Lors d'un point de presse tenu le 21 janvier, le chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Philippe Couillard, a dévoilé la position officielle de son parti face au projet de loi 60 du Parti québécois (PQ) au pouvoir.
Au nom de la laïcité de l'État et de l'égalité entre les hommes et les femmes, le projet de loi péquiste interdit le port de signes religieux «ostentatoires» par les 600.000 employés du secteur public québécois sous peine de congédiement. Il interdit également aux femmes musulmanes entièrement voilées – dans une clause inspirée du projet de loi 94 du gouvernement libéral précédent – de recevoir des soins de santé ou tout autre service public sauf en cas d’urgence. De telles mesures briment la liberté de religion, violent le droit des minorités religieuses à l'emploi et aux services publics, attisent les tensions inter-ethniques, et encouragent les sentiments et gestes xénophobes à l'endroit des femmes musulmanes.
En dévoilant la position de son parti, le chef libéral a tenu un double langage. D'une part, il a posé en défenseur des libertés fondamentales à l'aide de petites phrases comme: «l'intégration passe par l'emploi, pas par le congédiement». D'autre part, sa position se ramène dans le fond à une série de propositions antidémocratiques, dont certaines vont plus loin que le projet de loi 60 en ciblant la minorité musulmane.
Comme l'a admis Couillard au cours du point de presse, il y a «beaucoup d'éléments dans le projet de loi du PQ» qui «correspondent à des objets de consensus». La différence est que libéraux veulent utiliser «d'autres outils qui arrivent exactement aux mêmes résultats». Le parti libéral ferait adopter des mesures administratives au lieu d'une loi, pour éviter d'avoir à répondre devant les tribunaux de la violation des libertés fondamentales.
«S'il est vrai qu'une approche d'interdiction mur à mur comme proposée par le Parti québécois est injustifiée et inapplicable», a déclaré Couillard d'entrée de jeu, «il est aussi nécessaire d'encadrer l'exercice des droits: ne pas vouloir tout interdire ne signifie pas que tout doit être permis sans limites». En fin de compte, l'ensemble des «limites» proposées par les libéraux se distingue à peine de l’«interdiction mur à mur» des péquistes.
«Le PLQ dit oui à la préservation du patrimoine religieux du Québec et du crucifix au salon bleu de l'Assemblée nationale», a enchaîné le chef libéral, oui «aux services de l'État donnés et reçus à visage découvert; à l'interdiction du port de la burka, du niqab, et du tchador par les employés de l'État; à la nécessité de définir les balises des accommodements».
Ce passage, qui réaffirme la place spéciale de la religion catholique et vise la minorité musulmane de manière encore plus explicite que le projet de loi 60, est le signal clair que les libéraux veulent occuper une place de premier plan dans la campagne nationaliste-chauvine qui fait rage au Québec.
Depuis plusieurs années, des reportages provocateurs sur la supposée explosion des demandes d'«accommodement raisonnable» de la part des minorités religieuses défraient la chronique et laissent entendre, de manière plus ou moins subtile, que le Québec est en voie d'être submergé de musulmans qui cherchent à imposer leurs vues rétrogrades – notamment sur la femme – à la majorité des Québécois «de souche». Le Journal de Montréal, du magnat milliardaire de la presse Pierre-Karl Péladeau, en a fait sa spécialité.
Cette image du Québec ne correspond pas à la réalité. Son but est de camoufler les véritables divisions de classe qui traversent la société, et de détourner la colère populaire suscitée par les mesures d'austérité capitaliste vers des conflits de type ethnique ou religieux. C'est justement pour cette raison qu'elle est reprise par tous les partis politiques bourgeois, le PQ y allant de son projet de loi 60, et les libéraux répondant à la surenchère nationaliste par leurs propres propositions anti-immigrés.
Dans son point de presse, Couillard a repris le cliché qui sert à justifier la violation des droits démocratiques à l'intérieur et la participation à des guerres de conquête à l'extérieur. Il a insisté sur «la montée de l'intégrisme religieux dans plusieurs pays et la crainte que ce phénomène gagne notre territoire un jour». Et il s'en est servi pour attaquer de la droite le projet de loi 60 du PQ, qui «passe complètement à côté de cette préoccupation, la menace de l'intégrisme».
Sur la question des «balises», Couillard a déclaré: «Pour qu'un accommodement soit considéré comme raisonnable, nous proposons d'ajouter un nouveau critère: le demandeur doit prouver qu'il ou elle a fait les efforts nécessaires pour s'intégrer dans son milieu de travail». Ce que Couillard a lui-même qualifié de «renversement du fardeau de la preuve», est basé sur la conception antidémocratique qu'il existe deux classes de citoyens, les Québécois «de souche» et «les autres», et que ces derniers doivent «prouver» qu'ils méritent leur place au sein de la société.
Sur le refus des soins de santé et des emplois publics aux femmes musulmanes entièrement voilées, Couillard a été interpellé par un journaliste qui a fait remarquer que le Barreau du Québec venait de publier une étude montrant que la notion de «visage découvert», comme critère d'accès aux programmes sociaux ou à la fonction publique, n'avait aucune base légale. Dans une réponse qui s'inspire du même populisme de droite que le PQ dans sa promotion du projet de loi 60, le chef libéral a répondu: «Notre approche n'est pas que légaliste, notre approche vient aussi des craintes de la population».
Alors que le PQ utilise le prétexte de la laïcité pour fermer aux femmes musulmanes l'accès aux emplois et aux services publics, les libéraux préfèrent passer par un «code vestimentaire» qui interdirait non seulement le voile intégral (burka et niqab), sous le prétexte qu'un visage caché nuit aux besoins de «communication, sécurité et identification», mais aussi le tchador, qui laisse pourtant à découvert le visage de la femme même s'il recouvre le reste du corps. Feignant de ne pas voir l'incohérence de sa position, Couillard a simplement affirmé que c'était «le jugement» de son parti que le tchador «est un indicateur d'un retrait social» et de «soumission de la femme» qui «n'est pas compatible avec les services publics».
La nouvelle position dévoilée par Couillard survient après des mois de tergiversations. En septembre, il avait dénoncé la charte des valeurs québécoises (la première mouture du projet de loi 60) et averti qu'il faudrait lui «passer sur le corps» pour la faire adopter. Ce message s'adressait à des sections importantes du patronat qui voyaient les restrictions de la charte péquiste comme une menace potentielle au flux des investissements étrangers et à l’économie québécoise. Les libéraux étaient aussi conscients que les communautés anglophones et immigrées du Québec, une partie importante de leur électorat traditionnel, étaient généralement hostiles au projet de charte du PQ. Mais devant un certain succès du PQ à semer de la confusion parmi la population francophone en encourageant les préjugés anti-musulmans, les libéraux adoptent maintenant le discours nationaliste du PQ en y allant de leurs propres mesures ciblées contre la minorité musulmane.
Une lutte véritable contre la charte antidémocratique du PQ devrait en révéler la source profonde, à savoir la tentative de détourner la colère populaire causée par son programme d'austérité derrière des conflits ethniques-religieux qui font des immigrés et des musulmans des boucs-émissaires de la profonde crise socio-économique produite par le capitalisme. Couillard est incapable d'une telle critique, car le PLQ qu'il dirige est un parti de la grande entreprise aussi dédié que le PQ à appliquer les coupes massives dans les emplois et les programmes sociaux exigées par les marchés financiers et la classe dirigeante. Tout comme les péquistes, les libéraux n’hésiteront pas à fouler aux pieds les droits démocratiques pour imposer l’austérité capitaliste comme en témoigne l’adoption, par le gouvernement libéral précédent de Jean Charest, d’une loi spéciale (projet de loi 78) pour briser la grève étudiante québécoise de 2012.
La participation des libéraux à la surenchère de chauvinisme qui entoure le projet de loi 60 démontre qu'il n'existe aucune section de l'establishment – que ce soit son aile souverainiste ou fédéraliste – qui soit prête à défendre les droits démocratiques. Cette tâche incombe aujourd'hui à la classe ouvrière, qui doit lancer une lutte unifiée des travailleurs francophones, anglophones et immigrés du Québec et du Canada contre l'austérité capitaliste et pour l'égalité sociale.