Après un verdict controversé dans l'affaire des émeutes liées au match de football à Port Saïd, des manifestations ont éclaté au Caire, dans la ville de Port Saïd par où passe le canal de Suez, et dans d'autres villes industrielles contre le président Égyptien Mohamed Morsi et le parti au pouvoir, les Frères musulmans (FM).
La colère contre le régime a été attisée par la décision d'acquitter sept officiers de police, tout en confirmant les peines de mort contre 21 supporters d'El-Masry, prononcées initialement le 26 janvier.
Les prévenus étaient accusés de participer à une attaque organisée par l'Etat contre les supporters du club Al-Ahly du Caire après un match contre le club El-Masry de Port Saïd le 1er février 2012, au cours duquel 73 supporters d'Ahly ont été tués. Seuls deux policiers ont été condamnés : l'ex-directeur de la sécurité de Port Saïd, Essam Samak et le chef du service de sécurité du canal à Port Saïd, Mohamed Saad. Tous deux ont reçu une peine de 15 ans.
Dans un contexte de manifestations de plus en plus massives contre le verdict, de nombreux policiers se joignent aux protestations, avec au moins 60 camps de la police en grève dans toute l'Égypte vendredi. Cette grève, qui affecterait un tiers des provinces égyptiennes, a commencé mardi quand des forces de sécurité d'Ismaïlia ont refusé de se déployer pour combattre les manifestants à Port Saïd.
Parlant au site Ahram Online, l'officier de police de Port Saïd, Rahid Mohamed Atef a indiqué que le verdict contre les supporters d'El-Masry n'a aucun fondement juridique. « Nous ne savions pas qui arrêter – donc on a arrêté tous ceux qui avaient déjà fait de la prison, et des gens dont nous étions assez sûrs qu'ils étaient derrière tout ça. Il y a eu des centaines d'interpellés, donc il pourrait y avoir beaucoup de gens en jugement qui sont innocents. »
Au Caire, le club des supporters d'Al-Ahly a mis le feu à un commissariat et à l'entrée du bâtiment de la Fédération égyptienne de football dans le quartier riche de Zamalek.
Des affrontements mortels ont eu lieu entre des manifestants et des forces de police sur le pont Qasr al-Nil, un point chaud des manifestations depuis les premiers jours de la révolution égyptienne qui a fait tomber le dictateur Hosni Moubarak en février 2011. Parmi les trois personnes tuées, il y avait un garçon de huit ans. La police aurait également tiré sur un manifestant, Kahled Mustafa, dans le dos et en visant la tête alors que celui-ci allait secourir un autre manifestant blessé.
Sur leur page facebook, le groupe de supporters Ultra Ahlawy a juré d'intensifier les manifestations : « Ce qui s'est passé aujourd'hui au Caire n'est que le début de notre rage. Encore plus de cette rage va faire surface si tous les officiels impliqués dans ce massacre ne sont pas traduits en justice. On ne nous fera pas taire en condamnant juste deux "chiens" de policiers. »
À Port Saïd, des manifestations du groupe Ultra Green Eagles ont tenté de bloquer le canal de Suez, voie maritime stratégique étroitement contrôlée par l'armée égyptienne, en détachant des navires de leurs amarres pour perturber le trafic. Une grève générale avait eu lieu à Port Saïd il y a trois semaines. Depuis lors, la ville est paralysée par des manifestations continuelles. Les islamistes auraient été poussés hors de la ville, et la police a soit quitté la ville, soit refuse de travailler. Le quartier général des FM est abandonné, et des affiches islamistes ont été arrachées. À la place, une bannière dans la ville dit : « Tu [Morsi] vas retourner en prison. »
« Les Frères ont disparu, » a déclaré à l'AFP Mahmoud Kahlil, résident de Port Saïd. Un autre manifestant, Mustafa al-Shan, a expliqué : « Nous pensions qu'ils seraient différents de Moubarak, mais nous nous sommes rendu compte qu'ils sont pires. En s'enfuyant de notre ville au cours de ces malheurs, ils ont disparu de notre vue pour toujours. »
Avant le verdict, la ville avait été entièrement quadrillée par l'armée. Des navires de la marine égyptienne croisaient dans le canal de Suez. D'après l'Ahram Online, un officier de l'armée avait prévenu les manifestants que la sixième flotte était en position au large de Port Saïd et prête à prendre la ville d'assaut si des affrontements surgissaient entre les manifestants et l'armée.
En proie à la colère, les supporters d'El-Masry ont attaqué leur propre stade dans la ville. Ils ont exigé la libération de leurs camarades, disant que Morsi se sert d'eux comme de boucs émissaires politiques. Les Ultras Green Eagles ont menacé « d'actes de désobéissance civile dans tout Port Saïd, jusqu'à ce que nos demandes soient satisfaites…Nous avons été persécutés durant trente ans sous Moubarak, et maintenant Morsi continue. »
Le chef en second de la police, Mohamed El-Kady a critiqué le ministère de l'Intérieur dirigé par les Frères musulmans comme étant « pire que sous Moubarak » expliquant : « le ministère actuel nous demande d'être violents. Ils devraient savoir ce que seront les conséquences de leurs actions. »
Les campagnes de désobéissance civile prennent de l'ampleur en Égypte depuis les manifestations massives du deuxième anniversaire de la révolution égyptienne. Elle se sont propagées aux villes du canal de Suez et Ismaïlia et dans les principales villes industrielles du delta du Nil comme Mansoura, Tanta et Mahalla.
Des affrontements ont éclaté sur la place principale de Mahalla, El Shoan, après l'annonce du verdict de Port Saïd ; des manifestants ont lancé des cocktails Molotov sur le deuxième commissariat de la ville.
Cette montée rapide des manifestations contre le gouvernement démasque de façon dévastatrice non seulement le régime Morsi, mais aussi les forces politiques de l'opposition officielle – que ce soit le Front national du Salut ou les Socialistes révolutionnaires de la pseudo-gauche. Ces forces ont affirmé que les aspirations de la révolution pouvaient être satisfaites par des élections qui ont mis les Frères musulmans au pouvoir. En fait, les FM cherchant à imposer des coupes sociales importantes et à développer leurs liens avec l'armée et les services de sécurité, la classe ouvrière est à nouveau poussée à se révolter contre l'establishment politique dans son ensemble.
L'autorité de Morsi et des FM se fracturant de plus en plus, le régime essaie de maintenir la cohésion des forces de sécurité, tout en mobilisant en même temps des éléments violents de l'extrême-droite islamiste pour écraser les grèves et les manifestations.
Dimanche, le procureur général d'Égypte a annoncé que la police et l'armée arrêteraient toute personne impliquée dans des délits tels « la destruction de propriétés publique ou privée, le blocage des routes et du trafic, et le fait d'empêcher des employés d'aller au travail. » La déclaration encourage également « tous les citoyens » à aider la police et l'armée ainsi qu'à « exercer le droit que leur accorde l'article 37 du code de procédure pénale égyptien d'arrêter toute personne vue en train de commettre un délit et de les amener au personnel de l'Etat. »
Ceci revient à demander à l'élite dirigeante égyptienne de créer des milices armées pour assister la police dans une répression violente. Saber Abul Fotouh, chef de la commission sur le travail du Parti Liberté et Justice, qui est la branche politique des Frères musulmans, a appelé à « des méthodes alternatives de maintien de la sécurité dans le pays à la lumière de la récente vague de grèves dans la police. »
D'après l'Egypt Independent, « Parmi les méthodes suggérées par Abul Fotouh, il y a un projet de loi qui permettrait au personnel des compagnies de sécurité privées d'arrêter les citoyens et de les déférer au procureur général, ce qui soulève des inquiétudes quant à des lois plus laxistes qui permettraient de créer des milices armées. »
Au cours du week-end, les islamistes ultra-réactionnaires du parti Al-Gamaa Al-Islamiya et les Salafistes du Parti Nur ont annoncé des projets de création de « milices de sécurité » et d'établissement de « comités populaires » pour remplacer les forces de police en grève.
Ces évolutions constituent un avertissement majeur pour la classe ouvrière. Morsi et les FM cherchent à mobiliser des forces ultra-droitières pour réprimer dans le sang la classe ouvrière.
(Article original paru le 11 mars 2013)