Cette semaine, les médias ont révélé que Sylvie Therrien, une employée de Service Canada, est suspendue sans solde depuis le mois de mai pour avoir révélé que des enquêteurs de l’assurance-emploi ont des quotas de prestations à récupérer chaque année. Dans une entrevue donnée au réseau national CBC, Sylvie Therrien a affirmé être la personne à l’origine de la fuite publiée par le quotidien Le Devoir en février dernier.
Service Canada a justifié la suspension de Mme Therrien sous le prétexte qu’il est interdit pour ses employés de rendre publique de l’information « confidentielle ». La vérité est qu'il s'agit d'une mesure arbitraire et abusive du gouvernement fédéral visant à camoufler l'ampleur et l'impact de son programme d'austérité et à intimider quiconque oserait le critiquer.
La grande majorité des médias ont passé sous silence la suspension de cette employée de l’État, tout comme les syndicats censés la « représenter ». Le syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada n’a mené aucune campagne pour informer la population du traitement réservé à Mme Therrien, et encore moins pour mobiliser les travailleurs dans le but de la défendre. L’Alliance de la fonction publique du Canada, qui avait offert en février une critique verbale du système de quotas, est restée muette sur le sort de Mme Therrien.
Selon le document fourni de façon anonyme par Mme Therrien à l’époque, les enquêteurs de Service Canada devaient récupérer chacun environ 40 000$ par mois en prestations, pour un total de 485 000 $ par année. La révélation de ces quotas avait provoqué la colère populaire, au même moment où des milliers de travailleurs et chômeurs manifestaient à travers le pays pour s’opposer aux coupes à l’assurance-emploi du gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Suite à ces révélations, Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement du Canada, avait nié l’existence de quotas, en utilisant des euphémismes tels que « cibles » et « objectifs de rendement ».
Suite à la publication de la fuite, une véritable chasse-aux-sorcières a été lancée pour trouver le responsable. En mai, Mme Therrien a été interrogée par des enquêteurs à l’interne et a reconnu être à l’origine de la fuite.
Sylvie Therrien a rendu un important service aux travailleurs et gens ordinaires en dévoilant les machinations du gouvernement dans ses coupures de prestations d’assurance-emploi. Après la publication de l’entrevue de CBC, son cas faisait partie des 10 histoires les plus consultées sur le site internet CBCNews.ca et plus de 2200 commentaires ont été publiés en quelques jours par les lecteurs du site, en grande partie en appui à Mme Therrien.
Les révélations de Mme Therrien réfutent l’argument que les coupes à l’assurance-emploi imposées par les Conservateurs visent uniquement les « fraudeurs ». Mme Therrien a expliqué que « en raison de la pression d’atteindre les chiffres, tu soulignes certaines choses, tu en ignores d’autres, tu manipules certains faits, c’est facile ».
Critiquant vivement l’impact des quotas exigés par le gouvernement fédéral, Therrien a souligné: « C’était tout simplement contre mes valeurs, mes valeurs éthiques. Tenter de harceler les gens, de leur couper des prestations, de les pénaliser afin de faire sauver de l’argent au gouvernement ». Plus tard, elle a affirmé : « Je pensais à ces gens... J'étais en train de les envoyer dans la rue avec leurs enfants », ajoutant « et maintenant, c'est moi qui suis dans la rue ».
En mars dernier, à peine quelques semaines après la publication des révélations de Mme Therrien, CBC News a fait savoir qu’en vertu d’un projet pilote chez Service Canada, les enquêteurs peuvent mener des visites-surprises chez certains chômeurs et faire de la surveillance, embusqués devant le domicile ou le lieu de travail d’un prestataire qui fait l’objet d’une enquête. La ministre Finley s’était ensuite vantée d’avoir récupéré « près d’un demi milliard de dollars » de prestations, mais que le programme d’assurance-emploi « perd toujours des centaines de millions de dollars à cause de la fraude ».
En fait, la fraude n’est qu’un prétexte pour justifier des coupes drastiques dans le programme d’assurance-emploi et réduire l’accès aux prestations. Selon Statistiques Canada, le nombre de prestataires au mois de mai avait chuté de 2,4 pour cent par rapport au mois précédent, puis de 7,4 pour cent comparativement à l’an passé à pareille date. À peine 40 pour cent des chômeurs reçoivent aujourd'hui des prestations de chômage.
Les quotas à récupérer par les agents de Service Canada font partie de la récente « réforme » du programme d’assurance-emploi imposée en janvier dernier. Les chômeurs doivent dorénavant préparer un curriculum vitae, participer à des foires d’emplois, s’enregistrer à des banques d’emplois et se soumettre à des évaluations de compétences. Les prestataires, en particulier les travailleurs saisonniers, sont obligés d’accepter après quelques semaines n’importe quel travail pour lequel ils sont qualifiés dans un rayon de 100 kilomètres, et ce, même si le salaire est 30 pour cent inférieur à leur salaire précédent. Sans quoi le gouvernement peut mettre un terme à leurs prestations. Le résultat sera de tirer vers le bas les salaires de tous les travailleurs.
Ces mesures représentent la pire attaque sur les chômeurs depuis 1996, lorsque le gouvernement libéral de Jean Chrétien avait augmenté le nombre de semaines de travail nécessaires pour avoir droit aux prestations tout en réduisant leur montant.
L’attaque sur les chômeurs, la catégorie la plus vulnérable de la classe ouvrière aux côtés des prestataires d’aide sociale, fait partie de l’assaut global des gouvernements tant fédéraux et provinciaux sur les acquis et conditions de vie des travailleurs dans le but de les faire payer pour la pire crise économique depuis la Grande Dépression.
Au même moment où le gouvernement Harper annonçait les coupures dans l’assurance-emploi en janvier, le gouvernement libéral ontarien maintenait son programme d’austérité, sabrant 14 milliards de dollars dans les dépenses au cours des trois prochaines années et imposant un gel salarial aux 1,2 millions de travailleurs de la fonction publique. Pendant ce temps au Québec, le gouvernement péquiste coupait massivement dans l’aide sociale dans le cadre du budget d’austérité le plus brutal depuis les quinze dernières années.
Chaque fois, les mouvements d’opposition à ces mesures ont été étouffés et isolés par les organisations pro-capitalistes et nationalistes que sont les syndicats et les partis supposément « de gauche » comme le NPD ou Québec Solidaire. Lorsque le gouvernement Harper a annoncé ses coupes à l’assurance-emploi, les syndicats ont organisé des manifestations bidon dans le but d’évacuer la colère des travailleurs. Mais sans surprise, aucune lutte sérieuse n’a été organisée pour mobiliser la classe ouvrière contre l'assaut sur les chômeurs et tout le programme d’austérité de l’élite dirigeante canadienne.