La chute abrupte de l’indice boursier Nikkei du Japon, jeudi dernier, et la liquidation subséquente d’actions à l’échelle mondiale ont mis en relief l’instabilité grandissante des marchés financiers mondiaux.
Le Nikkei a chuté de 7 % et était ensuite très instable vendredi avant de clôturer en légère hausse. Aux États-Unis, les marchés ont affiché leur première perte hebdomadaire après un mois de sommets records. Tandis qu’un des facteurs du plongeon japonais était une baisse de l’activité manufacturière en Chine, un élément clé était la crainte d’une crise majeure si la direction de la Réserve fédérale américaine mettait un terme à son programme d’«assouplissement quantitatif», qui injecte 85 milliards de dollars par mois dans les marchés financiers.
Mercredi, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a indiqué que si les conditions économiques aux États-Unis s’amélioraient, la Fed pourrait considérer «réduire» son programme d’achats d’actifs. Aucun engagement définitif n’a été pris et aucune date ne fut mentionnée, mais la dépendance des marchés financiers aux injections d’argent bon marché de la Fed et des autres banques centrales est tellement grande que la simple suggestion que l’approvisionnement puisse être réduit a déclenché une chute des marchés.
Dans la Financial Times, l’économiste en chef de la HSBC, Stephen King, a commenté la récente liquidation en mettant l’accent sur le gouffre grandissant entre «les espoirs financiers et la réalité économique». Il a affirmé : «Au début de l’année, on avait bon espoir que l’économie mondiale allait être tirée de sa torpeur grâce à l’utilisation copieuse de médicaments monétaires, à la reprise aux États-Unis et à la force de la Chine. Les médicaments monétaires semblent cependant provoquer des effets hallucinogènes.»
La turbulence au Japon est particulièrement significative parce que le programme lancé par le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe et la Banque du Japon (BoJ) – soit doubler les réserves monétaires du pays en l’espace de deux ans – représente une forme extrême d’«assouplissement quantitatif».
Il est estimé que depuis que le programme a été amorcé au début avril, la BoJ achète l’équivalent de 70 % des nouvelles obligations émises par le gouvernement. Le but avoué de cette politique est de faire baisser les taux d’intérêt, de stimuler l’inflation et d’augmenter l’activité économique.
Un de ses buts non déclarés est d’affaiblir les rivaux commerciaux du Japon que sont la Corée, la Chine et d’autres pays en dévaluant le yen contre leur monnaie et ainsi faire augmenter considérablement les exportations japonaises. Cela alimente des tensions aigües entre les grandes puissances, chaque puissance essayant d’améliorer leur position aux dépens des autres dans une course à la dévaluation. De telles tensions aggravent la situation stratégique déjà dangereuse en Asie de l’Est, où l’administration Obama encourage la prise de position agressive du Japon contre la Chine dans des disputes territoriales régionales.
Le gouvernement Abe tente également d’utiliser son programme d’assouplissement quantitatif pour aider à financer et mettre de l’avant ses plans de restructuration économique dans le but d’attaquer la classe ouvrière. Ces plans conçoivent des coupes dans les retraites, de nouvelles taxes, des restructurations industrielles et d’autres mesures réactionnaires. Cela va de pair avec les politiques aux États-Unis et en Europe, où l’assouplissement quantitatif a été combiné à de profondes coupes sociales, des congédiements de masse, des coupes radicales dans les salaires et des augmentations du rythme de travail.
L’impact immédiat du programme de la banque centrale japonaise été une hausse rapide des valeurs boursières. Cela a fait augmenter les craintes que la politique de la BoJ, plutôt que de fournir des moyens pour faire revivre l’économie japonaise, crée les conditions pour une crise financière majeure.
Un objectif de cette politique est de faire augmenter le prix des obligations du gouvernement par des achats de la banque centrale, faisant ainsi baisser les taux d’intérêt. Mais au lieu de la baisse prévue, les rendements obligataires ont augmenté durant le dernier mois. Cela indique que les grands investisseurs pourraient être en train de réduire leur exposition à la dette gouvernementale, craignant une crise majeure dans le marché obligataire à l’avenir. Si cette fuite vers la sortie augmente, une crise financière majeure pourrait être déclenchée.
La dette du gouvernement japonais, qui équivaut à environ 245 pour cent du produit intérieur brut (PIB), est financée par les firmes d’investissements et l’épargne. Mais cela pourrait s’arrêter. Un rapport préliminaire d’une équipe du gouvernement aurait averti qu’il «n’y a absolument aucune garantie» que les investisseurs au pays continuent de financer la dette du gouvernement.
Dans un discours prononcé lors d’un symposium dimanche, le gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, a soutenu que si les conditions économiques ne s’amélioraient pas, au moment où les taux d’intérêt continuent d’augmenter en raison d’inquiétudes sur l’état des finances gouvernementales, alors les grandes institutions financières encaisseraient des pertes dans leur portefeuille d’obligations. La BoJ a calculé qu’une hausse de seulement 1 % des taux d’intérêt entraînerait des pertes sur les marchés boursiers équivalant à 10 % du capital principal dans le cas des grandes banques et à 20 % pour les banques régionales plus petites.
Tout en affirmant que les banques seraient en mesure de faire face à des taux d’intérêts en hausse une fois que l’économie s’améliorerait, les inquiétudes de Kuroda sur la dette gouvernementale avaient un but politique bien précis. Le capital financier japonais et international soutient que les niveaux de dettes sont devenus insoutenables et le gouvernement doit lancer un programme d’austérité dirigé contre la classe ouvrière.
Cependant, les politiques du gouvernement Abe se sont attiré au moins un partisan international important. Le chroniqueur du New York Times, Paul Krugman, a louangé ces mesures comme un antidote au «défaitisme économique» qui s’est emparé du monde occidental.
«Si les Abenomics fonctionnent, elles vont servir un double dessein, donnant au Japon lui-même un coup de fouet et au reste du monde un antidote encore plus nécessaire à la léthargie politique», a-t-il dit.
L’enthousiasme de Krugman pour le programme d’assouplissement quantitatif d’Abe est une démonstration frappante de la faillite complète de l’école libérale du keynésianisme économique qu’il représente et qui dit que la crise économique peut être résolue si seulement les gouvernements pouvaient adopter des politiques plus éclairées.
En premier lieu, les Abenomics ne peuvent être séparées de leur programme politique gouvernemental : une politique étrangère toujours plus agressive basée sur la défense des intérêts de l’élite dirigeante japonaise dans la région et sur des attaques grandissantes contre la classe ouvrière à l’intérieur du pays.
Les turbulences sur les marchés boursiers montrent que, loin de fournir un «modèle» aux États-Unis et au reste du monde, les Abenomics sont une autre expression de la crise croissante du système capitaliste mondiale dans son ensemble.
(Article original paru le 27 mai 2013)