaine de la santé et de la sécurité au travail (OSHA) ainsi que l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) affirment que Freedom Industries n'avait aucune violation à son dossier avant cet incident. Parce que l'usine située au bord de la rivière n'est utilisée que comme entrepôt et terminal de transport, et qu'aucune production n'y est faite, le DEP soutient qu'elle n'est pas dans sa liste d'inspection.
Plusieurs enquêtes sur le déversement ont été annoncées, notamment par le procureur Booth Goodwin, la Commission américaine de la sécurité dans l'industrie chimique, l'OSHA, l'EPA et le DEP de Virginie occidentale.
Comme pour l'explosion l'année dernière de l'usine de fertilisants dans la ville de West au Texas, et le déversement de pétrole de BP en 2010, le déversement chimique en Virginie occidentale témoigne de la menace que pose la production qui est organisée socialement, mais qui est menée dans l'intérêt du profit privé.
(Article original paru le 13 janvier 2014)