Le rapport publié lundi et selon lequel la CIA remet régulièrement des sacs remplis de centaines de milliers sinon de millions de dollars au président Hamid Karzaï d’Afghanistan n’est que le dernier épisode en date de la longue et tragique rencontre de l'Afghanistan avec l’impérialisme.
Selon le New York Times, « Durant plus d’une décennies, des liasses de dollars américains empilés dans des valises, des sacs à dos et, à l’occasion, des sacs en plastique ont été déposés tous les mois dans les bureaux du président. »
Suite à leur réunion à la Maison Blanche au début de cette année, le président Barack Obama et Karzaï ont publié un communiqué commun déclarant leur intention de maintenir des forces militaires américaines en Afghanistan pour une période indéfinie conformément à l’accord de partenariat stratégique (Strategic Partnership Agreement). Tous deux ont aussi proclamé leur respect de la « souveraineté » afghane et déclaré que leur stratégie économique pour le pays est « centrée sur l’investissement en capital humain pour guider les institutions du pays et pour créer un environnement favorisant la croissance économique et l’investissement pour tous. »
Comme le montrent clairement les valises bourrées de dollars américains, les Etats-Unis ont lourdement investi en « capital humain pour guider les institutions du pays » et ont créé sans aucun doute un « environnement favorisant » une belle brochette de fantoches de la CIA, de seigneurs de guerre, de trafiquants de drogue et d’assassins pour piller l’Afghanistan et terroriser sa population tout en alimentant leurs comptes en banque avec l’argent provenant de Washington.
Les mêmes méthodes criminelles, utilisées par la Maison Blanche de Bush, ont été adoptées tel quel par le gouvernement Obama.
Mais, le robinet de la CIA coule depuis bien plus longtemps que cela. Les versements de plusieurs millions de dollars remontent à la fin des années 1970 où le gouvernement démocrate du président Jimmy Carter avait adopté la stratégie d’engluer l’Union soviétique dans « son propre Vietnam » en fomentant et en finançant une insurrection islamiste contre le gouvernement de Kaboul soutenu par l’Union soviétique.
Parmi ceux qui travaillaient à l’époque pour le compte de la CIA, il y avait le jeune Hamid Karzaï qui servait de relais entre l’agence de renseignement américaine, l’ISI pakistanaise (les services de renseignement, Inter-Services Intelligence) et les moujahedins. A l’époque, il avait sans aucun doute côtoyé Oussama ben Laden, qui exerçait des fonctions similaires.
A la suite du retrait de l’Union soviétique, les forces soutenues par la CIA menèrent une longue guerre civile qui aboutit en 1996 à l’arrivée au pouvoir des Talibans soutenus par le Pakistan. Cette guerre fut reprise sous les auspices de la CIA quand Washington utilisa les attentats du 11 septembre 2001 comme prétexte pour envahir et occuper l’Afghanistan. L’agence commença, une fois de plus, à remettre des valises pleines d’argent aux seigneurs de guerre afghans pour s’assurer de leurs services en tant que troupes se battant pour eux dans la guerre américaine en faveur d’un changement de régime.
Lors d’un voyage dans le Nord de l’Europe en vue d’une nouvelle collecte de fonds, Karzaï a fait l’invraisemblable affirmation que l’argent de la CIA ne représentait pas vraiment tant d'argent que cela et qu'il servait à « fournir de l’aide aux blessés et aux malades. »
En réalité, tout ce qui n’atterrit pas dans les poches et sur les comptes off-shore de la famille Karzaï et de son entourage immédiat est encore utilisé pour payer les seigneurs de guerre, dont des criminels de guerre comme Abdul Rachid Dostum qui, lorsqu'il figurait sur le registre du personnel de la CIA, avait organisé en 2001 le massacre de milliers de prisonniers talibans près de Mazar-i-Sharif. Selon certains rapports, à lui seul, il a reçu jusqu’à 100.000 dollars par mois.
Jusqu’à son assassinat en 2011, le demi-frère du président, Ahmed Wali Karzaï, faisait lui aussi partie du personnel de la CIA, gérant un escadron de la mort connu sous le nom de Kandahar Strike Force tout en jouant un rôle de pivot dans le trafic d'héroïne estimé à plusieurs milliards de dollars en Afghanistan.
Le chef de l’administration du Conseil national de la sécurité de Karzaï, Mohammed Zia Salehi, est également bénéficiaire d’une partie de cet argent. Il avait été arrêté en 2010 suite à une enquête menée par les Etats-Unis l’impliquant dans la contrebande d’espèces hors du pays, le trafic d’héroïne et le financement des Talibans. Karzaï et la CIA étaient intervenus pour imposer sa libération en l’espace de quelques heures et mettre un terme à l’enquête.
Afin de maintenir au pouvoir ce régime d’assassins, de trafiquants de drogue et de kleptocrates, les Etats-Unis ont mené la plus longue guerre de leur histoire qui a coûté la vie à quelque 2 200 Américains et un millier de forces d'occupation étrangères. Le coût de la guerre, sans compter l’argent de la CIA, atteignait quelque 60 milliards de dollars par an en 2009.
Depuis que la CIA a, pour la première fois, commencé à organiser des opérations militaires en Afghanistan il y a près de 35 ans, le nombre de morts et de blessés se compte par millions pour la population afghane.
Les énormes sommes d’argent qui ont été injectées dans des opérations criminelles américaines en Afghanistan n’ont guère aidé la population afghane. Selon certaines évaluations, quatre-vingt-dix centimes de chaque dollar sur les 20 millions de dollars d’aide étrangère dépensés au cours de la dernière décennie sont allés alimenter la corruption.
Plus de la moitié des familles du pays vivent dans la pauvreté tandis qu’un tiers souffre de la faim. Un enfant afghan sur dix meurt avant d’entrer à l’école primaire. Moins d’un quart de la population a accès à l’eau potable et seule une fraction similaire des plus de 15 ans sait lire et écrire.
Le massacre des civils afghans se poursuit au quotidien. Dimanche, le bureau de Karzaï a publié une protestation officielle concernant la fusillade mortelle de quatre civils par un convoi de l’armée américaine dans la province de Nangarhar à l’Est de l’Afghanistan. Au début du mois, une frappe aérienne a tué onze enfants âgés de deux mois à sept ans dans la province de Kunar près de la frontière pakistanaise.
Alors qu’une date butoir pour le retrait des troupes d’occupation étrangères a été fixée pour la fin de 2014, le gouvernement Obama n’a nullement l’intention de mettre un terme à la présence militaire américaine. Des projets sont en préparation pour laisser dans le pays entre 6.000 et 20.000 soldats américains afin de continuer à tuer ceux qui résistent au régime de Karzaï et à sa clique criminelle.
Ce régime, mis en place contre la volonté du peuple afghan, est un instrument de l’oligarchie financière aux Etats-Unis qui est déterminée à promouvoir ses intérêts en affirmant militairement son hégémonie sur l’Asie centrale et ses réserves énergétiques stratégiques tout en laissant à la population laborieuse, tant en Afghanistan qu’aux Etats-Unis, le soin d’en payer le prix.
(Article original paru le 1er mai 2013)