La France rend public un bref rapport sur la guerre en Syrie, fondé sur des mensonges

Les services secrets français ont rendu public hier un bref rapport de huit pages sur la guerre en Syrie au moment où le premier ministre PS (Parti socialiste), Jean-Marc Ayrault, exhortait les dirigeants des partis d’opposition de droite français à soutenir la politique belliciste du président François Hollande.

Le bref rapport de Hollande est une compilation de mensonges d’ores et déjà discrédités, de raisonnements fallacieux et d’affirmations infondées. Un examen du rapport montre clairement que les accusations émises par Hollande contre le régime syrien manquent tout autant de preuves que ceux du premier ministre britannique, David Cameron, qui a subi un échec humiliant en tentant d’obtenir la semaine passée l’approbation du parlement pour la guerre en Syrie.

L’affirmation centrale du document est que le président syrien Bachar al-Assad a employé des armes chimiques « notamment du sarin, dans des attaques limitées contre sa propre population, en particulier au mois d'avril 2013. L’analyse des renseignements dont nous disposons aujourd’hui conduit à estimer que, le 21 août 2013, le régime syrien a lancé une attaque sur certains quartiers de la banlieue de Damas tenus par les unités de l’opposition, associant moyens conventionnels et usage massif d’agents chimiques. »

Le premier mensonge selon lequel les forces du régime Assad ont utilisé en avril des armes chimiques dans les villes de Saraqeb et Jobar a déjà été réfuté par l’inspectrice de l’ONU, Carla del Ponte. En mai, elle avait déclaré sur la base d’enquêtes faites par l’ONU sur le terrain en Syrie, que l’opposition soutenue par les Etats-Unis était responsable du recours aux armes chimiques. (Voir : « UN says US-backed opposition, not Syrian regime, used poison gas. » De leur côté, les autorités turques ont constaté que les combattants de l’opposition syrienne en Turquie possédaient des quantités de gaz sarin.

Le rapport français ne mentionne ni ne tente de réfuter ces observations mais dissimule simplement les preuves que les forces liées à al Qaïda qui se trouvent parmi ses propres forces intermédiaires sont responsables des attaques aux armes chimiques, tant en avril qu’en août.

Après avoir consacré quatre pages aux détails concernant la composition et la structure du commandement des forces syriennes disposant d’armes chimiques, ce qui ne prouve en rien qu’Assad ait effectivement utilisé ces armes, le court rapport se penche sur la présumée attaque du 21 août à Ghouta. En citant « 47 vidéos originales » et « d’autres évaluations indépendantes, par exemple effectuées par Médecins sans frontières, » il conclut que les comptes rendus des événements de Ghouta concordaient avec l’attaque chimique syrienne. Le rapport fait état de « renseignements crédibles de plusieurs partenaires » que les armes chimiques faisaient partie d’un plan d’attaque du régime syrien.

Il conclut en précisant, « Aucun groupe appartenant à l’insurrection syrienne ne détient, à ce stade, la capacité de stocker et d’utiliser ces agents, a fortiori dans une proportion similaire à celle employée dans la nuit du 21 août 2013 à Damas. »

Aucune de ces affirmations n’a de crédibilité. Premièrement, le rapport a été publié après que les premiers reportages sont apparus sur des forces d’opposition revendiquant la responsabilité pour des attaques chimiques en août à Damas, reportages que, une fois de plus, le rapport ne mentionne pas (Voir : « Un reportage associe l’attaque au gaz à Ghouta à l’opposition syrienne qui est soutenue par les Etats-Unis »). Le rapport ne fournit pas non plus d’information sur les sources des vidéos ni sur les « partenaires » qui lui ont procuré les renseignements.

Ces « partenaires » pourraient être la CIA, le régime saoudien ou des forces liées à al Qaïda en Syrie – tous ont un intérêt direct à provoquer une guerre avec la Syrie et des antécédents en matière de mensonges concernant des événements majeurs.

Quant à l’organisation Médecins sans frontières, on peut difficilement dire que c'est une source « indépendante ». Elle a une longue tradition de liens avec les services secrets américains – notamment durant les années 1980, lorsqu’elle s’est servie de fonds américains pour aider à promouvoir les mujahedin afghans qui combattaient l’URSS en collaboration avec les précurseurs d’al Qaïda. Son ancien président, Rony Brauman, qui siège encore au conseil de surveillance de l’organisation, a dernièrement consacré une rubrique parue dans Le Monde pour réclamer des frappes aériennes contre la Syrie.

Les comptes rendus relatifs à la réunion des politiciens de droite qui ont rencontré hier Ayrault ont encore souligné le fait que la campagne pour la guerre menée par Paris contre son ancienne colonie est fondée sur des mensonges et des histoires montées de toutes pièces.

Après avoir eu connaissance, lors de sa réunion avec Ayrault, des informations classifiées, l’ancien ministre de droite Jean-Louis Borloo a dit, en décrivant l’argumentation du gouvernement en faveur de la guerre : « Il y a raisonnement mais pas de preuves. » Après avoir reconnu par un euphémisme que le gouvernement Hollande ne disposait de rien pour justifier une guerre, Borloo a cherché à trouver un moyen pour sauver la politique belliqueuse de Hollande en proposant « soit un mandat de l’ONU, soit un débat parlementaire » afin de légitimer une agression impérialiste contre la Syrie.

La campagne belliciste du PS témoigne de la faillite de l’ensemble de l’establishment politique. Non seulement le gouvernement Hollande mais aussi les groupes réactionnaires petit-bourgeois de « gauche » comme le Front de Gauche et le Nouveau Parti anticapitaliste sont impliqués dans des crimes monstrueux. Ces partis avaient soutenu l’élection de Hollande et oeuvrent pour présenter les forces d’opposition syriennes qui collaborent avec la CIA et les services de renseignement français, comme faisant partie intégrante d’une « révolution ». (Voir : « Gilbert Achcar cherche à dissimuler son soutien pour les guerres au Moyen-Orient“).

Ces partis ont soutenu une guerre impérialiste par procuration en Syrie et qui menace actuellement de s'intensifier en une intervention directe franco-américaine et une guerre régionale bien plus vaste. Une telle guerre, comme les guerres en Afghanistan ou en Irak plus tôt, coûterait la vie à des centaines de milliers voire des millions de personnes. La campagne en faveur de la guerre a été menée au mépris d’une vaste opposition de la population. Des sondages ont révélé lundi que 64 pour cent de la population française étaient opposés à la guerre, soit une augmentation de cinq pour cent par rapport à jeudi.

Ayrault a indiqué hier soir que le parlement français ne voterait pas sur la guerre lors de sa séance de mercredi 4 septembre. Il a dit, « c’est au président de décider si un vote… doit avoir lieu… Mercredi, il y aura un débat sans vote. »

Ceci reflète en partie la crainte d’une possible répétition de l’échec retentissant que Cameron a subi au parlement britannique. Il y a aussi la préoccupation de savoir ce qui se passera au congrès américain. La volte-face d’Obama pour rechercher une autorisation du congrès pour la guerre, après le débat parlementaire français prévu, a pris Paris à l’improviste. La France n’a pas la capacité militaire pour attaquer seule la Syrie.

Les commentaires de la presse ont amèrement décrit Hollande comme ayant été « piégé » par Obama, et Le Républicain Lorrain l’a qualifié de « cocu magnifique » dont les projets de guerre ont été éconduits par son partenaire américain.

Mais le gouvernement Hollande est pour le moment en mesure de contourner un vote du parlement en vertu des dispositions antidémocratiques de la constitution française de 1958 qui octroie au président des pouvoirs exceptionnels en matière de politique étrangère. Elle avait été modelée durant la guerre d’Algérie pour Charles de Gaulle qui avait pris le pouvoir dans le contexte d'un putsch de parachutistes et d’agents des services secrets visant à mettre en place un gouvernement engagé à écraser la lutte pour l’indépendance du peuple algérien. Elle stipule que le président français peut lancer une guerre durant quatre mois sans l’autorisation du parlement.

Actuellement, la guerre syrienne témoigne du fossé grandissant et de l’aggravation des tensions sociales entre la classe ouvrière et l’ensemble de l’establishment politique. Cinquante-cinq ans après le putsch de 1958, les services secrets ont modelé un dossier mensonger en vue d'une guerre dans une autre ancienne colonie française, cette fois-ci avec l’aide directe des partis de pseudo-gauche. Ces forces sont unies dans leur soutien à une agression impérialiste à l’étranger et dans leur hostilité à l’égard du sentiment anti-guerre qui existe au sein de la classe ouvrière dans le pays même.

A voir aussi:

Le Monde fait de la propagande pro-guerre sur les armes chimiques en Syrie

[5 juin 2013]

(Article original paru le 3 septembre 2013)

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