A voir bientôt dans un cinéma près de chez vous, un film de propagande impérialiste américain à gros budget, dernière superproduction des studios CIA Pictures, tourné avec la participation de Pentagon Entertainment et en partenariat avec Médias Américains United: Guerre cybernétique, Corée du Nord.
Une telle annonce aurait été très utile la semaine passée pour alerter l’opinion publique américaine d’une avalanche imminente d’affirmations totalement infondées venant de responsables gouvernementaux américains et rediffusées sans discernement par les principaux journaux et chaînes de télévision. La cible de cette opération éclair était la Corée du Nord, accusée d’avoir mené un piratage informatique contre Sony Pictures Entertainment et ayant incité les studios à annuler la première du film The Interview, et à le retirer de la circulation.
Aucun fait ou élément de preuve n’a été rendu public pour étayer les affirmations de piratage informatique par la Corée du Nord. Ce régime stalinien isolé est certainement hostile au film, une comédie basée sur l’idée que la CIA engage deux journalistes américains (joués par James Franco et Seth Rogen) pour assassiner le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, après que ce dernier ait accepté d’être interviewé par eux.
Mais Pyongyang a vigoureusement nié toute implication dans l’attaque informatique contre Sony, proposa samedi dernier de se joindre au gouvernement américain pour conduire une enquête commune sur les origines de l’attaque et déclara « Que celui qui accuse notre pays d’un crime présente une preuve concrète. » Cette proposition fut rapidement écartée par Washington qui n’a fourni aucune preuve quelle qu’elle soit.
Le FBI a publié un communiqué vendredi dernier déclarant avoir suffisamment d’information pour conclure que la Corée du Nord était responsable de l’attaque cybernétique mais sans donner de précisions. Plus tard dans la journée, lors de sa conférence de presse, le président Obama a rejeté la faute sur la Corée du Nord mais a seulement fait allusion au communiqué du FBI.
Depuis lors, les médias américains, à quelques exceptions près, ont comme d’habitude décrit l’événement comme étant « les premières attaques informatiques d’envergure de nature destructrice parrainées par un Etat sur le sol américain » (New York Times) et « Attaque cybernétique de la Corée du Nord contre Sony Pictures » (Walls Street Journal). La responsabilité de la Corée du Nord dans l’attaque contre Sony circule sur les réseaux de télévision comme un fait incontesté.
La tâche a été laissée au Christian Science Monitor de citer des appels à la prudence de la part d’experts en sécurité de la Silicon Valley, indiquant que la présence d’éléments de langage coréen trouvés dans le code du ‘malware’ (logiciel malveillant) et l’utilisation de serveurs en Chine et à Taïwan n’est pas inhabituel pour des hackers qui saisissent des parties de code de multiples sources, dans plusieurs langues et recourent à des serveurs vulnérables partout où ils se trouvent.
« La rapidité avec laquelle les responsables américains ont identifié l’implication de la Corée du Nord dans le piratage de Sony Pictures Entertainment a surpris bon nombre de spécialistes qui connaissent bien les difficultés pour localiser les origines de cyber attaques, » a rapporté le journal en ligne.
Pyongyang a dénoncé le film de Sony comme étant une provocation commandée par Washington dans le but de déstabiliser le gouvernement de la Corée du Nord, une affirmation qui, comme le WSWS l’avait souligné samedi, est dans une grande mesure exacte.
Dans une interview étonnante accordée au New York Times juste avant le retrait du film de l’affiche, le co-directeur Seth Rogen avait confirmé avoir fait le film en collaboration avec l’appareil militaire et du renseignement. « Tout au long de ce processus, nous sommes entrés en contact avec certaines personnes qui travaillent au gouvernement comme des conseillers et qui, je suis persuadé, font partie de la CIA, » a dit Rogen.
L’affaire Corée du Nord/Sony n’est que le dernier exemple d’un type de provocation utilisé régulièrement par l’impérialisme américain dans le but de manipuler l’opinion publique, soit en faveur de la politique militaire et étrangère américaine, soit comme cela semble probable dans le cas présent, lorsque l’appareil militaire et du renseignement souhaite détourner l’attention du public du démasquage de ses propres crimes (le récent rapport de la Commission du renseignement du Sénat sur le programme de torture de la CIA).
Il y a cinq mois, le gouvernement et les médias américains avaient déclaré d’une seule voix que le gouvernement russe ou les séparatistes qu’il a armé, avaient abattu au-dessus de l’Ukraine le vol MH17 de Malaysia Airlines, tuant 298 personnes. L’affirmation que le président russe Vladimir Poutine était l’auteur moral d’un meurtre de masse servit de base pour une campagne de propagande à plein régime. Mais l’enquête officielle de la catastrophe, menée par les Pays-Bas, pays d’origine de la plupart des victimes, n’a pu trouver la moindre preuve d’une implication de la Russie dans la destruction en vol de l’avion.
Un an auparavant, gouvernement et médias américains avaient mené une campagne identique contre la Syrie, accusant le gouvernement du président Bachar al-Assad d’être responsable d’une attaque au gaz sarin dans la banlieue de Damas contre les forces « rebelles » appuyées par Washington. Le gouvernement Obama avait déclaré qu’Assad avait franchi une « ligne rouge » et ordonné des frappes aériennes contre la Syrie. Il battit finalement en retraite dû à des divisions chez ses alliés, notamment la Grande-Bretagne où le parlement avait voté contre une attaque. Plusieurs mois plus tard, le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh avait découvert des preuves que l’attaque au gaz avait été organisée par les « rebelles » eux-mêmes pour servir de prétexte à une intervention américaine.
Ces méthodes sont employées d’un gouvernement à l’autre: Clinton a recouru à de prétendues atrocités au Kosovo pour avoir un prétexte de bombarder la Serbie en 1999; Bush a utilisé l’ affirmation bidon d’« armes de destruction massive » et de liens avec al Qaïda comme prétexte pour envahir l’Irak en 2003 ; Obama a évoqué des massacres imminents à Benghazi comme prétexte au bombardement de la Libye par les Etats-Unis et l’OTAN en 2011 et à un soulèvement islamiste soutenu par la CIA et qui culmina dans le meurtre de Mouammar Kadhafi.
Un modus operandi bien défini est à l’œuvre ici. Lors de chacune de ces campagnes, le gouvernement américain compte sur les médias américains qui, en bons partenaires tout à fait non critiques, déversent sa propagande sur la population américaine dans le but de la leurrer. La technique consiste à diaboliser les dirigeants des pays ciblés. Kim Jong-un n’est ici que le dernier d’une longue liste allant de Slobodan Milosevic à Saddam Hussein, en passant par Kadhafi, Assad et Poutine.
Un certain nombre de conclusions peuvent être tirées. Personne ne devrait croire un mot de ce qui vient de Washington, véritable cloaque qui génère la provocation et le mensonge officiel, et principal organisateur de la violence militaire dans le monde. Et personne ne devrait croire quoi que ce soit, juste parce que les médias américains le répètent. Il n’est pas de médias plus aveugles et qui relayent avec moins de vergogne les mensonges officiels que ceux des Etats-Unis.
(Article original paru le 22 décembre 2014)