Perspective

Les 16.000 points du Dow Jones

Après sept semaines de hausse consécutives, le Dow Jones Industrial Average a pour la première fois jeudi dépassé la barre des 16.000 points. Cela fut suivit immédiatement par un autre jalon important : l’indice boursier Standard & Poor’s 500 clôtura pour la première fois à 1,804, franchissant le cap historique de 1.800.

Le Dow Jones a progressé de 24 pour cent au cours de l’année écoulée et a doublé depuis 2009. Le S&P 500 a lui, augmenté de 28 pour cent.

Loin d’exprimer une reprise économique, la hausse du marché boursier coïncide avec la stagnation économique ou une nette contraction aux Etats-Unis, en Europe et dans une grande partie du monde. Plus de cinq ans après le krach de Wall Street en septembre 2008, les économies américaine et mondiale restent engluées dans la plus profonde récession depuis la Grande dépression des années 1930.

La courbe de fièvre de cette flambée des cours, des bénéfices des sociétés et des salaires des PDG coïncide avec une pauvreté et un chômage de masse grandissants et des niveaux d’inégalité sociale de plus en plus stupéfiants.

Il existe un parallèle entre la courbe ascendante du cours des actions et la trajectoire montante des indices de la misère sociale et de la privation. Le nombre de personnes qui reçoivent des bons alimentaires aux Etats-Unis est passé de 28,2 millions en 2008 à 47,7 millions en avril 2013, une augmentation de 70 pour cent. Ce chiffre continue de gonfler ; plus d’un million de nouveaux bénéficiaires de bons alimentaires sont venus s’y ajouter entre 2012 et 2013.

Entre 2007 et 2012, le revenu médian des ménages a dégringolé de 8,3 pour cent aux Etats-Unis. Le pourcentage de la population américaine en âge de travailler et qui a un emploi a chuté de 4,6 pour cent depuis 2008, alors que les salaires des travailleurs du secteur manufacturier ont baissé de 3 pour cent depuis mai 2009.

Nombre de bénéficiaires des coupons alimentaires aux Etats-Unis

Un rapport publié en octobre par le National Center for Homeless Education se fondant sur des données issues du Département américain de l’Education a trouvé que plus de 1,1 million d’enfants qui fréquentent des écoles publiques étaient sans domicile fixe à un moment ou à un autre entre 2011 et 2012, 72 pour cent de plus qu’au début de la crise économique.

Durant la même période, on a constaté une orgie d’enrichissement personnel de l’élite patronale et financière. Les milliardaires du monde ont, depuis 2009, vu doubler la valeur totale de leurs actifs combinés. Depuis cette année, le un pour cent le plus riche des Etats-Unis s’est emparé de 95 pour cent de toutes les augmentations de revenus tandis que les 95 pour cent au bas de l’échelle ont vu leurs revenus stagner.

Selon les chiffres publiés en début d’année par le New York Times, l’inégalité de revenus aux Etats-Unis a augmenté quatre fois plus rapidement durant les trois premiers mois du gouvernement Obama que sous Bush.

Comment le marché boursier a-t-il atteint des niveaux record alors que l’économie réelle ne s’est pas remise de la crise de 2008 ?

Le marché haussier n’est pas simplement la conséquence de forces économiques impersonnelles. Il a été délibérément fabriqué sur la base d’une politique définie et poursuivie par le gouvernement Obama. Ce gouvernement a fait du soutien au système financier et de la protection et du développement de la richesse des ultra-riches sa toute première priorité. Ceci a pris les formes d’un énorme transfert des richesses de la population laborieuse vers l’oligarchie financière.

L’actuelle course a débuté en mars 2009, après une série de décisions prises par le gouvernement qui a clairement montré qu’il ne reculerait devant rien pour venir au secours de l’élite dirigeante et décharger la crise sur le dos de la classe ouvrière.

Le 23 mars, le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, avait dévoilé les détails d’un plan d’action pour la mise à disposition de fonds quasi illimités pour l’achat, à des prix excessifs et financés par l’argent des contribuables, des actifs pourris des banques. Depuis lors, le portefeuille de titres adossés à des prêts hypothécaires de la Réserve fédérale a fait un bond en passant de 68 milliards de dollars à 1,4 millier de milliards de dollars et continue de croître de 40 milliards de dollars tous les mois. Le même jour, le Dow Jones a enregistré un gain de 7 pour cent en clôturant à 495 points de plus.

Juste quelques jours avant, le gouvernement s’était prononcé contre une loi adoptée par le Congrès pour bloquer 165 millions de dollars de primes à verser aux dirigeants du géant américain de l’assurance AIG et pour limiter les indemnités aux directeurs de banques et d’entreprises renflouées.

Puis, le 30 mars, Obama exposait sa proposition de restructuration de l’industrie automobile par laquelle la Maison Blanche faisait de l’imposition de réductions des salaires et des prestations à grande échelle la condition préalable à l’octroi de fonds fédéraux pour le sauvetage de General Motors et de Chrysler.

La combinaison de ces trois événements a généré la plus forte hausse du Dow Jones depuis 1933 sur une période de quatre semaines.

En 2010, le gouvernement avait accepté de proroger de deux ans la période de réduction d’impôt pour les riches datant de Bush. La même année, Obama signait la loi de « réforme » des activités financières, une mesure symbolique signalant qu’il n’y aurait pas de réforme réelle du système bancaire, pas de tentative de tenir les dirigeants de Wall Street responsables des pratiques illégales et trompeuses qui avaient déclenché l’effondrement financier.

Egalement en 2010, Obama avait fait voter sa restructuration des soins de santé, un système pour réduire drastiquement les coûts de santé du gouvernement et des entreprises et pour stimuler les bénéfices de l’industrie en réduisant la couverture médicale de millions de travailleurs par l’augmentation des coûts à payer de leur propre poche.

En 2011, la crise concernant le plafond de la dette fédérale s’était terminée sur un accord qui imposait plus d’un millier de milliards de coupes dans les dépenses au cours des dix prochaines années ainsi qu’un accord selon lequel 1,2 millier de milliards de plus de coupes automatiques (« sequester » cuts) généralisées seraient générées début 2013 si un accord sur une réduction des déficits n’était pas conclu d’ici là entre la Maison Blanche et le Congrès.

Au cours de ces négociations de crise, Obama avait proposé des coupes sans précédent dans le programme de prestations de Medicare et de la Sécurité sociale comme partie intégrante d’un « grand marché » avec les républicains. 

En 2012, la soi-disant crise du « mur budgétaire » (« fiscal cliff ») eut pour conséquence le déclenchement des coupes du séquestre à partir de mars dernier. Plus récemment, la Maison Blanche et le Congrès ont imposé une réduction des indemnités en coupons alimentaires et ils sont en train de planifier la fin des allocations chômage prolongées. Des négociations budgétaires sont en cours pour imposer de nouvelles coupes dans les dépenses sociales en même temps qu’une réduction drastique du taux d’imposition des sociétés.

Au cours de toute cette période, les services sociaux, les emplois et les salaires des enseignants et d’autres employés du secteur public ont subi des attaques sur le plan fédéral et local. Ceci a abouti à la faillite de Detroit, qui a été organisée dans le but de supprimer les retraites des employés de la ville et de liquider les biens publics, dont la collection du Detroit Institute of Arts.

Comment le gouvernement a-t-il été en mesure d’imposer ces attaques massives à l’encontre de la classe ouvrière tout en pillant l’économie au profit des riches ? Il s’est appuyé sur les syndicats pour bloquer et saborder la résistance des travailleurs.

Cette résistance s’était exprimée de multiples manières dont les protestations de masse de 2011 contre les attaques menées par le gouverneur du Wisconsin, Scott Walter, contre les droits des travailleurs et les services sociaux, ainsi qu’une série de grèves, y compris la grève des enseignants de Chicago en 2012 et la grève des chauffeurs de bus scolaires à New York en 2013. Dans chacun des cas, la lutte a été isolée et trahie par les syndicats qui ont œuvré de concert avec le Parti démocrate.

Les attaques menées par Obama et les deux partis du patronat ainsi que la trahison des syndicats ont été aidées et soutenues par les groupes de la pseudo-gauche tels l’International Socialist Organization qui s’efforce de canaliser l’opposition de la classe ouvrière derrière la bureaucratie syndicale et les démocrates. Ils sont opposés à la mobilisation indépendante de la classe ouvrière et à une lutte contre le système capitaliste.

Quelles sont les leçons à tirer de cette expérience ? Premièrement, que le gouvernement Obama est un instrument de Wall Street, en alliance avec le complexe de l’appareil militaire et du renseignement. Deuxièmement, qu’aucune condition ou qu’aucun droit ne peut être défendu en lançant des appels aux partis du patronat ou en exerçant une pression sur le Congrès. Troisièmement, que la contre-attaque de la classe ouvrière doit consciemment cibler la source de la crise, le système capitalise lui-même.

La tâche urgente est la construction d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière basé sur un programme socialiste. Le casino de Wall Street doit être fermé et les milliers de milliards de dollars volés à la population doivent être confisqués afin de servir à satisfaire les besoins des gens en matière d’emploi, de salaires et de prestations décents, d’éducation et de soins de santé. Les banques et les grandes entreprises doivent être nationalisées et placées sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et l’économie doit être réorganisée de façon à satisfaire les besoins sociaux et pas les profits privés.

(Article original paru le 25 novembre 2013)

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