Les élections allemandes de dimanche dernier présentent de nombreuses spécificités. Le Parti libéral démocrate (FDP), qui a siégé de façon ininterrompue au Bundestag (parlement), qui a été depuis 1949 impliqué dans le gouvernement plus longtemps qu'aucun autre parti, qui représente de façon la plus flagrante les intérêts du capital financier, n’a pas réussi à franchir le seuil de cinq pour cent requis pour entrer au parlement.
Le nouveau parti anti-euro « Alternative pour l’Allemagne » (Alternative für Deutschland, AfD) qui a été fondé il y a à peine quelques mois, a pratiquement été crédité d’autant de voix que le FDP, et a manqué de peu son entrée au Bundestag.
Le plus frappant a cependant été la victoire de la chancelière Angela Merkel et de son parti l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Ce parti, dont les mesures d’austérité brutales ont été à l’origine de violentes protestations et de manifestations dans de nombreux pays, a réussi à recueillir, avec son parti frère bavarois l’Union chrétienne sociale (CSU), près de 48 pour cent des voix.
En revanche, les partis qui s’étaient présentés comme une opposition soi-disant de gauche ont été punis par les électeurs. Les Verts et La Gauche [Die Linke, homologue allemand du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon en France] ont perdu un nombre considérable de voix, le Parti social-démocrate allemand (SPD) a recueilli 25,7 pour cent des voix, ce qui, en dépit d’un gain minimal, a été son deuxième plus mauvais résultat électoral d’après-guerre. La raison n’est pas difficile à comprendre : le SPD, les Verts et Die Linke ne sont ni de gauche ni une opposition.
Le SPD est un parti de l’appareil d’Etat et de la bureaucratie syndicale qui a perdu tout contact avec la population qu’il affronte avec arrogance et dédain. C’est ainsi qu’il a été perçu durant la campagne électorale. Il a accusé Merkel de n’avoir pas eu le courage d’imposer à la population allemande les coupes sociales qu’elle a imposées à la Grèce, à l’Espagne et au Portugal. Il a choisi pour être son candidat au poste de chancelier fédéral Peer Steinbrück, un responsable ministériel de droite, quelqu’un qui incarne la rigidité et l’agressivité de l’appareil d’Etat.
Lorsque, au cours de la campagne électorale, l’ancien ministre de l’Intérieur SPD, Otto Schily, a attaqué et qualifié de paranoïaques les critiques de la surveillance opérée par les services secrets, ajoutant que l’ordre public a toujours été une valeur de la sociale-démocratie, il exprimait en réalité la quintessence du programme du SPD.
Au fur et à mesure que la défaite du SPD devenait inéluctable, Steinbrück a attaqué son propre parti. Il a dit qu’il aurait souhaité que le SPD ait eu davantage de confiance et de cohérence pour représenter les « grands accomplissements » [la politique de l’Agenda 2010] de l’ère SPD-Verts, notamment ses « réformes » anti-classe ouvrière en matière de protection sociale et du marché du travail.
Durant la campagne électorale, les Verts sont apparus comme l’incarnation de l’opportunisme politique. Ces anciens pacifistes sont actuellement parmi les plus fervents défenseurs des guerres « humanitaires » et d’une discipline budgétaire stricte. Les rangs du parti se composent principalement d’universitaires et de hauts responsables de l’Etat, qui exigent que davantage d’influence politique soit accordée à l’élite intellectuelle.
Les responsables hiérarchiques du parti ont réagi à la perte de voix par un nouveau virage à droite, attaquant leur proposition relative à une augmentation de l’impôt pour les riches comme ayant été leur plus grosse erreur. Leur candidat tête de file Jürgen Trittin et le dirigeant du parti, Cem Özdemir, ont rendu hommage à la chancelière Merkel en soulignant leur volonté de former une coalition gouvernementale avec la CDU/CSU.
Le rôle le plus hypocrite a été joué lors de la campagne électorale par le parti Die Linke. Il n’a jamais cessé de proposer au SPD et aux Verts sa coopération et son soutien. Le dirigeant du parti, Gregor Gysi, a dit que pour le SPD et les Verts la meilleure façon de parvenir à appliquer leur politique était en alliance avec Die Linke, démasquant ainsi l’hypocrisie du discours de Die Linke concernant l'amélioration des conditions sociales.
Steinbrück et Trittin se sont tous deux inclinés devant les exigences des médias et des fédérations patronales en faveur de « davantage de courage pour prendre des mesures impopulaires » et ils ont été soutenus par Die Linke. Dans ces conditions, Angela Merkel a pu se présenter comme politicienne raisonnable qui « dirige [le pays] avec prudence et fermeté» tout comme elle l’a fait remarquer le soir de l’élection.
En d’autres termes, la victoire électorale de Merkel est avant tout la conséquence de la faillite politique totale du SPD, de Die Linke et des Verts.
La politique droitière du SPD, des Verts et de Die Linke a été tout particulièrement évidente en matière de politique étrangère. Ce ne sera pas la première fois que dans la politique allemande un virage à droite brutal a été initié sur les questions de politique internationale.
Depuis quelque temps, le gouvernement américain revendique une participation plus grande de l’Allemagne dans les guerres au Moyen-Orient, en se plaignant que la chancelière Merkel accorde trop d’attention au sentiment anti-guerre qui règne au sein de la population allemande. Cette exigence a rencontré du soutien de la part des organes de presse proches du SPD et des Verts comme les journaux Die Zeit et taz. Lorsque le président Obama a menacé de bombarder la Syrie, ils ont réagi, fait sans précédent, en noircissant des pages de propagande de guerre.
Ils ont tourné en dérision les hésitations et la réticence du gouvernement Merkel. Le rédacteur en chef de Die Zeit, Josef Joffe, a dénoncé la « mini-guerre » d’Obama en demandant une offensive militaire massive « de durée indéterminée. »
Si Merkel, qui a besoin d’un nouveau partenaire de coalition après le départ du FDP, accepte de former un gouvernement de coalition avec le SPD, ce serait le signe manifeste d’une attitude militariste plus agressive de la part de l’Allemagne. Le SPD, qui aux côtés des Verts, avaient ordonné il y a quinze ans la première intervention militaire internationale de l’armée allemande, la Bundeswehr, contre la Yougoslavie, a la froideur impitoyable et l’arrogance bureaucratique nécessaires pour défier la profonde opposition populaire à la guerre.
Le programme du prochain gouvernement sera déterminé en premier lieu par les tensions internationales grandissantes et ensuite par l’aggravation rapide de la crise économique mondiale. D’ores et déjà, les associations patronales exigent, au nom de la compétitivité internationale, des coupes massives dans les services sociaux.
Jusqu'ici, le gouvernement avait en partie relégué la crise économique sur l’Europe méridionale. A partir de maintenant il cherchera à promouvoir la contre-révolution sociale sur le plan intérieur. Les indemnités de maladie, la protection juridique en cas de licenciement, les congés de maternité, l’aide sociale obligatoire, etc, des mesures qui ont déjà été sapées par les bas salaires et l’emploi précaire en Allemagne, vont à présent être abolis.
Il n’existe aucun parti dans tout le spectre politique officiel qui exprime, ne serait-ce que de manière sommaire, les intérêts des travailleurs. De manière tout à fait paradoxale, les résultats électoraux reflètent l’extrême polarisation de la société. Ils mettent en évidence le fait que le système politique a perdu toute capacité d’exprimer l’opposition grandissante à l’inégalité sociale et à la guerre.
Les médias célèbrent Merkel comme étant un génie politique et le grand nombre de voix obtenus par la CDU/CSU comme étant le commencement de « l’ère du merkelisme », aux dires du Süddeutsche Zeitung. Mais, ce qui superficiellement ressemble à de la stabilité est en vérité la conséquence d’une profonde aliénation entre le système politique et la population, et annonce une période d’instabilité politique et de violents conflits sociaux.
La classe ouvrière doit se préparer à réagir à des attaques massives.
Telle est la signification politique de la participation aux élections du Partei für Soziale Gleichheit (PSG, Parti de l’Egalité sociale). Le PSG a été l’unique parti à traiter des problèmes fondamentaux de la classe ouvrière. Il a souligné que l'on ne peut résoudre aucun problème social sans une rupture avec la dictature des banques, et que ceci requiert un mouvement indépendant de la classe ouvrière, c’est-à-dire une rupture politique avec Die Linke et les syndicats.
Ceci requiert la construction du PSG, section allemande de la Quatrième Internationale, en tant que nouveau parti ouvrier fondé sur les leçons politiques des luttes des classes passées, ainsi que sur un programme socialiste international.
(Article original paru le 24 septembre 2013)