Une crise importante a fait irruption dans le Parti Wikileaks (WikiLeaks Party, WLP), établit il y a quelques mois par le journaliste et activiste Julian Assange. Le mois dernier, quatre des onze membres du Conseil national du parti ont démissionné avec de nombreux autres activistes, ainsi que Leslie Cannold, la deuxième candidate du parti au Sénat pour Victoria. Si Assange, le premier candidat pour Victoria, avait gagné une place au Sénat, mais sans pouvoir quitter l'ambassade équatorienne à Londres, Cannold aurait pris sa place.
Les troubles à l'intérieur du WLP offrent une leçon salutaire de politique de classes.
Au mois de mai dernier, le Socialist Equality Party (SEP) a expliqué que son appui de longue date pour les révélations d'Assange à travers WikiLeaks qui ont exposé les crimes de l'impérialisme américain, et son opposition aux manigances de Washington et de ses alliés visant à jeter Assange en prison aux États-Unis ou en Suède, ne l’obligent pas pour autant à appuyer le WLP ou sa campagne pour le Sénat.
Dans son commentaire, le SEP a déclaré: «Une politique socialiste fondée sur des principes ne se base pas sur des questions de personnes mais sur les intérêts de la classe ouvrière. Nous évaluons les partis et les candidats qui les représentent en nous appuyant sur leur histoire politique, leur programme et leur orientation de classe. En suivant ces critères, un soutien politique ne peut pas être apporté par le SEP au WLP formé autour de la personne d'Assange. Dans la mesure où le WLP a tenté de formuler ses revendications programmatiques, celles-ci restent dans le cadre de la politique parlementaire réformiste bourgeoise...
«La politique d'Assange est une combinaison éclectique d'idées libertaires et de réformisme. Aussi sincères que soient ses intentions, les alliances politiques nouées par Assange sont des plus diverses et montrent un homme dont les décisions sont influencées par l'impressionnisme, la naïveté et un opportunisme à courte vue… Quant à la structure du WLP, les responsables et les membres du nouveau parti comprennent un mélange très hétérogène de libéraux mécontents, de libertaires ainsi que de divers courants issus de la politique de pression des classes moyennes.»
Cette formation disparate a maintenant éclaté à la veille de l'élection du 7 septembre.
Le déclencheur immédiat de cette crise fut la publication des préférences du parti au Sénat. Sous le système électoral antidémocratique australien, conçu pour renforcer le système bipartite capitaliste, les électeurs doivent classer tous les partis sur le bulletin de vote selon un ordre de préférence. Par contre, pour le Sénat, les électeurs ne peuvent qu’indiquer «1» pour le parti de leur choix, lequel détermine ensuite ses préférences. Beaucoup de petits partis cherchent à exploiter ce système pour atteindre le vote de 14 pour cent requis pour un siège au Sénat à travers «des ententes de préférence» sordides entre eux et avec les grands partis (Parti travailliste, Parti libéral national et les Verts), dans des tractations cherchant à bloquer les rivaux potentiels et fortifier leurs propres positions.
Le WLP en New South Wales (NSW) est justement entré dans ce genre de négociations de préférences avec différents partis chrétiens fondamentalistes de droite, ainsi que d'autres partis tels que le Sex Party, un groupe de façade pour l'industrie pornographique. Le WLP a accordé sa préférence à ces partis, et au parti fasciste Australia First, avant d'autres, incluant les Verts. En Western Australia (WA), les préférences du WLP ont été dirigées vers le parti conservateur rural National Party. Ces décisions ont provoqué de la colère de la part des éléments à l'intérieur et autour de WLP qui proviennent du même milieu que les Verts.
Pour ce milieu de classe moyenne affluent, le fait de ne pas diriger ses préférences vers les Verts, un parti bourgeois qui a conservé le gouvernement travailliste de droite minoritaire au pouvoir pendant trois ans, revenait à une trahison politique. Plusieurs parmi ceux qui ont quitté le parti ont exhorté les électeurs à voter pour les Verts dans WA et NSW plutôt que pour le WLP.
D'autres à l'intérieur du WLP ont perçu les manœuvres de préférences comme une grave erreur tactique qui pourrait empêcher Assange et d'autres candidats, y compris eux-mêmes, d'entrer au Parlement.
L’un des membres démissionnaires du Conseil national, Dan Matthews, un ami et collègue d'Assange de longue date, a publié une déclaration expliquant qu'il s'était opposé à faire des ententes de préférence avec d'autres partis. «Nous ne projetions pas une image particulièrement idéologique et ainsi n'aliénions ni gauche ni droite», dit-il. «Nous pouvions nous attendre possiblement à un soutien relativement élevé, surtout de la part des Verts, des partis de gauche et libertaires, et peut-être même aussi d'autres partis. Si nous jouions bien nos cartes, nous pouvions peut-être atteindre un résultat historique comme le Movimento Cinque Stelle [le parti de protestation Cinq Étoiles] en Italie.»
En d'autres mots, Matthews était tout aussi préoccupé par la victoire de sièges que le reste du Conseil national. Il croyait par contre que la meilleure tactique pour maintenir la crédibilité du parti en tant que groupe apparement anti-establishment au sein de couches importantes de la population, les jeunes en particulier, était de garder une position distincte des autres partis. Sa référence à l'élection italienne de février 2013 est révélatrice. Le parti Cinq Étoiles, mené par le riche humoriste bien en vue Beppe Grillo, a gagné 25 pour cent du vote en dénonçant la corruption des partis bourgeois principaux, de «gauche» et de droite, tout en dissimulant ses propres politiques. Peu après l'élection, le programme politique de Grillo est devenu évident dans sa promotion d'austérité, de coupes budgétaires et de mesures de restructuration pro-patronales.
L'approche de Matthews a été rejetée par Assange, ainsi que par John Shipton, le père d'Assange et le secrétaire du WLP, et le directeur de campagne du parti, Greg Barns, un ex-conseiller du gouvernement conservateur de Howard. Comme Matthews expliqua: «Ils pensaient que c'était le seul moyen de gagner [les ententes de préférence], et ils étaient prêts à faire des ententes avec ces partis.»
La dispute tactique sur le marchandage des préférences prenait place tandis qu’Assange s’adressait de plus en plus ouvertement à des éléments des milieux dirigeants de l'élite australienne. Il a promu le WLP comme étant une version ressuscitée des démocrates australiens, un parti au Sénat, soi-disant libéral, qui a été anéanti après son vote pour la taxe régressive sur les produits et services (TPS) de l'ancien gouvernement Howard en 1999.
Le WLP n'a pas su produire un manifeste politique ou un programme. Au lieu de cela, Assange a rédigé une version révisée de la promesse des démocrates de s'assurer que «les salauds restent honnêtes», promettant d'être un parti de surveillance pour s'assurer que les politiques ne soit pas basées sur des informations «fausses, mal présentées, ou inadéquates». Une telle position signifie simplement un consentement aux politiques pro-patronales des partis de l'establishment. Voilà le vrai contenu politique de l'affirmation d'Assange selon laquelle son parti ne serait ni de gauche ou de droite.
Là où le WLP a formulé des positions, on constate sans surprise qu'elles sont en accord avec celles des grands partis.
Sur la question des réfugiés, par exemple, Assange a défendu le fameux «traitement au large des côtes des demandeurs d'asile», en d'autres mots, déporter les demandeurs d'asile dans des pays appauvris du Pacifique et les y emprisonner pendant que leur demande est considérée, ce qui représente un mépris total pour le droit international et les droits démocratiques des demandeurs d'asile. En ce qui concerne la question de l'assaut militaire imminent des États-Unis sur la Syrie, le parti a fait une déclaration la semaine dernière selon laquelle il ne s'opposait pas à la participation de l'Australie dans cette guerre impérialiste criminelle. Il a simplement insisté sur la «transparence et la prise de responsabilités»: soit que la guerre soit ratifiée par le premier ministre et le Parlement, que de meilleures preuves soient amenées que celles utilisées pour «tromper l'Australie à participer à la guerre en Irak» et qu'on garantisse que toute intervention militaire serve les «intérêts australiens». En d'autres mots, le WLP appuiera une autre intervention américaine illégale tant qu'elle sert les intérêts prédateurs de l'impérialisme australien.
Ceux qui ont été attirés par le Parti Wikileaks, en particulier des jeunes et des étudiants, à travers les révélations de Wikileaks concernant les crimes de guerre et complots diplomatiques américains doivent tirer les conclusions politiques qui s'imposent.
Léon Trotsky expliqua que la signifiance d'un parti politique se trouvait dans son programme. En ce sens, le WLP, qui n'a pas de base programmatique claire, n'est pas du tout un parti politique. Il est plutôt un appareil électoral construit autour de la personnalité de Julian Assange, et qui a attiré plusieurs éléments disparates dont la préoccupation principale est d'obtenir les privilèges qui viennent avec un siège parlementaire. Peu importe les intentions individuelles, de telles organisations sont inévitablement déchirées quand les contradictions dans leur fondation sont exposées par les événements politiques.
La force politique du SEP provient de son programme socialiste révolutionnaire qui reflète les intérêts historiques de la classe ouvrière et qui est enraciné dans les expériences stratégiques clés de la classe ouvrière internationale du siècle passé. Il procure la seule base viable pour s'opposer à la guerre impérialiste, défendre les droits démocratiques, et vaincre la contre-révolution sociale menée par le capital financier et ses représentants politiques.
(Article original paru le 29 août 2013)