Les puissances occidentales intensifient la pression sur le régime ukrainien

Cherchant un peu plus à contraindre le président ukrainien Viktor Ianoukovitch à quitter ses fonctions, les partis d’opposition droitiers, l’Alliance ukrainienne démocratique pour la réforme (UDAR), le parti Patrie (Batkivshchyna) et le parti néo-fasciste Svoboda (Liberté), ont rejeté la proposition du président offrant l’amnistie politique aux manifestants anti gouvernement arrêtés durant les deux derniers mois de protestation sur la Place de l’Indépendance à Kiev.

Ianoukovitch aurait tyrannisé mercredi soir les députés de son Parti des Région pour qu’ils votent en faveur de l’amnistie. L’opposition a aussitôt rejeté l’amnistie au motif que le gouvernement avait subordonné la loi à la condition que les manifestants quittent les bâtiments administratifs qu’ils occupent et qu’ils lèvent les barricades érigées au centre ville. Jeudi, Ianoukovitch a été soudain déclaré malade et dispensé de ses obligations publiques pour une période indéterminée.

Durant le weekend, Vitali Klitschko, chef de file d’UDAR qui a été fondé en étroite collaboration avec le parti conservateur allemand, l’Union chrétienne démocrate (DCU), avait déjà qualifié la démission du premier ministre ukrainien comme étant « un petit pas » et appelé à ce que les manifestations contre le gouvernement continuent. Suite à son rejet de la dernière concession de Ianoukovitch, Klitschko a accordé un entretien au journal allemand Bild appelant l’UE à imposer des sanctions contre Ianoukovitch et son gouvernement.

L’appel de Klitschko en faveur de sanctions contre les membres du régime de Ianoukovitch a été repris par la présidente du groupe des Verts au parlement européen, Rebecca Harms, qui a donné mardi une interview à la radio allemande. Harms a déclaré que de sérieux préparatifs en vue de sanctions devraient être entrepris par des « pays tels l’Allemagne, l’Autriche ou les Pays-Bas » où sont actives des entreprises liées à Ianoukovitch et à sa « Famille » d’associés.

L’appel de Klitschko contre tout relâchement de la campagne contre Ianoukovitch a été soutenu par le dirigeant du parti Patrie, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Arseny Iatseniouk. Iatseniouk a dit aux journalistes que le patron de Patrie, l’oligarque et ancien premier ministre Julia Tymochenko, avait personnellement lancé un appel aux contestataires pour les inciter à continuer à lutter.

« Si vous vous arrêtez maintenant, sans avoir obtenu une victoire totale et complète, alors toutes les victimes sont trahies, » a-t-elle déclaré depuis sa cellule de prison.

La responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Catherine Ashton, a également maintenu la pression sur Ianoukovitch en se rendant directement à Kiev après le sommet entre l’UE et la Russie qui s’est tenu mardi 28 janvier à Bruxelles. A Kiev, elle a rencontré des représentants de l’opposition, appelé à la fin de la violence et exprimé son inquiétude quant aux rapports relatifs aux manifestants portés disparus.

La campagne européenne et allemande menée contre Ianoukovitch et son principal allié politique, le président russe Vladimir Poutine, a été associée à une nouvelle offensive de la part du Département d’Etat américain. Washington a déjà annoncé des restrictions de voyage à l’encontre de certains membres du gouvernement ukrainien. Reuters a cité mercredi des fonctionnaires du congrès américain disant que le gouvernement Obama était en train de planifier de nouvelles sanctions financières au cas où les forces de l’Etat s’en prendraient aux manifestants.

A la mi-janvier, la Commission des relations étrangères du Sénat américain a tenu une audition intitulée « Les implications de la crise en Ukraine. » La secrétaire d’Etat adjointe aux Affaires étrangères et eurasiennes, Victoria Nuland, qui s’était rendue à Kiev pour soutenir personnellement les manifestants, et le vice-adjoint du secrétaire d’Etat américain pour les questions de démocratie, de droits de l’homme et de travail, Tom Melia ont pris la parole au cours de la réunion et souligné la signification stratégique de l’Ukraine.

Nuland a fait remarquer que le sort de l’Ukraine se justifie non seulement parce qu’elle se situe « au centre de l’Europe » mais parce qu’elle est aussi un partenaire « précieux » et « important » pour les Etats-Unis.

Dans son propre rapport à la réunion, Melia a annoncé que depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991 les Etats-Unis avaient « investi » plus de 5 milliards de dollars en Ukraine, dont 815 millions de dollars de ce montant étaient allés directement aux ONG pro-américaines. Melia a aussi dit que, depuis 2009, le gouvernement Obama avait fait don de 184 millions de dollars à divers programmes afin de mettre en œuvre un changement politique en Ukraine.

Nuland et Melia ont tous deux souligné que « les Etats-Unis sont aux côtés du peuple ukrainien en solidarité avec sa lutte pour les droits humains fondamentaux. » Leurs commentaires ont ensuite été complétés par un dossier de l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, qui avait prévenu, il y a de nombreuses années, de l’importance cruciale de l’Ukraine sur le grand échiquier eurasien.

Dans le contexte de discussions intenses menées par les Etats-Unis sur l’avenir de l’Ukraine, l’annonce faite cette semaine par des sources médiatiques américaines que la Russie a testé un nouveau missile de croisière lancé à partir du sol, en violation du traité de 1987 interdisant de tels missiles, n’est guère une coïncidence.

Dans un développement ultérieur, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S & P) a rétrogradé cette semaine la solvabilité de l’Ukraine, majorant par là le taux d’intérêt que le pays doit payer sur ces dettes.

L’Ukraine figure en bonne place sur l’agenda de la Conférence annuelle sur la Sécurité de Munich qui débute vendredi dans la ville du sud de l’Allemagne. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, participeront à la conférence. Au cours de ces dernières semaines, les deux hommes ont ouvertement critiqué les gouvernements ukrainien et russe.

La campagne de pression politique intense émanant de l’Europe et des Etats-Unis a amené des partisans clé du régime de Ianoukovitch, notamment l’homme le plus riche du pays, Rimat Akhmetov, à envisager de changer de camp. Akhmetov a fait fortune en pillant les biens publics dans les années 1990, durant le premier gouvernement mené par l’actuel président.

Le journal The Guardian cite des sources disant que si Akhmetov pourrait être prêt à prendre un « coup à court terme, » un accord conclu avec l’UE était préférable pour son « bilan » à long terme. Le journal cite un diplomate étranger déclarant, « Les oligarques pourraient ne pas tellement s’intéresser aux valeurs européennes mais ils perçoivent la ‘valeur de l’Europe.’ »

En exposant la nature essentiellement réactionnaire des protestations de Kiev, Vadim Karasiov, ancien conseiller du président Ianoukovitch et directeur du groupe de réflexion de Kiev, a dit : « Les protestations sont financées par les oligarques. Actuellement, ils ne veulent pas de Poutine ou de l’union douanière et ils ont peur de la Famille… Si Poutine et l’union douanière l’emportent, alors le pouvoir est entre les mains de la Famille (c’est-à-dire de Ianoukovitch). »

La Révolution orange de 2004, qui avait principalement été financée par le Département d’Etat, avait conduit au remplacement du premier gouvernement de Ianoukovitch dirigé par le régime oligarchique de Tymochenko et de Viktor Iouchtchenko.

Le duo avait rapidement précipité le pays dans le chaos lorsqu’ils avaient commencé un plus grand enrichissement de Tymochenko et de ses oligarques affiliés. A présent, à la demande des puissances occidentales, le régime de Ianoukovitch et de ses compères est en train de subir des pressions visant à le convaincre de faire place à un nouveau régime d’oligarques mieux alignés sur les intérêts stratégiques occidentaux.

(Article original paru le 31 janvier 2014)

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