Par Nick Beams
8 décembre 2014
Les prévisions de taux de croissance et d’inflation données par la Banque centrale européenne (BCE) lors de la réunion mensuelle de son instance dirigeante à Francfort, le 4 novembre, indiquent une accélération de la baisse de l’activité économique dans la zone euro.
La BCE a prédit une croissance de tout juste un pourcent en 2015, alors qu’elle prévoyait il y a trois mois encore un taux de 1,6 pourcent. L’inflation sera de 0,7 pour cent l’année prochaine, contrairement à la prévision de 1,1 pourcent annoncée en septembre. Ces chiffres pourraient néanmoins s’avérer à leur tour trop élevés, la caractérisation des risques étant qu’ils sont « baissiers ».
Le taux d’inflation annuel dans la zone euro était de tout juste 0,3 pourcent le mois dernier et on s’attend à ce qu’il tombe encore ce mois-ci, et en 2015, à cause de la baisse des prix du pétrole. Officiellement, la BCE a l’engagement de faire monter l’inflation à 2 pourcent mais rien n’indique que cet objectif sera atteint. La baisse de l’inflation a un impact significatif sur l’économie de la région parce qu’elle augmente le niveau réel de la dette et du paiement des intérêts, malgré une réduction à presque zéro des taux d’intérêts officiels.
Si la zone euro n’est pas entrée en récession, elle en est toute proche. D’après l’indice le plus récent des directeurs d’achat établi par la société de données Markit, qui est un indicateur assez fiable de tendances futures, l’activité économique dans la zone euro était à son niveau le plus bas depuis 18 mois ; l’indice a baissé en octobre de 52,1 à 51,1.
Le trait le plus marquant des données récentes de Markit est que la baisse se concentre dans les économies soi-disant motrices : celle de l’Allemagne qui connaît son pire résultat depuis 17 mois et celle de la France qui se trouve à son plus bas niveau d’activité économique depuis 9 mois.
La préoccupation principale des marchés financiers fut de savoir si la BCE allait bientôt mettre en œuvre un programme généralisé d’‘assouplissement quantitatif’, qui implique l’achat d’obligations d’Etat.
Pour le moment, la BCE n’achète que des titres adossés à des actifs et des obligations sécurisées, pas de la dette souveraine. Ceci est dû pour une bonne part à l’opposition des représentants allemands qui siègent au conseil de la BCE, une opposition qui s’est encore manifestée pendant la réunion du 4 novembre.
Expliquant la politique monétaire de la BCE, son président Mario Draghi a dit que celle-ci « a[vait] l’intention » d’accroître son bilan d’environ mille milliards d’euros, un retour au niveau atteint en 2012, plutôt que de dire qu’elle « envisageait » d’arriver à cet objectif. Cependant, même ce changement minime de formulation a produit des désaccords au sein du Conseil de la BCE, les responsables allemandes et d’autres peut-être s’y opposant.
Pendant sa conférence de presse, Draghi a parlé de « décisions majoritaires » là où il n’y avait pas unanimité. Il tira un coup de semonce en direction de ses opposants qui insistent pour dire que l’achat de dette souveraine outrepasse les pouvoirs de la BCE et pourrait être contesté devant les tribunaux. Draghi a dit que les décideurs politiques n’étaient pas des politiciens et qu’ils devaient s’en tenir à leur mandat qui était de veiller au cours de l’inflation. « Ce qui serait illégal, ce serait de ne pas poursuivre notre mandat, » a-t-il dit.
Draghi a laissé entendre que toutes les mesures avaient été discutées, y compris l’achat de la dette souveraine. Mais il refusa de spécifier à quel moment une décision pourrait être prise, disant simplement que ce serait vers le « début » de l’année prochaine, et suivrait une évaluation de l’impact de la dernière chute des prix du pétrole. Il prit la peine de dire que « le début [de l’année] » ne voulait pas forcément dire la prochaine réunion du Conseil de la BCE, fixée au 22 janvier.
Les marchés financiers commencent à réagir impatiemment aux atermoiements de la BCE. « Il arrivera un moment où ils perdront leur crédibilité, » expliqua Mark Zanda, l’économiste en chef de Moody’s Analytics, au New York Times, « Ils ont encore le temps, mais il est compté, » a-t-il dit. Selon lui, la zone euro était « épuisée et jouait avec la récession. » Elle pourrait éviter la déflation intégrale, mais c’était « serré ».
Le journal cita aussi Nicholas Spiro, le directeur général de Spiro Sovereign Strategy, qui disait: « La capacité de Draghi à maintenir les marchés financiers à flot par ses paroles (et seulement par ses paroles) s’amenuise de jour en jour. »
Spiro avertit de ce que « l’incapacité de la BCE à prendre des mesures significatives pour éviter la menace d’une déflation pourrait devenir le déclencheur d’une dégradation beaucoup plus forte de l’attitude des marchés envers la zone euro. »
En d’autres termes, si les marchés financiers n’obtiennent pas satisfaction et si plus de liquidités ultra bon marché ne sont pas injectées dans le système, ils pourraient provoquer une crise.
Le programme d’‘assouplissement quantitatif’ n’a rien à voir avec une stimulation de l’économie réelle mais est purement destiné au financement de la spéculation en bourse et sur d’autres marchés financiers. Cela fut rendu transparent par les chiffres fournis lors des commentaires de Draghi à la sortie de la réunion.
Il dit que le taux annuel de variation des prêts aux entreprises hors du secteur financier – l’argent utilisé dans le financement de l’activité économique réelle – était en baisse de 1,6 pourcent en octobre, suite à un déclin de 1,8 pourcent en septembre.
Les désaccords entre membres de la zone euro exprimés dans les divergences au sein du Conseil de la BCE sont une indication des tensions se développant dans le monde. Les discours sur la coopération et la collaboration entre les pays qui avaient fleuri immédiatement après la crise financière de 2008 ont bel et bien disparu dans le contexte de la baisse d’activité de l’économie mondiale.
Ces tensions furent exacerbées par la décision la semaine dernière du cartel pétrolier de l’OPEP, mené par L’Arabie saoudite, de ne pas réduire sa production pour stabiliser les prix du pétrole dans le monde, qui ont chuté d’environ 40 pourcent depuis juin.
Cette décision risque de déclencher une crise financière dans un certain nombre de pays, dont le Nigeria, l’Algérie, l’Iran, le Venezuela et, de façon significative, la Russie.
L’impact de la baisse progressive de l’activité économique sur la politique dans le monde fut souligné dans un discours prononcé jeudi 4 décembre par le président russe Vladimir Poutine.
Le rouble a perdu presque 40 pourcent de sa valeur vis-à-vis du dollar depuis le début de l’année. Poutine a promis de sévir contre les spéculateurs et de se battre contre les tentatives des ennemis de la Russie cherchant à mettre celle-ci à genoux.
De peur que les oligarques sur lesquels il s’appuie ne lui retirent leur soutien, le discours de Poutine visait à mobiliser le nationalisme russe contre les efforts faits par les puissances occidentales pour déstabiliser le pays.
« Hitler avec ses idées misanthropes essaya de détruire la Russie et de nous repousser jusqu’à l’Oural. Rappelez-vous juste comment cela s’est terminé, » dit-il. Si l’annexion russe de la Crimée ne s’était pas produite, on aurait trouvé une quelconque autre excuse pour tenir la Russie en échec.
Poutine remarqua que les puissances occidentales ont l’intention de « mettre en oeuvre un scénario yougoslave en Russie.»
La dislocation de la Yougoslavie dans les années 1990, orchestrée par l’Allemagne et les Etats-Unis, fut précédée d’une crise financière créée en grande partie par les actions du Fonds monétaire international.
Le lien direct établi par Poutine entre la crise économique qui s’aggrave en Russie et les évènements de la Deuxième Guerre mondiale est indicatif de l’interrelation entre récession mondiale et tensions géopolitiques. Ces tensions ne peuvent que s’aggraver en raison de la situation économique qui se dégrade en Europe, situation décrite lors de la réunion de la BCE.