À la fin septembre, le président russe Vladimir Poutine a signé une loi qui réforme l'Académie des sciences de Russie (RAN). La législation, qui avait été auparavant passée par la Douma, le Parlement russe, met, à toutes fins pratiques, un terme à l'Académie en tant qu'institution scientifique indépendante et entraînera des coupes dans le financement de la science qui auront un profond impact. La nouvelle loi est le point culminant d'un assaut contre la science et la culture qui a commencé depuis la restauration du capitalisme en Union soviétique.
Même si elle a subi un déclin dramatique depuis la chute de l'Union soviétique en 1991, l'Académie, avant la réforme actuelle, était composée de 500 organisations scientifiques et de quelque 55.000 employés. L'Académie des sciences est l'organisation principalement responsable de la recherche en Russie. Les universités, elles, s'affairent plutôt à l'enseignement.
La nouvelle loi, prétendument conçue pour améliorer l'«efficacité» de l'Académie, stipule que l'Académie des sciences de Russie sera fusionnée avec l'Académie des sciences médicales et l'Académie des sciences agricoles. Tous les actifs de la nouvelle académie, incluant ses bâtiments et sa technologie, seront gérés par une commission appointée par le gouvernement. Le chef de la commission sera directement redevable au premier ministre russe.
Cela signifie qu'à partir de maintenant, tout projet scientifique pourra être bloqué par les responsables du gouvernement qui décideraient d'empêcher l'utilisation des bâtiments et des ressources nécessaires. Les projets de recherche qui ne servent pas directement les intérêts économiques et politiques des oligarques n'ont pratiquement aucune chance d'être réalisés. Les reportages médiatiques indiquent aussi qu'une bonne partie de la propriété de l'Académie sera vendue. De plus, la réforme de la RAN inclura la fusion de nombreux instituts.
Les commentateurs des médias s'attendent à des coupes plus étendues. Cependant, étant donné l'opposition répandue aux réformes de la RAN, le Kremlin a jusqu'à maintenant nié qu'il y aurait de nouvelles coupes.
Dès le début du processus de réforme de la RAN, le gouvernement a tenté de dissimuler ses plans et a donné peu d'information publique sur les conséquences de cette loi. Un peu avant la pause de l'été, un projet de loi fut mis de l'avant par la Douma. Il appelait au démembrement de l'Académie. Selon les affirmations de plusieurs responsables de haut rang de la RAN, ça n'a pas été discuté avec le nouveau président élu de l'académie, le physicien Vladimir Fortov.
La loi proposée a causé de la stupéfaction et une vague de colère parmi les scientifiques russes et internationaux et le public. Le Kremlin n'a pas pu la faire passer comme prévu à la fin de l'été. Son adoption fut reportée de quelques semaines. Cependant, les changements minimaux qui y ont été incorporés suite à des recommandations de scientifiques ne changent rien à l'esprit de la loi.
Les mesures prises par le gouvernement russe montre l'hostilité et le mépris avec lesquels la classe dirigeante traite la science et la culture. Même si les années qui ont suivi la chute de l'Union soviétique ont été marquées par des attaques sans relâche dans ces aspects de la vie sociale, elle n'avait pas osé toucher à l'Académie des sciences parce qu'elle représente le progrès culturel et scientifique de la Russie plus que toute autre institution du pays.
Fondée par le tsar Pierre Le Grand en 1724, le RAN, connu à l'époque de l'URSS sous le nom d'Académie soviétique des sciences, a produit parmi les plus grandes découvertes et parmi les plus grands scientifiques des derniers siècles.
Entre autres, cela inclut le génie universel Mikhail Lomonosov (1711-1765), le mathématicien Pafnuty Chebyshev (1821-1894) et Dmitri Mendeleev (1834-1907), qui a développé le tableau périodique en chimie. En 1820, Fabian Gottlieb von Bellingshausen et Mikhail Lazarev ont découvert l'Antarctique. Le médecin et physiologiste Ivan Pavlov (1849-1936), célèbre pour avoir co-fondé la science béhavioriste, a reçu le prix Nobel de la physiologie et de la médecine en 1904.
L'académie a connu un grand essor lors de la période soviétique. Malgré la répression stalinienne et la censure bureaucratique, qui ont détruit la vie de milliers de scientifiques, l'investissement public considérable dans la science, l'éducation et la culture lors de la période d'après-guerre a permis l'épanouissement de l'académie dans certaines sphères jugées nécessaires par la bureaucratie soviétique.
Parmi les membres de l'académie qui ont reçu le prix Nobel se trouvent, en particulier, plusieurs physiciens qui ont participé au développement de la science atomique: Pavel Cherenkov, Ilya Frank, Igor Tramm (tous les trois en 1958), Lev Landau (1962), Nikolai Basov et Alexander Prokhorov (1964) et Pyotr Kapitsa (1978).
Mais la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'Union soviétique ont été accompagnés d'un assaut radical contre la science et la culture. Entre 1992 et 1995, le nombre d'employés dans le domaine des sciences a chuté de 22 pour cent, soit de 2,3 millions à 1,7 million. Le nombre de scientifiques qui ont quitté le pays après 1990 est évalué à entre 100.000 et 250.000. Selon Youri Osipov, l'ancien président de la RAN, les dépenses gouvernementales dans les sciences ont été réduites par un facteur de 12 à 15.
L'âge moyen de l'équipement dans l'Académie a doublé, passant de 7,5 à 15 ans de 1990 à 2006. La contribution des scientifiques russes à la recherche internationale a aussi chuté. Les scientifiques russes produisent maintenant moins de documents par année, en moyenne seulement 25 000, que les scientifiques en Corée du Sud, un pays beaucoup plus petit. Le gouvernement russe a investi légèrement moins que 1 pour cent du produit intérieur brut dans la recherche, ce qui est moins que l'investissement aux États-Unis (2,7 pour cent) ou au Japon (3,7 pour cent).
En 2006, une réforme du programme a temporairement permis une légère augmentation du financement pour la science et une hausse des salaires pour plusieurs employés de l'Académie au bas de l'échelle. Cependant, la situation s'est de nouveau détériorée depuis le début de la crise économique mondiale.
La hiérarchie administrative de l'Académie est tellement fermement établie qu'il est presque impossible pour les jeunes scientifiques d'obtenir des promotions. La structure hiérarchique reflète la division sociale de la société russe. Tandis que les statistiques officielles suggèrent qu'un membre de l'équipe de l'Académie gagne en moyenne entre 500€ (690$US) et 1000€ (1380$US) par mois, plusieurs reçoivent en fait 150€ (207$US) à 300€ (414$US).
Cependant, ceux qui gagnent le plus à la RAN font partie de l'élite économique et politique du pays. Une couche étroite d'académiciens de haut rang ont profité de la restauration capitaliste pour s'enrichir. Depuis ce temps, ils ont appuyé non seulement les attaques contre la classe ouvrière, mais aussi des coupes régulières dans la culture et la science.
Le physicien Mikhail Kovalchuk, un des membres des échelons supérieurs de l'Académie, aurait été impliqué dans l'élaboration de la loi. Kovalchuk et son frère Youri, qui est aussi un ancien physicien et maintenant un des hommes les plus riches du pays, sont membres de l'entourage rapproché du président Poutine. Ils se sont faits plusieurs fois refuser le membership à part entière de l'Académie, malgré le puissant appui de Poutine. Mikhail Kovalchuk a dit en entrevue: «L'académie devra périr un jour, comme l'Empire romain.»
Le lauréat du prix Nobel de physique, Zhores Alferov, qui a été pendant longtemps le président de l'Académie et qui est en est maintenant son vice-président, est millionnaire et un membre de premier plan du Parti communiste (KPRF). En tant que député du KPRF à la Douma et président de l'Académie, il a, pendant des années, coopéré dans la mise en oeuvre de coupes dans la science et dans sa subordination aux intérêts de profit de l'oligarchie.
Après leur dénonciation du processus de réforme, les médias pro-Kremlin ont récemment accusé Alferov de corruption et de népotisme. D'autres académiciens importants ont aussi été impliqués dans de nombreuses affaires de corruption dans le passé. Leurs actions sont cependant utilisées comme une excuse par l'élite gouvernementale, non moins criminelle, pour intensifier l'assaut contre la science et la culture.
(Article original paru le 29 octobre 2013)