Dix ans après les deux sièges barbares de Fallouja par les États-Unis, cette ville irakienne est une fois de plus confrontée à un conflit armé sanglant.
L'armée du président irakien Nouri al-Maliki a massé de l'artillerie et des chars aux abords de Fallouja et a déjà bombardé des quartiers civils, infligeant un nombre indéterminé de pertes. Des milliers de gens ont fui la ville par crainte pour leur vie, et les Nations Unies ont prévenu que le manque d'eau, de nourriture et de carburant crée une catastrophe humanitaire. Maliki a juré de lancer un assaut de grande envergure contre la ville à moins que ses habitants ne parviennent à persuader les insurgés armés de ses rendre.
En avril puis en novembre-décembre 2004, Fallouja a été victime d'un véritable massacre perpétré par l'occupation américaine. Depuis les airs, elle était martelée par les avions d'attaque AC-130 Specter, les chasseurs F-16 et les hélicoptères d'attaque Apache. Au sol, une force de plus de 10.000 soldats soutenus par des chars d'assaut et de l'artillerie était assemblée pour attaquer la ville. Les bombes, les missiles et les obus au phosphore – des armes chimiques interdites par la convention de Genève – ont été lâchés contre la population. Les hôpitaux et les ambulances étaient pris pour cible.
Finalement, un bâtiment sur cinq dans la ville fut détruit et deux tiers de ceux encore debout étaient endommagés. Des centaines de milliers de gens sont devenus des réfugiés sans domicile. Au moins 120 soldats américains ont été tués durant les deux sièges et un décompte précis des milliers de morts irakiennes n'a jamais été fait.
L'essentiel de la couverture des médias américains sur la situation actuelle à Fallouja, Ramadi et ailleurs dans la province occidentale d'Anbar part du principe que ces événements sont surprenants et décevants étant donné l'énorme «sacrifice» fait par l'occupation américaine pour pacifier la zone il y a dix ans. La guerre en Irak est une fois de plus présentée comme une entreprise humanitaire visant à combattre le terrorisme et apporter la démocratie au peuple irakien.
L'attaque sauvage contre Fallouja constituait un crime de guerre. Par ses objectifs, son ampleur et sa férocité, elle était comparable aux punitions collectives appliquées par les nazis contre les populations résistantes en Europe occupée. Elle était emblématique du caractère criminel de toute cette guerre américaine. Imposée au peuple américain avec des mensonges sur des «armes de destruction massive» et des liens entre Bagdad et Al-Qaïda inexistants, cette guerre était une agression préméditée servant à faire avancer les objectifs impérialistes des États-Unis dans la région afin d'assurer leur domination sur le Moyen-Orient et ses vastes réserves énergétiques.
N'étant pas parvenu à obtenir une garantie d'immunité pénale aux troupes américaines qu'il comptait laisser sur place, Obama a ordonné aux dernières d'entre elles de se retirer d'Irak il y a un peu plus de deux ans. Le peuple irakien devait quant à lui s'occuper seul de l'héritage amer de près de neuf ans d'occupation militaire américaine. Pendant ce temps, la quête de Washington pour l'hégémonie dans la région continuait, en particulier par la guerre pour faire tomber Mouammar Kahdafi en Libye et en fomentant la guerre en Syrie pour faire tomber le régime de Bashar Al-Assad. À Fallouja et Ramadi, les conséquences des crimes de l'impérialisme américain, passés et présents, prennent maintenant un caractère explosif.
Cette confrontation, présentée par les médias capitalistes comme une lutte contre les terroristes d'Al-Qaïda, plonge ses racines dans les divisions sectaires qui ont été instiguées par la guerre et l'occupation américaines dans le cadre d'une stratégie délibérée consistant à diviser pour mieux régner. Les États-Unis sont parvenu à opposer la majorité chiite de la population irakienne et la minorité sunnite, pendant que la minorité Kurde au Nord a été autorisée à pratiquer une autonomie régionale. Les conflits sur les frontières et les droits pétroliers menacent d'éclater en une guerre civile là-bas aussi.
Le gouvernement du premier ministre Nouri al-Maliki, installé pendant l'occupation américaine, a suivi un programme ouvertement sectaire, purgeant brutalement les politiciens sunnites importants, utilisant les forces de sécurité pour réprimer la population d'Anbar et présentant les protestations contre ces abus de pouvoir comme des actes de terrorisme de la part d'Al-Qaïda.
Fin décembre, le régime de Maliki a déclenché le conflit actuel en décidant d’arrêter Ahmed al-Alwany, un membre sunnite important du Parlement à Ramadi – et tuant son frère et cinq gardes du corps au passage – puis le 30 décembre, il a envoyé ses forces de sécurité disperser un campement de protestation qui existait dans cette ville depuis des mois. Ils y ont tué au moins 17 personnes de plus.
Dans ce contexte de colère populaire bouillante, des groupes armés, dont l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL), liés à Al-Qaïda, et des groupes tribaux locaux, ont pris le contrôle des stations de police, repoussé les forces de sécurité et établi des points de contrôle sur place, prenant de fait le contrôle de Fallouja et de la plus grande partie de Ramadi.
Le gouvernement Obama a réagi en déclarant son soutien entier à Maliki et en lui envoyant en urgence des armes, dont des missiles Hellfire, des drones et d'autres équipements pour son armée. Il exerce une pression maximale sur le Congrès pour qu'il lève les délais imposés à l'envoi d'hélicoptères de combat Apache et de F-16 au régime. Le fait que cet armement, aux mains d'un régime qui est devenu encore plus sectaire et autoritaire, puisse bientôt être utilisé pour massacrer des civils ne pose aucun problème à la Maison-Blanche d'Obama.
Washington a présenté son aide militaire comme un impératif motivé par la menace d'Al-Qaïda, le secrétaire d'État John Kerry décrivant ceux qui ont pris le contrôle de Fallouja comme «les acteurs les plus dangereux de la région».
La réalité est qu'une aide de ce genre constitue l'un des principaux moyens de contrôle et d'influence dont dispose encore Washington sur Bagdad. Les troupes qu'il maintient en Irak se montent à 1000 soldats et contractuels de l'Office of Security Cooperation-Irak installés dans l'ambassade des États-Unis. Il a conclu des centaines de contrats de vente d'armes pour un montant total de 9 milliards de dollars depuis la fin de l'occupation. Les contractuels américains, dont la plupart sont des ex-membres des forces spéciales, restent «incorporés» dans les forces irakiennes en tant que «conseillers».
Quant à la prétendue menace venant d'Al-Qaïda, celle-ci est également une création largement imputable à Washington. L'EIIL a été très fortement renforcée par la guerre que les États-Unis soutenaient en Syrie pour obtenir un changement de régime, où il était armé et financé par les plus proches alliés des États-Unis, en particulier l'Arabie saoudite. Le fait que Washington dénonce le bombardement par la Syrie des forces de l'EIIL à Alep, en même temps qu'il expédie plus de missiles en Irak pour que Maliki puisse les bombarder à Fallouja, montre parfaitement l'hypocrisie et le cynisme de la politique américaine dans la région.
Cette contradiction flagrante découle du double usage d'Al-Qaïda par Washington: il s'en sert comme intermédiaire là où cela correspond à ses intérêts – comme en Afghanistan dans les années 1980, et plus récemment en Libye et en Syrie – ou il s'en sert comme épouvantail pour justifier des interventions, comme en Afghanistan et en Irak il y a dix ans et à nouveau en Irak aujourd'hui.
La possibilité que l'impérialisme américain puisse bénéficier des troubles qu'il a attisés à Fallouja a été évoquée par le New York Times lundi, dans un article qui présentait les «ennemis communs» de Washington et Téhéran en Irak. Celui-ci suggérait que le rapprochement entre les États-Unis et l'Iran pourrait s'étendre au-delà d'un accord sur le programme nucléaire iranien et faire de l'Iran une force de «stabilité» dans la région.
Un réalignement de ce genre ne résoudrait pas cependant les profonds conflits sociaux, politiques et de classes qui déchirent le Moyen-Orient, et ne serait exploité par l'impérialisme américain que pour faire avancer sa quête plus large pour une hégémonie mondiale, en particulier dans sa confrontation avec la Chine.
(Article original paru le 9 janvier 2013)