Le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et du Fonds de solidarité, Michel Arsenault, a annoncé sa démission au milieu des scandales de corruption divulgués dans la foulée de la Commission d’enquête sur l’industrie de la construction. Arsenault, qui dirigeait la FTQ depuis 2007, met fin à une carrière de quarante ans au sein de la bureaucratie syndicale marquée par une collaboration étroite avec le patronat et le gouvernement dans l’assaut sur la classe ouvrière.
Arsenault incarne le bureaucrate syndical typique, prosterné devant la classe dirigeante puis dévoué à enrichir les hommes d’affaires québécois à travers les activités du Fonds de solidarité FTQ et par le blocage de toute résistance ouvrière. En annonçant sa démission, Arsenault a dit «quitter avec le sentiment du devoir accompli».
La démission d’Arsenault a été soudaine. À peine quelques jours avant son annonce, Arsenault était officiellement l’unique candidat à la présidence de la FTQ, prêt à solliciter un nouveau mandat au 30e congrès prenant place à Québec cette semaine. Pour justifier son départ, Arsenault a cité «mon âge, des raisons familiales et la pression médiatique sur ma famille». Toutefois, la direction d’Arsenault était de plus en plus contestée au sein de la FTQ depuis les plus récentes révélations devant la Commission d’enquête et dans les médias.
Les derniers témoignages ont démontré que Michel Arsenault était au courant des liens qu’entretenait l’ancien directeur général de la FTQ-construction, Jocelyn Dupuis, avec le crime organisé ainsi que ses factures personnelles astronomiques payées par le syndicat. (À ce sujet, lire : La commission Charbonneau dévoile des liens incestueux entre syndicats et patrons)
Plus importante encore est l’existence de plus en plus évidente au sein du Fonds de solidarité – le bras financier de la FTQ – d’un système de traitement préférentiel ou «fast track», donnant à certaines compagnies un accès privilégié au financement du Fonds FTQ.
Il est aussi connu que le Fonds a investi des millions de dollars dans la firme du richissime homme d’affaires Tony Accurso, actuellement au centre de scandales de fraudes et de corruption dans le secteur de la construction. En 2008, Michel Arsenault aurait reçu d’Accurso un cadeau provenant de la très chic bijouterie Birks d’une valeur de 12.000 dollars, en plus d’avoir été invité sur son yacht privé en 2009 aux côtés d’autres personnalités du monde politique et syndical.
À peine quelques jours avant la démission d’Arsenault, le quotidien La Presse a laissé planer des doutes de relations de copinage dans un reportage faisant état que le chef syndical a participé à deux reprises, en 2008 et 2009, à des rencontres privées avec la chef du Parti québécois alors dans l'opposition, Pauline Marois. À la même époque, le Fonds investissait près de 3 millions de dollars dans une entreprise que dirigeait le mari de Marois, Claude Blanchet. Blanchet a, par ailleurs, été le premier président du Fonds de solidarité de 1983, année de sa création, jusqu’en 1997.
Marois a nié toute malversation, affirmant qu’un chef de parti politique était appelé à rencontrer des gens de tous les horizons. Il ne fait aucun doute qu’Arsenault, en tant que président de la FTQ et du Fonds de solidarité accorde une grande importance à ses rencontres régulières avec les dirigeants des grandes entreprises et les représentants politiques de la bourgeoisie.
La «criminalité» au sein des hautes sphères syndicales est utilisée par les médias et les sections les plus à droite de l’élite dans leur tentative de réduire le poids économique et politique de la bureaucratie syndicale. Ce qui dérange particulièrement ces éléments est le contrôle par les hauts dirigeants de la FTQ du Fonds de solidarité, avec des actifs de plus de 9 milliards de dollars et des investissements dans plus de 2000 entreprises. Cela dit, la véritable cible de cette campagne, qui est entamée depuis plusieurs années déjà, est la classe ouvrière.
Au-delà de la corruption et de la criminalité des syndicats, toutefois, les récentes révélations viennent mettre sous les projecteurs les liens incestueux et profonds existant entre la bureaucratie syndicale et l’élite dirigeante. Comme on a pu le voir au Canada et internationalement, les syndicats québécois ont répondu à la fin du boum d’après-guerre en se tournant vers la droite, imposant les diminutions de salaire, l’augmentation des cadences et les coupes dans les emplois au nom de la défense de la compétitivité du Québec. Au même moment, les bureaucrates syndicaux se sont de plus en plus intégrés dans la gestion des entreprises et ont collaboré à des organismes tripartites.
En vertu de cette politique, les syndicats québécois ont défendu le programme des coupes massives dans les dépenses sociales imposé par le gouvernement péquiste dirigé à cette époque par Lucien Bouchard au nom du déficit zéro.
Le Fonds de solidarité n’est qu’une particularité québécoise de cette transformation universelle des appareils syndicaux d’organismes de défense des travailleurs en auxiliaires du patronat. Le développement de fonds d’investissement a donné à la bureaucratie la possibilité de développer des sources de revenus complètement étrangères et fondamentalement opposées aux intérêts des travailleurs.
En tant que dirigeant du plus important syndicat du Québec, Arsenault a, depuis 2007, joué un rôle clé pour démobiliser les travailleurs et isoler chacune de leur lutte. Que ce soit lors des négociations collectives des travailleurs du secteur public, lors de la fermeture de l’usine Electrolux ou lors du lock-out à Rio Tinto Alcan, Michel Arsenault a encouragé la négociation de «bonne foi» avec l’employeur, laquelle a résulté en élimination d’emplois, diminution de salaires et recul sur les conditions de travail.
On se rappelera particulièrement d’Arsenault pour la trahison de deux mobilisations majeures des travailleurs et des jeunes dans les dernières années de sa carrière, soit la grève de 175.000 travailleurs de la construction et la grève étudiante de 2012.
L’été dernier, le gouvernement péquiste de Pauline Marois a imposé à 77.000 travailleurs de la construction une loi spéciale les forçant à retourner au travail après à peine dix jours de grève. Ce sont précisément les entrepreneurs en construction qui sont au cœur des allégations de fraude et de corruption dans le cadre de la Commission Charbonneau. Avant même que la loi spéciale ne soit votée, les syndicats, en grande partie liés à la FTQ-construction, avaient forcé plus de la moitié des travailleurs en grève (secteur résidentiel, voirie et génie civil) à retourner au travail avant que ces derniers aient pu voter sur les ententes acceptées par leurs dirigeants syndicaux.
Lors de la grève étudiante militante de 2012, qui a duré près de six mois, Arsenault et les syndicats ont joué le rôle central pour que les étudiants demeurent isolés des travailleurs et pour détourner le mouvement d’opposition au programme d’austérité du gouvernement libéral de Jean Charest derrière le Parti québécois. Au début de mai, les syndicats ont forcé les associations étudiantes à signer une entente pourrie qui acceptait en entier la hausse des frais de scolarité exigée par le gouvernement. Arsenault avait déclaré qu’elle était nécessaire pour préserver la «paix sociale», craignant que la grève ne soit l’intincelle d’un mouvement de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité du gouvernement libéral détesté. L’entente, qui représentait une véritable trahison, a finalement été massivement rejetée par les étudiants. Au même moment, Arsenault et les syndicats, qui négociaient avec le gouvernement à Québec, menaçaient de retirer leur soutien à la grève si les associations étudiantes refusaient de condamner la soi-disant «violence» étudiante.
Le moment décisif de la grève a été l’imposition de la draconienne loi 78 quelques semaines plus tard, laquelle criminalisait non seulement la grève, mais le droit de manifester plus largement. Aussitôt, les syndicats ont déclaré qu’ils obéiraient à la loi et qu’ils accepteront, selon une clause de la loi, de forcer leurs membres à donner des cours malgré le conflit, soit de jouer le rôle de briseurs de grève.
La loi 78 a cependant eu l’effet d’entraîner davantage d’étudiants et de plus en plus de travailleurs dans la lutte contre le gouvernement libéral. Le 22 mai, plus de 300.000 personnes manifestaient à Montréal. À ce moment, Michel Arsenault s’est empressé d’écrire directement au président du Congrès du Travail du Canada (CTC), Ken Geogetti, pour exiger que les syndicats à l’extérieur du Québec s'abstiennent d'offrir le moindre soutien aux étudiants en grève. C’est aussi à ce moment que les grandes centrales syndicales, avec Arsenault en tête, ont mis de l’avant le slogan «Après la rue, les urnes». Il s’agissait d’un moyen de mettre un terme à la grève et de détourner le mouvement de contestation derrière l’élection de l’autre parti d’alternance de l’élite dirigeante, le Parti québécois.
Michel Arsenault prend sa retraite dans un contexte où l’ensemble de la bureaucratie syndicale, perçue de plus en plus comme un allié de l’establishment québécois, perd le peu de confiance qu’il lui reste parmi les travailleurs. La carrière d’Arsenault souligne la nécessité pour la classe ouvrière de bâtir ses propres organes de lutte, indépendamment des syndicats, pour défendre ses intérêts de classe sur la base d’un programme socialiste.