Le coup d’État en Égypte et les tâches auxquelles la classe ouvrière doit faire face

Le coup d’État militaire du 3 juillet en Égypte a révélé de manière concrète le principal problème auquel la classe ouvrière internationale est confrontée : la crise de la direction révolutionnaire.

Plus de deux ans après les soulèvements qui avaient contraint à la démission Hosni Moubarak, dictateur de longue date soutenu par les États-Unis, l’armée, sous la direction de son commandant, le général Abdel Fatah al-Sissi qui a reçu sa formation militaire aux États-Unis, s’efforce de réinstaurer le système politique qui existait avant février 2011.

Après l’éviction, il y a quatre semaines, du président Mohamed Morsi des Frères musulmans (FM), l’armée vise impitoyablement à rétablir l’appareil de terreur. Des centaines de partisans de Morsi ont été massacrés de sang-froid et des milliers d’autres emprisonnés.

Comme le fait remarquer le Wall Street Journal dans un article publié lundi, «Le gouvernement civil intérimaire d’Égypte a décidé de remettre en place l’État policier qui caractérisait le régime largement détesté de l’ancien président de longue date, Hosni Moubarak. Dimanche, le gouvernement a donné le droit aux soldats d’arrêter des civils, en relançant une loi d’urgence en vigueur sous M. Moubarak. La veille, le ministre de l’Intérieur, Mohammed Ibrahim, avait dit vouloir reconstituer une unité de la police secrète qui, des décennies durant sous Moubarak, avait été responsable de la répression.»

Alors que l’attention immédiate se porte sur la répression des FM et de leurs partisans, la vraie cible est la classe ouvrière.

Quelle est la signification du coup d’État contre-révolutionnaire et où en sommes-nous par rapport au développement de la révolution égyptienne ?

La révolution égyptienne n’est pas juste un événement. Comme toutes les grandes révolutions, notamment celles si profondément enracinées dans des processus nationaux et internationaux, elle se déroule non pas durant des semaines et des mois, mais durant des années. Une révolution est un champ de bataille où des forces politiques successives arrivent sur le devant de la scène en révélant les intérêts de classe qu’elles représentent.

De ce point de vue, les événements de juin-juillet 2013 représentent non pas la fin de la révolution, mais seulement sa première phase.

Durant la première période de la révolution, diverses forces sociales et politiques s’étaient ralliées autour de l’appel à la destitution de Moubarak. Chacun prétendait être du côté de la démocratie et des masses, des hommes d’affaires de sensibilité libérale tels le responsable de Google au Moyen-Orient, Wael Ghoneim ; des politiciens bourgeois comme l’ancien responsable de l’ONU, Mohamed ElBaradei ; des membres des FM, le plus grand groupe d’opposition, bien que banni, sous Moubarak ; des représentants de la classe moyenne aisée et même de l’armée.

La classe ouvrière n’avait pas encore pris conscience de l’énorme gouffre de classes qui la sépare de ces forces. Au cours de la révolution, toutefois, les factions politiques de l’élite dirigeante égyptienne ont été soupesées et testées.

D’abord, la junte militaire qui avait pris le pouvoir après l’éviction de Moubarak a été démasquée en tant que force contre-révolutionnaire voulant préserver autant que possible le vieil ordre. Elle en est rapidement venue à interdire les grèves, à réprimer les manifestations, à poursuivre les tactiques de torture de l’ère Moubarak et à condamner des milliers de civils dans des procès militaires.

La révélation de ce qu'est l’armée a été suivie par la révélation concernant les FM, principale opposition politique organisée existant sous le régime Moubarak. Les FM ont cherché à remanier le personnel au pouvoir et ont réclamé la modification des institutions juridiques et politiques en Égypte de façon à garantir, pour eux-mêmes et pour les sections de la bourgeoisie égyptienne pour lesquelles ils s’expriment, une plus grande part du pouvoir politique. Les FM défendent cependant les mêmes intérêts de classes fondamentaux que l’armée.

Le gouvernement des FM a poursuivi la politique anti-ouvrière et pro-impérialiste pratiquée par les régimes précédents. Peu après son élection, Morsi a entamé des pourparlers avec le Fonds monétaire international en vue d’une plus grande libéralisation de l’économie égyptienne selon les lignes de l'économie de marché et a supprimé des subventions cruciales sur le pain et le carburant. Mais, avant tout, il a continué à défendre les intérêts de l’impérialisme américain dans la région et principalement la guerre par procuration menée par les États-Unis en Syrie.

Sont survenues ensuite les luttes de masse qui ont explosé contre Morsi et les Frères musulmans, culminant dans les protestations qui ont impliqué le 30 juin dernier des millions de personnes. Pétrifiée depuis 2011 par la radicalisation de la classe ouvrière et le spectre d'une révolution prolétarienne, l’armée est intervenue directement. Le coup d’État a été soutenu par des groupes de la bourgeoisie et de la classe moyenne qui avaient cherché à se présenter comme les «véritables révolutionnaires» et une alternative «démocratique» aux régimes de Moubarak et de Morsi.

Le nouveau gouvernement appuyé par l’armée comprend des figures comme ElBaradei et le président de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU), soutenue par les États-Unis, Kamal Abu Eita.

Le plus corrompu et pourri des groupes qui s’alignent derrière l’armée sont les Socialistes révolutionnaires (SR) qui ont acclamé le coup militaire comme une «deuxième révolution». À chaque étape de la révolution, les SR, qui parlent au nom des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure, ont cherché à bloquer un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière en la subordonnant à la bourgeoisie égyptienne, d’abord à l’armée, puis aux FM, puis à nouveau à l’armée.

Ce qui sous-tend la faillite politique de toutes ces forces, c’est le fait qu’aucune d’entre elles ne serait en mesure de mettre en vigueur un programme pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les masses égyptiennes, à savoir la domination de l’impérialisme au Moyen-Orient, la pauvreté de masse et l’absence de démocratie. Toutes les forces de la bourgeoisie égyptienne et des classes moyennes privilégiées défendent les relations de propriété capitaliste et sont liées à l’impérialisme et au capital financier international. Elles sont organiquement hostiles aux intérêts de la classe ouvrière, force motrice derrière la révolution égyptienne, et préfèrent de loin une dictature militaire à une révolution sociale de la classe ouvrière.

Il ne fait pas de doute que le coup d’État contre-révolutionnaire de juin-juillet 2013 est une défaite pour les masses. Et pourtant, alors que l’armée, ses partisans impérialistes, les libéraux et la pseudo-gauche peuvent espérer que la révolution est finie, la classe ouvrière aura son mot à dire là-dessus.

Dès le début, la Révolution égyptienne a été motivée par des processus objectifs profonds : d’abord, les contradictions explosives en Égypte même et partout au Moyen-Orient. Ces contradictions sont elles-mêmes inextricablement liées et intensifiées par la crise du système capitaliste mondial.

L’ensemble du déroulement de la révolution a confirmé les conceptions fondamentales de la théorie de la révolution permanente de Trotsky, qu’il n’existe aucune faction de la classe capitaliste, ou de ses représentants politiques, capables de jouer un rôle progressiste ; et que seule la classe ouvrière est en mesure d’appliquer un programme démocratique comme partie intégrante de la lutte pour le socialisme et le pouvoir ouvrier ; et que la victoire de la révolution dans quelque pays que ce soit n’est possible que sur la base d’une stratégie internationale pour l’unification de la classe ouvrière mondiale.

La lutte pour ce programme soulève le problème crucial de la direction politique. La nouvelle ère de la révolution socialiste mondiale qui est annoncée par les convulsions actuelles en Égypte requiert de nouveaux partis révolutionnaires de masse de la classe ouvrière. Ceci signifie la construction de sections du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) en Égypte et internationalement.

(Article original paru le 30 juillet 2013)

Loading