Le 2 juillet dernier, le parlement irlandais a voté en vue d’une modification de la législation farouchement anti-IVG (interruption volontaire de grossesse) afin d'autoriser une interruption de grossesse au cas où la femme présenterait un risque de suicide.
Ce vote est intervenu après des mois de controverses, suite à la mort de Savita Hallappanavar et a été présenté comme une libéralisation significative de la loi irlandaise. Ce n’est pas le cas.
Dans les jours qui ont précédé sa mort, Savita, enceinte de 17 semaines et qui souffrait de violents maux de dos, a demandé à plusieurs reprises à avorter. Le personnel de l’hôpital universitaire de Galway a informé cette dentiste de 34 ans d’origine indienne qu’une IVG ne serait pas possible, et ceci malgré le manque de viabilité du fœtus, au motif que « L’Irlande est un pays catholique ». Savita est morte cinq jours plus tard des suites d’une septicémie.
Suite à la révélation de ces faits par le journal Irish Times, cette mort évitable a déclenché un immense sentiment de colère en Irlande comme à l’étranger. Des manifestations et des piquets se sont tenus à Dublin, à Galway, à Limerick ainsi que dans de nombreuses petites villes d’Irlande comme devant les ambassades irlandaises à Dehli, Londres, Berlin et Bruxelles. L’ambassadeur indien à Dublin a exprimé sa « préoccupation la plus intense. »
Les manifestations ont, une fois de plus, attiré l’attention sur les lois irlandaises sur l’IVG qui sont extrêmement réactionnaires et qui sont les plus restrictives d'Europe, ainsi que sur l’influence continue de l’Eglise catholique dans tous les domaines de la vie publique et privée. Actuellement, il y a près de 4 000 irlandaises par an qui se rendent en Grande-Bretagne pour y subir une IVG.
Les manifestations ont alarmé le gouvernement, faisant naître des craintes que n’apparaissent au grand jour d'autre révélations accablantes contre l’Eglise catholique qui a déjà été impliquée dans une série de scandales de brutalités et d’abus sexuels sur des enfants, commis par le clergé dans les pensionnats et les orphelinats.
Tous les principaux partis politiques ont réagi à cette tragédie en se gardant bien de critiquer l’Eglise catholique. Quant au gouvernement, il a insisté pour attendre les résultats de plusieurs enquêtes sur ce décès, dont celle menée par le HSE (Irish Health Service Executive).
Les demandes d’une enquête publique complète, formulées par Praveen Halappanavar, époux de Savita, ont été ignorées. Une enquête remettrait en question l’interdiction de l’IVG inscrite dans la Constitution irlandaise de 1937, rédigée en collaboration avec l’Eglise catholique, ainsi que le huitième amendement anti-IVG de 1983. Praveen Halappanavar, en proie au chagrin, a subi des pressions de la part du premier ministre, Enda Kenny, afin qu'il apporte son soutien à l’enquête du HSE.
En mai dernier, quand l’enquête du HSE a finalement été publiée elle a fourni un tableau très détaillé des circonstances médicales de la mort de Savita, tout en se livrant à de nombreuses critiques sérieuses des procédures employées au Galway Hospital. Le rapport fait état d’une « surveillance inappropriée » « d’un manque d’information sur les différentes options proposées », ainsi qu’une « grave ignorance des règles cliniques concernant la septicité, la septicité grave et le choc septique. »
Le rapport fait également état d'une « méconnaissance totale de la gravité de l’état de Savita ».
Néanmoins, pour ce qui est du cadre constitutionnel et juridique, le rapport se contente de recommander un changement dans la constitution uniquement « en relation à la démarche à suivre face à l'inévitabilité d'une fausse couche. »
Les termes « catholique » et « Eglise » n'apparaissent nulle part dans ce rapport. Mais le responsable de l’enquête, Sir Sabratanam Arulkumaran, professeur à la Saint Georges University de Londres, a reconnu l'argument fondamental que si la patiente s'était trouvée au Royaume-Uni, il aurait réalisé une IVG plus tôt.
Le gouvernement a aussi cherché à éluder les critiques émanant de l’étranger en suggérant que l’heure d’un assouplissement minimal de la loi était venue, concernant un aspect n'ayant pas de rapport avec l’interdiction de l’IVG.
Actuellement, l’avortement est illégal d’après la Loi sur l'atteinte aux personnes qui date de 1861, époque où l’Irlande était une colonie britannique. La loi n’autorise l’avortement que dans les cas où la vie, et non la santé ou le bien être de la mère, est menacée. Le Huitième amendement qui date de 1983 confirme qu' « il faut mettre à égalité le droit à la vie de l’enfant à naître avec le droit à la vie de la mère ».
Dans ces conditions, l’avortement est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie, même dans les cas de viol.
Le gouvernement a proposé de légiférer sur « l’affaire X », qui remonte à 1992. Une adolescente de 14 ans avait été violée. A l’époque la Cour suprême irlandaise avait statué d’autoriser l’avortement car la jeune femme risquait de se suicider. Malgré cet arrêt, les gouvernements successifs se sont bien gardés de légiférer pour légaliser l’avortement dans de telles circonstances. Même ce changement marginal a fait l’objet d’une attaque en règle de l’Eglise et de groupes de droite anti-IVG.
A peine quelques semaines après la mort de Savita et malgré des sondages d’opinion montrant que 85% des personnes interrogées sont en faveur de la nouvelle loi, un communiqué commun des évêques irlandais déplorait que « le délicat équilibre entre le droit à la vie de l’enfant à naître et le droit à la vie de la mère » soit fondamentalement affectée.
En janvier dernier, les évêques ont réussi à mobiliser 25 000 personnes pour une Veillée pour la vie, à Dublin, puis ont organisé des rassemblements moins importants à Knock (Comté de Mayo). En mai, la Conférence des évêques d’Irlande a déclaré que tous les députés catholiques qui voteraient en faveur du changement pourraient être excommuniés.
La loi du gouvernement de coalition travaillistes / Fine Gael intitulée « Protection de la vie pendant le grossesse » confirme dans l’ensemble le statu quo concernant l’avortement. La loi autorise l’avortement dans des circonstances où le risque de suicide est reconnu, mais l’avortement n’est autorisé qu’après l’avis unanime de trois médecins, deux psychiatres et un obstétricien.
La proposition de loi établit bien que, sauf si la vie était menacée sur le plan médical ou sauf s’il y avait un risque de suicide, l’avortement demeurerait illégal et le médecin comme le patient encourraient des poursuites et seraient passibles d’une peine de prison pouvant aller jusque 14 ans. A aucun moment lors des débats parlementaires, il n’a été suggéré par aucune des parties, qu’il faudrait prendre en compte la santé, l’opinion ou le projet de vie de la mère, dans cette décision.
Les députés du Fine Gael, de Fianna Fail, du Sinn Fein ont annoncé qu’ils voteraient contre le changement proposé. Le député indépendant Mattie McGrath a formulé des remarques tout à fait révélatrices. Lors d’une séance au parlement, il a pesté sur le fait que l’Etat présentait une « litanie d’échecs historiques concernant les enfants à naître. »
Kenny a signalé qu’on l’avait qualifié « d’assassin » et qu’il avait reçu « des médailles, des scapulaires, des fœtus en plastique, des lettres qui avaient été écrites avec du sang. »
Kenny a répondu à ces attaques en insistant sur le fait qu’il était « un élu qui se trouve être un catholique ». Il s’est présenté comme « un Taoiseach [ chef de gouvernement] pour le peuple tout entier et c’est là mon rôle. »
Le 2 juillet, lors du premier vote au parlement, le gouvernement l’a emporté par 138 voix contre 24. Sur les 24 voix, 4 venaient du Fine Gael, une voix du Sinn Fein, et 19 voix du Fianna Fail. La loi va maintenant être examinée dans différentes commissions où elle continuera sans doute à faire l’objet d’attaques répétées.
La prétention de Kenny de « défendre tous les Irlandais » est une pure tromperie. Au contraire, tout comme en 2011, où il avait dénoncé les faux fuyants du Vatican dans les affaires d’allégations de viols d’enfants figurant dans le rapport Coyne de cette année là, il cherche à masquer les pires excès de l’Eglise, tout en maintenant la mainmise constitutionnelle de plus en plus précaire de l’Eglise sur les affaires sociétales et sur la vie politique.
(Article original paru le 9 juillet 2013)