Il aura suffi de tout juste un jour et d’une visite à Berlin pour que les promesses faites par le premier ministre italien nouvellement en fonction, Enrico Letta, de passer de la politique d’austérité à celle de la croissance économique, soient démasquées comme étant de fausses promesses, des dérobades et carrément des mensonges.
Letta, du Parti démocrate (PD), dirige une grande coalition qui comprend le Peuple de la liberté (PdL) du magnat de la presse Silvio Berlusconi. Celle-ci a été formée à l’instigation du président Giorgio Napolitano, un stalinien vieillissant, dans le but de poursuivre les mesures d’austérité brutales imposées par le précédent gouvernement de technocrates de Mario Monti qui n'avait pas été élu.
Atteindre ce but n’est pas chose facile compte tenu de la crise extraordinaire à laquelle est confronté le capitalisme italien.
La dette nationale italienne est passée cette année à 130,4 pour cent du produit intérieur brut en dépit des mesures d’austérité imposées. Depuis 2008, le produit intérieur brut a diminué de 5 pour cent et la production industrielle a décliné d’un quart. Le dernier rapport sur la stabilité financière publié par la Banque d’Italie montre que 7,2 pour cent de tous les prêts aux entreprises sont actuellement en souffrance, à commencer par le secteur de la construction, et cette dégradation se poursuit.
Même si l’Italie continue d’emprunter à un taux d’intérêt de 5 pour cent, son économie aurait besoin croître de 5 pour cent pour que ses dettes cessent d’augmenter. Au lieu de cela, selon les propres évaluations du gouvernement, l’économie est en fait en train de se contracter de 1,3 pour cent cette année et les coûts d’emprunt continueront d’augmenter.
Mais, plus important encore, la classe dirigeante et l’élite politique doivent faite face à la colère massive de la classe ouvrière contre une pauvreté grandissante et un chômage en hausse qui se situe à 11,6 pour cent et affecte un tiers des jeunes. Cette colère a jusqu'ici à peine pu s’exprimer de manière organisée parce que les syndicats italiens répriment toute opposition aux programmes d’austérité du patronat et du gouvernement. Mais, cette situation ne peut subsister indéfiniment, notamment dans le contexte d’une forte dégradation de la situation économique du capitalisme européen.
Une expression très forte de la misère sociale qui est en train de se développer en Italie a été fournie par la fusillade de deux policiers, dont un gravement blessé, par Luigi Preiti, 49 ans, qui était motivé par la colère d’avoir perdu son emploi et la fin de son mariage.
Lundi, 29 avril, au parlement la porte-parole soi-disant de gauche de la chambre des députés (Chambre basse du parlement), Laura Boldrini, a averti, « Il y a une urgence sociale qui nécessite des réponses et nos politiciens doivent commencer à les donner. »
Mais Letta, dont le parti est déjà en pagaille, n’a pu que faire un discours rempli de promesses contradictoires – en s’engageant à honorer les promesses faites par l’Italie à l’Union européenne (UE) et au Fonds monétaire International (FMI) d’imposer les coupes tout en stimulant l’économie et en apportant de l'aide aux plus défavorisés.
« Nous mourrons de la seule consolidation budgétaire, une politique de croissance ne peut attendre plus longtemps, » a-t-il déclaré en ajoutant que la dette de l’Italie de 2.000 milliards d’euros « pèse lourdement » sur les Italiens ordinaires. Il a dit qu'en conséquence, l’Europe était en train de souffrir d’une « crise de légitimité. »
La classe politique doit réagir au sentiment anti-establishment qui se développe, a-t-il prévenu.
Letta a promis de baisser les impôts pour les travailleurs et les jeunes afin de stimuler la croissance économique, de travailler en collaboration avec les syndicats italiens afin de réduire le chômage et de prendre fait et cause pour un « système de couverture sociale plus universel, plus axé sur les jeunes et les femmes, en l’élargissant à ceux qui ne sont pas couverts, particulièrement les travailleurs intérimaires. »
Cependant, lorsqu’il a été question de prendre des mesures concrètes, Letta n'avait pas grand-chose à proposer. Au lieu d'abandonner la très impopulaire taxe sur la propriété, conformément à la promesse électorale de PdL, celle-ci sera suspendue en juin pour être réexaminée. Seuls des projets d’augmenter la TVA italienne de 1 pour cent pour la faire passer à 22 pour cent ont été abandonnés.
L’abandon de la taxe sur la propriété coûtera 8 milliards d’euros aux recettes de l’Etat et ne pas la prélever en juin représentera un manque à gagner de 2 milliards d’euros. Letta n’a pas essayé d'expliquer comment rendre ceci compatible avec la déclaration faite par sa ministre des Affaires étrangères, Emma Bonino, qui a dit que l’Italie ne pouvait pas modifier ses engagements budgétaires conclus avec l’UE et le FMI pour cette année.
« L’Italie ne peut pas renégocier les 2,9 pour cent, » a dit Emma Bonino aux journalistes au parlement. Ceci implique que Letta espérait une renégociation des termes du remboursement de la dette, comme l'exigeait Berlusconi lundi, exigence reprise aussi par le ministre de l’Industrie, Flavio Zanonato, du Parti démocrate.
De telles exigences n’offrent rien aux travailleurs. Selon Zanonato, elles se concentrent sur des suggestions que l’Italie « poursuive une politique économique crédible afin d’assurer sa réputation en Europe et de maintenir à un bas niveau l’écart entre les rendements des obligations italiennes et allemandes, » tout en excluant des dépenses d’investissement du Pacte de stabilité européen.
Pour sa part, le ministre de l’Economie et des Finances, Fabrizio Saccomanni, ancien gouverneur de la Banque d’Italie, a parlé de restructurer le budget de l’Etat et de réduire les dépenses publiques, en indiquant que le couperet tomberait tout simplement ailleurs.
Avant le départ de Letta pour Berlin en vue de discussions avec la chancelière allemande, Angela Merkel, l’agence de notation Standard & Poor’s a délivré un verdict négatif sur les promesses de Letta de restaurer la croissance. Reprenant la position de Moody’s, elle a maintenu la note de la dette souveraine de l’Italie à un taux « BBB+ », soit tout juste deux crans au-dessus de la catégorie « junk » et avec une perspective négative.
Plus tard dans la journée, les choses n’ont fait qu’empirer pour Letta. Lors d’une conférence de presse commune avec Merkel, Letta a parlé de manière énigmatique du besoin de parvenir à une synthèse entre mesures de réforme et mesures de croissance et que l’Europe fasse preuve de « la même détermination à promouvoir la croissance qu’elle le fait pour constituer des finances publiques saines. »
Mais, Merkel n'en a pas fait grand cas en disant ne pas voir de contradiction entre la discipline budgétaire et l’objectif de la croissance économique.
« Pour nous, en Allemagne, consolidation budgétaire et croissance sont deux éléments qui ne sont pas opposés mais qui doivent aller de concert pour créer davantage de compétitivité et donc davantage d’emplois, » a-t-elle dit. « Nous voulons que l’Europe sorte renforcée de la crise. Par ailleurs, chaque pays doit jouer son rôle. »
Sa mise en garde que « L’Italie a déjà fait de grand progrès, de ce point de vue » ne fait qu'indiquer qu'elle doit en faire plus encore.
« La croissance permet des finances solides, un financement solide crée les conditions préalables à la croissance, » a-t-elle ajouté. « Mais, il est plus important que nous ne considérions pas la croissance comme quelque chose où nous dépensons l’argent public, mais plutôt comme quelque chose permettant aux entreprises d’investir et de créer des emplois. C’est pour cela que nous avons besoin de réformes structurelles et de moins de bureaucratie. »
Letta a répondu en promettant d’honorer tous les engagements de réforme pris par le gouvernement précédent en promettant de combler le trou de 8 milliards d’euros provoqué par l’abandon de la taxe sur la propriété, autrement dit en promettant davantage de mesures d’austérité.
Letta a rencontré hier le président français, François Hollande, à Paris avant de se rendre à Bruxelles pour des pourparlers avec le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Mais, quel que soit la rhétorique supplémentaire qui émergera des pourparlers avec ce vis-à-vis apparemment plus compatissant, la classe ouvrière en Italie ou dans le reste de l’Europe ne peut rien attendre d’une quelconque section de la bourgeoisie pour alléger la terrible misère sociale à laquelle elle est confrontée.
Le gouvernement Letta, tout comme les gouvernements des autres pays durement touchés par la crise de la dette, telles la Grèce et l’Espagne, peuvent bien demander des marges au gouvernement allemand. Toutefois tous sont d’accord que c'est à la classe ouvrière de continuer à régler la facture de la crise. De plus, au nom de la « restructuration », ils proposent, comme alternative à une concentration exclusivement sur des mesures de coupes budgétaires, de rehausser le taux d’exploitation de la classe ouvrière au moyen de cadences de travail accélérées, de réduction des salaires, de rationalisation et de privatisation des biens publics.
De tels appels en faveur d’un changement de stratégie, qui n'équivaudrait en fait qu’à infliger des souffrances et de l’austérité par d’autres moyens, se sont plusieurs fois heurtés aux intérêts nationaux divergents des puissances européennes.
(Article original paru le 2 mai 2013)