Des milliers de partisans du mouvement d’extrême droite Pegida se sont rassemblés une fois de plus lundi 21 décembre pour manifester à Dresde. Selon la police, ils étaient 17.500, 2.500 de plus que la semaine précédente. Alors que dans le même temps des dizaines de milliers de personnes manifestaient dans plusieurs villes contre le chauvinisme et le racisme anti-immigration, des politiciens influents ont annoncé vouloir engager un dialogue avec les extrémistes de droite.
Les Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida) avaient appelé à un rassemblement devant l’Opéra Semper à Dresde pour entonner des chants de Noël. Comme pendant les semaines précédentes, un grand nombre d’extrémistes de droite venus de tout le pays étaient présents munis d’innombrables drapeaux aux couleurs nationales issus de presque chaque Land allemand.
On pouvait y voir des banderoles et des pancartes portant des slogans anti-immigration et racistes. Selon la police, l’atmosphère agressive régnant lors de cette dixième manifestation de Pegida a culminé dans l’attaque d’un contre-manifestant qui fut blessé et emmené à l’hôpital.
Dans d’autres villes où des groupes de partisans de ce mouvement d’extrême droite s’étaient formés, seuls plusieurs centaines s’étaient rassemblés pour protester. A Bonn, la manifestation était organisée entre autres par une ancienne responsable du mouvement fasciste Jeunes nationaux-démocrates (Junge Nationaldemokraten, JN), Melanie Dittmar. A Leipzig, les partisans du parti ultra conservateur Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD), projettent de manifester en janvier.
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue partout en Allemagne pour protester contre la manifestation de Pegida. Rien qu’à Munich, les organisateurs ont estimé à 25.000 le nombre de personnes rassemblées contre le chauvinisme anti-immigration devant le Théâtre national de Bavière. A Dresde il y eut plus de 5.000 contre-manifestants. D’autres manifestations eurent lieu à Kassel, Bonn et Würzburg.
Si ceux qui participaient aux contre-manifestations exprimaient leur véritable inquiétude devant les défilés d’extrême droite, les organisateurs eux, cherchèrent à éviter les questions politiques cruciales et à entraîner les manifestants dans une impasse. Les églises, les représentants de partis et les organisations présents ont fait de la lutte contre la droite une question purement morale et ont décrit l’apparition soudaine de Pegida comme une éruption spontanée.
En fait, la mobilisation de la lie droitière de la société est liée à une campagne délibérée menée par les médias et les politiciens de tous les principaux partis bourgeois. Dès le départ, les protestations ont bénéficié d’une couverture médiatique particulièrement intense et ont été soutenues par des représentants du gouvernement tel le ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière (Union chrétienne-démocrate, CDU). Au cours de la semaine passée, des représentants de tous les partis siégeant au parlement et de nombreux commentateurs ont fait montre de compréhension à l’égard des agissements de la tourbe fasciste en leur proposant de dialoguer avec eux.
Ce n’est pas par hasard que ces manifestations ont été lancées dans la capitale du Land de Saxe. Dans nul autre Land allemand, les liens entre le gouvernement régional et les milieux d’extrême droite sont plus développés qu’en Saxe.
Le cas de figure de Steffen Flath est exemplaire. Ancien président du groupe CDU au parlement régional de Saxe, Flath fut un membre du CDU en Allemagne de l’Est avant la réunification allemande et il fut volontiers le porte-parole de l’organisation chrétienne intégriste ‘Marche pour la vie’, farouchement opposée à l’avortement. Flath entretient également des liens étroits avec le petit groupe ultra-conservateur ‘Action pour stopper la tendance de gauche’ qui s’oppose à ce qu’il appelle l’« islamisation rampante » de l’Allemagne.
Sa section en Saxe s’était fait remarquer pour ses rapports avec le site web d’extrême droite anti-musulman politically incorrect qui appelle désormais à manifester avec Pegida.
L’ancien ministre de la Justice de Saxe, Steffen Heitmann (CDU), avait déjà fait part dans les années 1990 de sa « grande préoccupation pour notre société occidentale. » Conformément aux slogans de Pegida, il avait déclaré, « L’énorme quantité d’étrangers met en péril par endroit le droit des Allemands à sauvegarder leur identité. »
Le groupe terroriste d’extrême droite NSU (Groupe clandestin national-socialiste) fut pendant des années en mesure de mener une vie clandestine dans la ville de Zwickau en Saxe grâce à un vaste réseau de soutien. De nombreux éléments de preuve indiquent que ce réseau était en grande partie constitué par des agents du renseignement et des fonctionnaires de la police.
Des actes de violence criminels commis en Saxe par les extrémistes de droite sont systématiquement classés comme des rixes non politiques. Lorsque, dans la petite ville de Mügeln, des extrémistes de droite avaient poursuivi un groupe de personnes originaires de l’Inde aux cris de « étrangers dehors! » et s’en étaient pris à lui, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Albrecht Buttolo, avait parlé d’une « bousculade qui a dégénéré ». Bien que des « slogans d’extrême droite » aient été scandés, cela ne voulait pas dire que le délit eût des motifs d’extrême droite.
En revanche, la justice prend des mesures impitoyables envers toux ceux qui s’opposent aux extrémistes de droite. Lorsque des milliers de gens avaient manifesté le 13 février 2012 contre une marche nazie, la police s’en était prise violemment à ses participants. Le procureur général avait alors engagé des poursuites contre les manifestants antinazis.
Au même titre qu’une grande partie du CDU, l’AfD soutient également les manifestations. La présidente de l’AfD en Saxe, Frauke Petry, a annoncé la tenue en janvier d’une réunion avec les dirigeants de Pegida. « D’autres parlent de Pegida, nous, nous leur parlons, » a dit Petry. « Ce sera une première réunion pour comprendre ce que ces gens veulent et un échange de vues sans condition aucune. »
Alexander Gauland, le dirigeant du groupe de l’AfD au parlement régional du Brandebourg, fut le premier politicien de haut rang à participer la semaine passée aux manifestations de Pegida à Dresde. L’ancien politicien CDU a qualifié les principales revendications de Pegida de « choses auxquelles on pouvait souscrire sans autre forme de procès. »
La participation de Gauland, qui était escorté par une horde de journalistes, à la manifestation, montre clairement ce qu’est le mouvement de Pegida. Les couches les plus arriérées doivent être mobilisées pour imposer, contre l’opposition des travailleurs, la nouvelle politique étrangère agressive de l’Allemagne et l’attaque des conditions sociales.
Plus que nul autre Gauland préconise cette approche. Il y a deux ans, dans un article paru dans le journal berlinois Tagesspiegel, il avait attesté que les Allemands étaient en « mauvais termes avec la force militaire » et qu’ils souffraient d’un « manque de considération pour l’armée allemande. » Le « pacifisme intégral » devait être abandonné en faveur d’une participation aux interventions militaires contre la Libye et la Syrie, a-t-il soutenu. A l’instar de Bismarck, il a déclaré que les questions décisives du moment seraient résolues par « le sang et le fer. »
C’est ce programme qui doit à présent être appliqué avec l’aide de Pegida. Gauland sert en cela d’intermédiaire entre les extrémistes ouvertement de droite et le CDU. Il était, à ses débuts, bien introduit dans les milieux ultra-conservateurs du CDU de Hesse sous Alfred Dregger et il entretient d’étroits liens avec ses anciens amis du parti.
A la fin des années 1980, l’actuel ministre-président du Land de Hesse, Volker Bouffier, fut secrétaire d’Etat en même temps que Gauland dans le gouvernement régional de Hesse sous Walter Wallmann (CDU). Actuellement, Bouffier dit que les manifestants de Pegida ne doivent pas être « qualifiés d’extrémistes. » Au contraire, ils doivent être « pris au sérieux » et qu’il faut leur parler.
Cependant, le fait de minimiser et de se rapprocher de Pegida n’est pas limité à l’aile droite du CDU. Dans la mesure où tous les partis ont été impliqués dans la résurgence du militarisme allemand, ils sont en train de s’ouvrir à la tourbe droitière dans le but de faire imposer cette politique de force.
Le maire du quartier berlinois de Neuköln, Heinz Buschkovsky, a défendu Pegida en critiquant les contre-manifestants. Il était tout à fait normal que les gens aient peur des étrangers et la politique officielle devait prendre en compte ces craintes et ces inquiétudes, a dit ce politicien social-démocrate.
Le premier ministre-président du parti La Gauche (Die Linke), Bodo Ramelow, s’est également prononcé en faveur d’un dialogue avec les manifestants de Pegida qui étaient motivés par le fait que les immigrants leur volaient leurs emplois. Il fallait expliquer que de telles craintes ne sont pas fondées, a dit Ramelow.
Le soutien accordé à Pegida par les médias et les politiciens est directement lié à la résurgence d’une politique étrangère agressive et du militarisme en Allemagne. Comme c’était le cas dans les années 1930, une fois de plus les préparatifs de guerre s’accompagnent d’une propagation délibérée du nationalisme et du racisme et du développement d’organisations d’extrême-droite.
(Article original paru le 27 décembre 2014)