Le discours prononcé la semaine dernière par le président Barack Obama à la National Defense University de Washington D.C a révélé non seulement une crise au sein du gouvernement Obama et des conflits de plus en plus vifs aux plus hauts échelons de l'Etat mais aussi, et c'est le plus grave, une crise historique du régime bourgeois.
Le discours d'Obama est d'une signification politique exceptionnelle. Plus d'un demi-siècle après la mise en garde par Eisenhower que la démocratie américaine était menacée par l'émergence, suite à la Seconde Guerre mondiale, d'un « complexe militaro-industriel », Obama a pratiquement reconnu que la démocratie est en train d'atteindre son point de rupture.
Une décennie après le début de « la guerre contre le terrorisme », a averti Obama, « L'amérique se tient à la croisée des chemins. » Il a poursuivi, « Il nous faut définir la nature et la portée de cette lutte, sinon c'est elle qui nous définira. Nous devons garder à l'esprit la mise en garde de James Madison qu'aucune nation ne peut préserver sa liberté au milieu d'une guerre perpétuelle. »
Autrement dit, le danger pour la démocratie américaine ne vient pas des « terroristes », prétexte fourre-tout à toutes les actions entreprises par la classe dirigeante américaine depuis le 11 septembre, y compris par le gouvernement actuel, mais ce danger vient de l'Etat lui-même.
Le discours d'Obama a clairement émergé des conflits âpres au sein de l'appareil d'Etat. Le président semblait engagé dans un débat, sans nommer les parties avec lesquelles il débattait. Par moments il marquait une pause, comme s'il attendait une réaction. Il avait une attitude presque passive à l'égard des actions de son propre gouvernement comme si ces actions étaient en quelque sorte externes, comme dirigées par des forces en dehors de son propre contrôle.
Ce n'était pas le discours d'un président, mais plutôt du représentant d'un gouvernement assiégé, déchiré par des contradictions internes et où son contrôle sur le gouvernement semble être totalement douteux.
Le président a maintes fois fait référence aux actions illégales entreprises. Il a reconnu que le gouvernement américain avait « compromis nos valeurs fondamentales, en utilisant la torture pour interroger nos ennemis et en détenant des individus d'une manière qui va à l'encontre de l'Etat de droit. »
En les désignant comme allant « à l'encontre de l'Etat de droit », Obama reconnaît de fait que les actions entreprises par le gouvernement des Etats-Unis, et qui se sont poursuivies sous son propre mandat, sont illégales, criminelles, inconstitutionnelles.
Obama a cherché à défendre ces actions, tout en trahissant ouvertement sa propre nervosité sur le fait qu'il est directement impliqué dans les violations de la constitution, ce dont il pourrait être tenu pour responsable.
Obama a plusieurs fois rappelé à son public que d'autres étaient impliqués dans ces prises de décision. « Le Congrès a non seulement autorisé l'usage de la force, mais il a aussi été informé de chaque frappe faite par les Etats-Unis, chaque frappe, » a-t-il insisté. « Cela inclut aussi l'unique fois où nous avons ciblé un citoyen américain. »
Sans que le peuple américain en soit averti, les préparatifs sont très avancés pour une rupture manifeste avec des formes démocratiques de gouvernance aux Etats-Unis. Dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », la classe dirigeante américaine a conduit la démocratie à deux doigts de l'extinction. D'abord sous Bush, puis ensuite Obama, l'exécutif a réclamé de vastes pouvoirs pour mener la guerre, espionner le peuple américain, torturer et détenir des prisonniers indéfiniment sans chef d'accusation, les juger dans des commissions militaires et tuer n'importe qui, n'importe où, y compris des citoyens américains, au mépris de toute procédure.
Il y a à peine plus d'un mois, suite aux attentats à la bombe toujours inexpliqués du marathon de Boston, la ville toute entière avait été occupée par l'armée, confinée et quasiment sous la loi martiale. Comme le WSWS l'avait alors fait remarquer « Les événements de Boston ont mis à nu le mode opératoire pour la mise en place de formes de gouvernance dictatoriales aux Etats-Unis. » Une fois de plus, comme lors des attaques du 11 septembre qui avaient déclenché la « guerre contre le terrorisme », les protagonistes de ces attentats étaient surveillés de près par des sections de l'appareil d'Etat et les événements avaient été l'occasion d'appliquer des attaques sans précédent contre les droits démocratiques.
L'échec de la démocratie est lié à une très forte augmentation de la force de l'appareil militaire et du renseignement. Ces institutions fonctionnent en faisant pratiquement ce que bon leur semble.
Confirmant le fait que ces questions des relations entre civils et militaires sont en train d'être intensivement discutées au sein de la classe dirigeante, un article a été publié dans le New York Times lundi 27 mai sous la plume du général de corps d'armée à la retraite, Karl Eikenberry, ancien chef des forces armées en Afghanistan et de l'historien David Kennedy. Intitulé , « Les Américains et leur armée, le désamour », les deux auteurs s'inquiètent de ce que l'expansion de l'armée se produise dans un contexte « d'engagement et de compréhension minimales des citoyens. »
Pour faire face à cette situation, ils appellent à introduire une certaine forme de conscription, avant de conclure, « Tandis que les forces armées se réorganisent pour l'avenir, les citoyens ne peuvent pas rester de simples spectateurs. Comme l'a dit Adams en parlant de la puissance militaire, « Un peuple sage et prudent gardera toujours un oeil vigilant et jaloux sur elle. »
Le stade avancé de la rupture de la démocratie bourgeoise, dans un contexte de guerre perpétuelle, a généré des conflits intenses entre les différentes factions de la classe dirigeante. Au sein et entre les diverses branches de l'armée, la CIA et le FBI, il y a des guerres de factions incessantes où les conflits au sein de la classe dirigeante sont négociés derrière le dos du peuple américain.
Tandis qu'il y a certaines sections de la classe dirigeant qui soutiendraient une dictature militaire ouverte, une rupture avec la légalité et la démocratie bourgeoise est aussi immensément périlleuse. La légitimité du système politique américain est définie par la constitution.
La classe dirigeante américaine est en train de détruire les fondations politiques sur lesquelles repose son régime. Ils ne peuvent invoquer la légalité lorsqu'ils affrontent les défis à l'Etat posés par la classe ouvrière quand ils sont eux-mêmes les pires transgresseurs de la loi. Plus ils se dispensent de la légalité, plus la classe dirigeante semble illégitime aux yeux de la grande masse de la population , aux Etats-Unis et internationalement.
Et pourtant, malgré ces préoccupations, ni Obama ni aucune autre section de la classe dirigeante n'a autre chose à proposer. C'est ce qui explique le caractère étrange et contradictoire du discours d'Obama.
Tout en exprimant des inquiétudes sur l'état de la démocratie américaine, l'un des objectifs centraux des remarques d'Obama était de défendre la violation la plus flagrante des principes démocratiques faite jusqu'à présent, à savoir le meurtre de citoyens américains au mépris des procédures. Ces opérations se poursuivront, a-t-il dit, avec au mieux un cache-sexe pseudo-légal, c'est-à-dire des procédures, sous une forme ou une autre, de tribunal arbitraire [Star Chamber] afin d'apposer un tampon à la décision de l'exécutif.
Quant au militarisme, tout en appelant à la fin de « la guerre indéfinie contre le terrorisme », Obama a exposé une série d'opérations militaires dans le monde entier. Il a appelé à armer davantage les « rebelles » syriens, dont bon nombre sont liés à Al Qaïda, dans une campagne visant à déloger le président Bashar Al Assad. Dans le même temps, des sections de la classe dirigeante américaine cherchent à retirer du Moyen-Orient certaines de ces forces pour se tourner vers l'Asie et une confrontation plus directe avec la Chine.
Finalement, malgré les démonstrations publiques de doute de soi d'Obama, il n'a ni la volonté ni la capacité de changer quoi que ce soit. Les efforts des apologistes du Parti démocrate, parmi lesquels on compte le New York Times et le magazine Nation, pour présenter le discours d'Obama comme un événement transformant, sont un mélange de complaisance, de tromperie et de naïveté. Comme pour confirmer ceci, Obama a insisté hier lors du Memorial Day [jour de commémoration des soldats morts au champ d'honneur, le dernier lundi de mai] pour dire que la nation est « encore en guerre. »
De plus, si les sections les plus puissantes de la bourgeoisie et de l'appareil militaire et du renseignement estimaient un instant avec sérieux qu'Obama abandonnait le programme d'hégémonie mondiale, son gouvernement prendrait aussitôt fin et brutalement.
La crise du régime bourgeois est l'un des indicateurs les plus significatifs de l'imminence d'un soulèvement révolutionnaire. L'histoire étaye la règle politique générale que les révolutions naissent non seulement du fait que les classes opprimées ne peuvent plus vivre comme avant, mais aussi que les classes dirigeantes ne peuvent plus gouverner comme avant.
La crise du régime bourgeois et l'effondrement de la démocratie américaine sont enracinés dans, d'un côté, la guerre incessante à l'étranger et de l'autre le degré incontrôlable et historiquement sans précédent des inégalités sociales.
Ces développements posent de graves dangers pour la classe ouvrière. Ce n'est pas juste qu'il est possible de voir une dictature émerger aux Etats-Unis, c'est qu'elle est déjà en train d'émerger.
La défense des droits démocratiques est plus que jamais une question de classes sociales. Il ne peut y avoir de démocratie fondée sur le capitalisme et le militarisme impérialiste. Pour défendre ses intérêts la classe ouvrière ne peut compter sur aucune section de l'appareil d'Etat bourgeois ni ses organisations auxiliaires.
La mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière, fondée sur un programme socialiste, est une question de la plus extrême urgence. Cela signifie par-dessus tout la construction du Socialist Equality Party, le Parti de l'égalité socialiste.
(Article original paru le 28 mai 2013)