Le gouvernement provisoire égyptien soutenu par l'armée a démissionné dans le contexte d'une vague nationale montante de grèves dans le secteur public. Cette démission ouvre la voie à l'installation du chef de la junte, le maréchal Abdel-Fattah al-Sisi comme président et à une confrontation avec la classe ouvrière, la principale force derrière la révolution égyptienne.
Le Premier ministre par intérim, Hazem al-Beblawi, a annoncé sa démission au cours d'une émission de télévision en direct lundi. Le discours de Beblawi était une tentative de bas étage de justifier et de minimiser les crimes monstrueux de son cabinet. Il a affirmé que «le cabinet a, au cours des six ou sept derniers mois supporté un fardeau très difficile avec responsabilité et abnégation», et «dans la plupart des cas il a obtenu de bons résultats».
En fait, une campagne de terreur et de répression a suivi le coup militaire de Sisi le 3 juillet contre le président islamiste Mohammed Morsi. Depuis son installation au pouvoir le 16 juillet, le gouvernement provisoire a fonctionné comme une couverture pseudo-démocratique pour une dictature militaire de fait qui vise à restaurer l'appareil répressif qui existait avant qu'un soulèvement massif de la classe ouvrière ne fasse tomber le dictateur de longue date Hosni Moubarak en février 2011.
Le gouvernement Beblawi a supervisé le meurtre et l'emprisonnement de milliers de partisans de Morsi et d'autres opposants du coup militaire par les forces de sécurité, l'interdiction des Frères musulmans (FM), et l'imposition d'une loi contre les manifestations.
En même temps, il a retardé une confrontation majeure avec la classe ouvrière. Pour empêcher une nouvelle explosion des luttes ouvrières, il a repoussé à plus tard les attaques sociales qu'il prévoyait, comme l'élimination des aides sociales pour la nourriture et le carburant, et a même promis un salaire minimum mensuel de 1200 livres égyptiennes (125 euros) pour les travailleurs du secteur public à partir de janvier.
Durant les semaines passées, cependant, il est devenu de plus en plus difficile pour la junte et le gouvernement de pacifier la colère sociale montante. Actuellement, des milliers de travailleurs du secteur public sont en grève pour demander le salaire minimum promis et de meilleures conditions de travail, en défiant la loi anti-manifestation et l’atmosphère de terreur et d'intimidation créée par la junte.
La vague de grève a démarré avec plus de 20.000 travailleurs du textile à Mahalla, qui ont entamé une grève le 10 février et ont été rapidement rejoints par des milliers de travailleurs du textile dans 16 filiales des principaux centres industriels du delta du Nil.
Samedi, les travailleurs des transports publics ont fait grève. Le ministre de l'emploi Kamal Abu Eita a désespérément demandé aux travailleurs de négocier leurs demandes au lieu de faire grève, mais dimanche les 28 garages du Caire et de Guizeh étaient fermés. Dimanche également, les travailleurs des postes ont entamé une grève graduelle dans des dizaines de bureaux de postes dans toute l'Égypte. Les employés du cadastre sont déjà en grève depuis une semaine.
Vendredi, les docteurs en grève ont demandé la démission du ministre de la santé Maha Rabat lors de l'assemblée générale du syndicat des médecins et ont réaffirmé leurs demandes pour des salaires plus élevés et une réforme du système de santé égyptien qui est en déliquescence. Les docteurs ont organisé des grèves et des manifestations les lundis, mercredis et vendredis depuis le début de l'année pour forcer le gouvernement à réagir à leurs demandes.
Les reportages des médias ont indiqué que la démission du gouvernement a été coordonnée étroitement avec l'armée. Le quotidien contrôlé par l'État Al-Ahram a fait savoir que la décision fut prise après une réunion de 15 minutes du gouvernement au cours de laquelle le dirigeant du coup, al-Sisi, a participé en tant que ministre de la défense. Un responsable égyptien a déclaré à Reuters que la démission «a été faite comme une étape nécessaire avant l'annonce par Sisi qu'il se présentera à l'élection présidentielle».
L'on s'attend à ce que al-Sisi, après avoir démissionné de son poste de ministre de la défense, annonce rapidement sa candidature aux élections à venir.
Fin janvier, al-Sisi avait reçu l'autorisation de la junte du Conseil suprême des forces armées (CSFA) au cours d'une réunion d'urgence de se présenter à la présidence. Une déclaration diffusée à la télévision publique a dit que le CSFA envisageait sa candidature comme «un mandat et une obligation». Cette déclaration affirmait également que al-Sisi remerciait le conseil militaire pour lui avoir donné «le droit de répondre à l'appel du devoir».
Avant la réunion, le président par intérim Adly Mansour a promu al-Sisi du rang de général à celui de maréchal par décret.
Les préparatifs pour installer al-Sisi comme président sont directement liés aux plans de la classe dirigeante égyptienne pour intensifier la répression contre la classe ouvrière et imposer de nouvelles attaques sociales. Remarquablement, une décision judiciaire en référé décidait que les forces de police peuvent être à nouveau déployées de manière permanente sur les campus universitaires – revenant sur une décision de 2010 qui le leur interdisait. D'un autre côté, un projet de loi sur l'investissement est passé pour protéger les intérêts des compagnies étrangères et des investisseurs en Égypte.
L'on spécule qu'Ibrahim Mehleb, l'ex-ministre du logement du cabinet El-Beblawi, deviendra le prochain Premier ministre et formera un nouveau cabinet provisoire. Mehleb est un ex-membre du Parti démocratique national (NDP) de Moubarak, maintenant dissous, et un ex-président du conseil de direction de la compagnie Arab Contractors, l'une des plus importantes d'Égypte.
Le probable retour des responsables de l'ère Moubarak à de hautes positions souligne le rôle contre-révolutionnaire des groupes libéraux et «de gauche» qui ont soutenu le coup militaire. Des figures comme Eita – membre du Parti nassériste Karama et un allié proche du groupe pseudo-gauche des Socialistes révolutionnaires – sont devenues une partie intégrante de la dictature militaire.
Le mouvement de droite Tamarod, par lequel la bourgeoisie avait canalisé le mécontentement des masses contre Morsi vers un soutien pour le coup d'État, est à la pointe de la campagne pour installer al-Sisi comme président. Quelques jours seulement après que le CSFA a appelé al-Sisi à se présenter au poste de président, le dirigeant de Tamarod, Mahmoud Badr, a demandé à «tous les Égyptiens d'élire le maréchal al-Sisi comme candidat national et accepté par la population».
La reprise des conflits de classe en Égypte va amener la classe ouvrière en confrontation plus directe avec les organisations politiques et les partis officiels du pays – qu'ils soient islamistes, libéraux ou «de gauche». Tous, en fin de compte, défendent les intérêts de l'élite dirigeante égyptienne et de l'impérialisme. Ils craignent tous la menace d'une reprise des luttes ouvrières massives et sont déterminés à collaborer entre eux en dépit des conflits aigus qui les opposent.
(Article original paru le 25 février 2014)