Set for Life [établi pour toute la vie, ndt], un documentaire des réalisateurs Susan Sipprelle et Samuel Newman, se concentre sur les effets que la crise économique de 2007-2008 a eu sur la génération des Américains de 50 ans et plus. Le film rassemble des dizaines d'entretiens réalisés dans tout le pays, souvent obtenu directement dans les locaux des agences pour l'emploi. Ces vidéos peuvent être vues sur le site multimédia www.overfiftyandoutofwork.com. Set for Life a obtenu de multiples récompenses depuis sa première présentation en janvier au Festival du film du New Jersey et est diffusé actuellement en avant-premières un peu partout dans le pays.
Ce documentaire s'intéresse principalement aux vies de trois travailleurs, choisis probablement pour représenter divers secteurs de l'économie, deux « cols bleus » du secteur privé et du secteur public, et un spécialiste des technologies de l'information, qui tentent tous de survivre après avoir perdu leur emploi durant l'effondrement de l'économie américaine en 2007-2008.
Le film alterne avec des images de vidéos de familles d'une période plus ancienne, décrivant les temps plus heureux qui existaient dans la société américaine d'alors et qui contrastent avec les plans actuels sur des usines à l'abandon au cœur des États-Unis. L'une des personnes a décrit « le sentiment de calme » qu'il a connu dans ses jeunes années, croyant que travailler pour AT&T [la principale compagnie de téléphone du pays, ndt] était un ticket garanti pour une vie sûre, « comme d'être fonctionnaire, » dit-il. Cela est mis en lien avec un passage sur une femme qui dit que même les « compagnies les plus loyales et paternalistes ne sont plus comme ça maintenant, » elle se rappelle la manière froide et impersonnelle dont elle et beaucoup d'autres ont été licenciées.
Le film montre Joe Price de Weirton en Virgine occidentale, un ouvrier de la métallurgie comme son père et son grand-père avant lui. Il est particulièrement fier de sa carrière qui a duré plus de 30 ans, à un moment, il revisite son ancien lieu de travail abandonné depuis longtemps, tenant une barre d'acier dans la main tout en demandant à la caméra, « qu'est qu'il y a de mal à ce qu'un homme gagne sa vie en travaillant de ses mains ? » La scène saisit le sentiment d'abandon que beaucoup ont ressenti. Maintenant, Joe et beaucoup d'autres comme lui sont confrontés à la recherche d'un emploi chez des employeurs pour qui un âge avancé est considéré comme un point négatif pour l'embauche.
En cela, le film offre certains de ses moments les plus forts ; l'on sent que ce vaste changement social a laissé une part importante de la population tout simplement incapable de fonctionner dans la situation économique actuelle. Beaucoup des personnes interviewées se rappellent l'expérience douloureuse d'envoyer des centaines de CV et de ne recevoir aucune réponse des employeurs. S'accrochant à l'espoir de réaliser le « Rêve américain », de nombreux travailleurs expriment une détermination à retomber sur leurs pieds, même si une bonne partie a abandonné l'espoir de pouvoir jamais prendre sa retraite.
La tragédie de George Ross Junior, un travailleur des télécommunications victime des malheurs financiers de la Californie, est amplifiée quand il est informé que son fils, un Marine, est sévèrement blessé par un engin explosif improvisé en Afghanistan. Ayant 200 000 dollars à rembourser pour un emprunt qu'il avait renégocié avant de perdre son emploi en 2008, George doit laisser de côté sa recherche d'emploi pour s'occuper de son fils.
Dans une scène, George et sa femme Linda se rendent à un atelier de consolidation des dettes en conduisant un van prêté par Wounded Warrior [organisation caritative pour les soldats infirmes, ndt] dans l'espoir de persuader la compagnie qui l'organise de prendre leur affaire en charge. La tentative échoue. Linda, en larmes lorsqu'elle s'adresse à la caméra, dit que pour elle, le « rêve américain » a tout simplement été « effacé ». Dans ces scènes, on ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre l'état du fils Ross blessé de guerre et les images du cœur industriel des États-Unis autrefois opulent et dont il ne reste plus maintenant qu’une vieille coquille rouillée laissée à l’abandon.
Le film, assez peu fourni en terme de statistiques, s'appuye fortement sur les anecdotes racontées par ses sujets. Mais les chiffres qu'il donne sont cependant frappants.
Depuis le début de la récession, le nombre de personnes de plus de 50 ans qui n'ont pas de travail a plus que doublé, la durée moyenne du chômage montant à plus de 17 mois. Le pourcentage de personnes qui ont pu reprendre le travail avec un salaire équivalent ou supérieur à l'ancien est inférieur à dix pour cent. Le film calcule que près d'une personne sur cinq de plus de 50 ans est actuellement au chômage aux États-Unis.
L'un des thèmes récurrents du documentaire est la question des emprunts immobiliers. Le film donne des statistiques indiquant que depuis 2007 près de 5 millions de logements ont été ressaisis, et les analystes du marché s'attendent à ce qu'entre 3 et 8 millions s'y ajoutent dans la période à venir. D'après une étude de la Banque fédérale de New York, près de 6000 milliards de dollars en valeurs immobilières ont tout simplement été détruits à cause de la crise du crédit immobilier. Le film est parsemé de scènes de quartiers et de maisons abandonnées, certaines avec sur le devant des pancartes qui pendent et annonçant des prix de vente descendant jusqu'à 350 dollars.
Un ex-employé de General Motors, Stan Bednarczyk, informe les journalistes de ce qu’il a subit une perte de 40 000 dollars sur son logement parce qu'il a du déménager de l'Ohio au Michigan, pour se retrouver à Detroit avec un logement dont la valeur est de 150 000 dollars inférieure à l’hypothèque qu’il a à rembourser. En comptant toutes les taxes sur la vente de l'un et l'achat de l'autre, Bednarczyk informe les spectateurs que l'opération lui coûte près de 400 000 dollars [300 000 euros, ndt] juste pour s’en sortir. « Et dans notre système de revenu il n’y a pas d’annulation de dette pour ça, » ajoute-t-il.
Le film se concentre sur l'âge, consacrant un certain temps à l'idée d'« âgisme » et sur des travailleurs qui se sentent discriminés strictement selon ce critère. C'est peut-être dû aux impressions de la réalisatrice Sipprelle elle-même qui, née lors du Baby-boom et ayant tenté de changer de carrière en milieu de vie, a senti que cette question devait être traitée en particulier. Le résultat en est quelque peu limité, il tend à alimenter l'idée que la « Grande récession » est simplement une question de génération.
D'autres limites apparaissent, lors d'une séance de questions à l'Institut de politique économique de Washington DC. Sipprelle, interrogée sur le manque général de questions politiques dans le film, a exprimé sa préférence à « laisser en dehors » du documentaire les divisions politiques, afin d'obtenir la « plus grande attention possible » parce que la question était tellement urgente.
En cela, on voit la réalisatrice retenir ses coups au moment précis où elle devrait commencer à examiner certaines questions. Sipprelle admet elle-même qu'en raison des coupes budgétaires adoptées par le gouvernement du Président Obama, de nombreux programmes au niveau fédéral et régional dont dépendent ces travailleurs sont maintenant abandonnés. La réalité est que les deux partis politiques, que ce soit à l'échelon fédéral, régional ou municipal mènent des politiques d'austérité et sont responsables de la misère sociale de plus en plus profonde infligée à la classe ouvrière dans son ensemble.
La force de Set for Life tient dans le fait qu'il s'appuie sur la vie réelle de travailleurs. En dépit de ses faiblesses, le film mérite de trouver un large public.
(Article original paru le 27 février 2013)